LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Les Maquisards" - Hemley Boum

Leçon de géopolitique et d'humanité.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Cameroun, territoire international placé sous la tutelle des Nations Unies, est administré à 85 % par la France, chargée (avec la Grande-Bretagne pour les 15 % restants) d'amener les Camerounais vers la capacité à s'auto-gérer. Les représentants sur place des deux puissances européennes préféreraient pour la plupart rétrograder le pays au rang de colonie, et voient d'un mauvais œil l'octroi croissant de droits aux populations indigènes. Afin de tirer leur épingle du jeu tout en satisfaisant aux directives de l'administration métropolitaine, ils cherchent à placer à la tête du pays un Camerounais à leur solde, qui leur permettra de garder les commandes.

L'Union des Peuples Camerounais, parti politique et mouvement de libération nationale créé en 1948, prône quant à elle la fin de la tutelle occidentale, et l'accession à une indépendance totale. Réprimée avec une violence croissante au cours des années 50 par le pouvoir colonial, elle finit par être déclarée illégale. Afin de continuer la lutte, ses membres les plus actifs se voient contraints d'entrer dans la clandestinité, et de prendre le maquis.

Le récit d'Hemley Boum s'attarde sur les figures de quelques-uns de ces résistants, à partir desquelles, en tissant les liens qui font s'entrecroiser leurs destins, elle nous offre une saga touchante et instructive, mêlant tragédies individuelles et soubresauts d'une Histoire en train de s'écrire, l'issue de la lutte opposant les partisans de l'UPC à l'occupant européen étant susceptible d'engager l'avenir de toute l'Afrique coloniale.

Bien que se déroulant sur une décennie, l'intrigue des "Maquisards" est particulièrement dense, parce qu'elle brasse de multiples existences, et que les événements qui y sont dépeints tirent leurs racines d'un passé plus ou moins proche, convoqué par les souvenirs des protagonistes ou par les digressions rétrospectives dont l'auteur émaille le récit. D'un point de vue chronologique, je me suis parfois sentie un peu perdue, les temporalités se confondant en un ensemble certes homogène mais pas toujours lisible. En revanche, l'abondance de personnages ne m'a pas gênée : d'une part, Hemley Boum a introduit en préambule au roman un schéma généalogique permettant au lecteur de se rafraîchir si besoin la mémoire, et d'autre part, les portraits de ses héros et héroïnes sont d'une richesse telle que chacun prend naturellement sa place dans la fresque qui se dessine sous nos yeux. Les femmes, notamment, y campent des rôles mémorables, mères, amantes, filles ou amies, composant la colonne vertébrale le long de laquelle s'articulent amours, héroïsme et trahisons. 

Dense, le roman l'est aussi parce qu'au-delà de sa dimension purement romanesque, il s'enrichit d'un contexte historique et culturel passionnant. Immergé au cœur du peuple Bassa, peuple des forêts ayant payé un lourd tribut au combat pour l'indépendance, le lecteur en appréhende les mœurs et les coutumes par le truchement de leur impact sur les destinées des principaux personnages, dont les velléités d'indépendance sont parfois entravées par le poids de traditions séculaires portées par une communauté à l'autorité puissante. Le rapport à une nature tour à tour généreuse et hostile est également exprimé avec simplicité mais éloquence.

Si l'aspect parfois "pédagogique" des "Maquisards", porté par de longues tirades grandiloquentes nous éclairant sur la situation politique camerounaise, m'a de temps en temps agacée, cette lecture me laissera surtout le souvenir...
... de l'humanité et du courage qui ont habité, jusqu'à une mort parfois très violente, et toujours injuste, certains des héros d'Hemley Boum...
... de la perversité et de cette insupportable conviction de leur supériorité sur le reste du monde qui à l'inverse, rend la plupart de ses personnages blancs absolument ignobles (avec, il est vrai, par moments, une tendance au manichéisme)...
... de la beauté de sa conclusion, toute en émotion et poésie.

Commentaires