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"Légende d'un dormeur éveillé" - Gaëlle Nohant

Démarrage difficile...

J'ai entamé la lecture du dernier roman de Gaëlle Nohant, auteure dont j'ai beaucoup aimé les textes précédents, dans un état d'esprit très positif, appuyé par les nombreux avis élogieux lus à son sujet, et curieuse de découvrir cette figure du patrimoine littéraire français qu'est Robert Desnos, dont j'ignorais presque tout (hormis le poème mettant entre autres en scène une fourmi de dix pieds n'existant pas, sans doute apprise à l'école en des temps désormais lointains...).

Pourtant, d'emblée, des réticences ont sapé net ces bonnes dispositions, et ont même failli me faire jeter l'éponge au bout d'une centaine de pages...

Je dois préciser que j'ai du mal en général à adhérer au choix narratif qui consiste à extrapoler autour d'un personnage ayant réellement existé, imaginant ses pensées, ses paroles. Cette osmose entre réalité et fiction ne me convainc pas et nuit à mon immersion dans le récit : je suis constamment en train de remettre en cause la véracité des paroles, des pensées rapportées... 
Mais je crois que j'aurais pu m'accommoder de ce bémol, sans les deux autres points qui ont gêné la lecture de la première partie de "Légende d'un dormeur éveillé". J'ai trouvé d'une part qu'elle souffrait d'un excès de lyrisme, de métaphores certes très poétiques mais alourdissant le texte par leur fréquence et leur démesure. Et j'ai d'autre part été agacée par ce défilé de célébrités que l'on croise à chaque coin de rue, à la table de chaque bistrot, comme si le monde dans lequel évoluait Robert Desnos n'était peuplé que de grands poètes, de peintres illustres, et de femmes fatales. Prévert, André Breton, Aragon, Picasso... le récit en acquiert une superficialité un peu théâtrale qui nuit à sa crédibilité. J'avais le sentiment de suivre une visite guidée du Paris mondain des années folles, dont on ne m'aurait montré qu'une brillante et superficielle facette.

Puis il m'a semblé que ces défauts s'amoindrissent au fil du récit. Le récit se resserre autour du destin du héros, que l'on a l'impression d'approcher alors plus intimement, l'écriture elle-même devient plus sobre, comme plus sincère, et la personnalité fort attachante de Robert Desnos, ainsi que son existence romanesque -!- ont fini par éveiller mon intérêt et mon empathie... il faut de plus reconnaître que l'excellent travail de documentation mené par l'auteure étoffe "Légende d'un dormeur éveillé" d'un contexte historique, social et politique passionnant.

Et comment ne pas aimer cet homme épris de liberté, d'une intégrité sans faille, qui a toujours refusé toutes compromissions et tout diktat, ce qui l'amena à se brouiller avec le groupe surréaliste qu'André Breton avait fini par chapeauter avec une rigueur morale devenue quasi tyrannique... ? Comment ne pas admirer son engagement quotidien, qu'il finit par honorer au péril de sa vie, contre toute injustice, toute violence faite aux plus faibles ? 


Robert Desnos était un héros humble et altruiste, prompt à donner le peu qu'il possédait, pour qui cet engagement était naturel. C'était aussi un homme au caractère fort, aimant avec ferveur et abnégation, ne courbant jamais le dos face à l'adversité, conservant en toute occasion dignité et optimisme.

Traverser en sa compagnie la période troublée de l'entre-deux-guerres, avec la montée de l'antisémitisme, le rejet des réfugiés espagnols qui fuient la guerre puis le régime franquiste, puis celle de la guerre et de l'occupation allemande, est un rappel permanent que le courage et l'humanisme des justes sont les garants de la pérennité morale de nos démocraties.

Je ne regrette donc pas vraiment cette lecture, qui m'a permis de découvrir l'homme et le poète (Gaëlle Nohant ayant eu la bonne idée d'enrichir régulièrement son texte de fragments de sa poésie) qu'était Robert Desnos, mais j'avoue que j'en garderai principalement le souvenir pesant de son laborieux début...


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Commentaires

  1. Quel dommage ! Je suis déçue. J'avais envie de le lire parce qu'elle parlait justement de Desnos que j'aime comme poète et comme homme. Et je suis toujours très touchée de sa mort horrible dans le camp de concentration de Theresienstadt.

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    1. Oui, dommage est le terme qui m'est aussi venu spontanément, tant j'étais décidée à aimer ce roman... Peut-être ne faut-il pas s'arrêter à mon avis, la plupart des lecteurs ont adoré, j'ai vu ce titre figurant dans de nombreux bilans comme coup de coeur de l'année...

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  2. Hum j'aurais sûrement lâché l'affaire, je n'aime pas avoir l'impression de lire du trop romancé, ou alors la documentation de l'auteur maladroitement (ou pas) mise en scène.

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    1. Dans ce cas, je ne te le conseille pas, même si la dernière partie sauve un peu l'ensemble...

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    2. Je l'ai rajouté à ma PAL en lisant les critiques sur babelio, mais en lisant ta critique car je suis souvent déçue par les biographies romancées et je préfère une bonne biographie... Donc à voir :-)

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    3. Comme je l'indique plus haut, beaucoup de lecteurs l'ont aimé. Il te plairait peut-être,si les bémols que j'évoques ne te paraissent pas rédhibitoires...

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  3. J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
    Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant
    Et de baiser sur cette bouche la naissance
    De la voix qui m'est chère?



    J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
    En étreignant ton ombre
    A se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
    Au contour de ton corps, peut-être.
    Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante
    Et me gouverne depuis des jours et des années,
    Je deviendrais une ombre sans doute.
    O balances sentimentales.



    J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps
    Sans doute que je m'éveille.
    Je dors debout, le corps exposé
    A toutes les apparences de la vie
    Et de l'amour et toi, la seule
    qui compte aujourd'hui pour moi,
    Je pourrais moins toucher ton front
    Et tes lèvres que les premières lèvres
    et le premier front venu.



    J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
    Couché avec ton fantôme
    Qu'il ne me reste plus peut-être,
    Et pourtant, qu'a être fantôme
    Parmi les fantômes et plus ombre
    Cent fois que l'ombre qui se promène
    Et se promènera allègrement
    Sur le cadran solaire de ta vie.

    Il vaut mieux peut être lire Desnos ?

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  4. Ou alors celui ci ?
    Tu me suicides, si docilement
    Je te mourrai pourtant un jour.
    Je connaîtrons cette femme idéale
    et lentement je neigerai sur sa bouche
    Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard, même si je fais beau temps
    Nous aimez si peu nos yeux
    et s’écroulerai cette larme sans
    raison bien entendu et sans tristesse.
    Sans.

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    1. Merci Athalie, c'est très beau, et oui, je crois qu'il vaut mieux (re)lire Desnos ! D'ailleurs, l'un des points qui m'a tout de même plu dans le roman, c'est que l'auteur le parsème d'extraits qui en effet donnent envie de découvrir ce poète méconnu en ce qui me concerne...

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    2. Ce sont de mes poèmes préférés de Desnos. Je ne sais pas pourquoi, alors que je goûte peu la poésie, Desnos m'a toujours parlé au cœur, comme Char ou Michaux. Ce pourquoi je ne lirai pas ce roman, , pas envie de le connaître sous une autre plume que la sienne. Par contre, je note que tu as aimé les romans précédents de l'auteur. Donc, merci, dealeuse !

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  5. Un coup de cœur pour moi mais je comprends tes bémols et il m'a fallu un peu de temps pour adhérer complètement.

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    1. Le souci, c'est qu'il m'a fallu trop de temps (quand j'évoque un "démarrage difficile", il doit bien s'agir des 200 premières pages) et que cela m'a empêché d'adhérer à l'ensemble, même si la dernière partie est bouleversante.

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  6. Ah moi c'est clair que ça ne me plaira pas. Je vois très bien de quoi tu parles quand tu évoques les biographies ou tranches de vie de personnages réels plus ou moins romancées. Quand ça sonne "faux", ou qu'on sent qu'on brode pas mal, c'est désagréable. Je préfère pour le coup de vrais essais ou des documentaires. Sinon je n'ai toujours pas lu Gaëlle Nohant. J'en entends beaucoup de bien mais bon, je n'ai pas sauté le cap encore.

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    1. Dans ce cas en effet il ne te plaira pas. En revanche, je recommande FORTEMENT L'ancre des rêves, de cette même auteure, c'est un très beau roman !

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  7. Pour Desnos je lirais bien ce livre mais j'avais été un peu agacé par la façon de raconter de Gaëlle Nohant avec le Bazar de la Charité alors j'hésite

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    1. J'avais bien aimé, moi, La part des flammes, et son côté "roman feuilleton". En revanche, L'ancre des rêves (je sais je me répète !) est complètement différent, pour moi, de ses autres titres, et vaut vraiment la peine d'être découvert.

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  8. Aïe, j'ai pourtant envie de le lire, j'aime beaucoup les poèmes de Desnos. Je l'emprunterai à la bibliothèque et je verrai ..

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    1. Le mieux est sans doute en effet de te faire ta propre idée !

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  9. j'ai déjà noté 300 fois, quand j'aurai le temps, oui, oui....

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    1. Ah, c'est l'éternel problème, il y a tant à lire, et si peu de temps pour le faire... mais tu auras compris que je ne considère pas ce titre comme un indispensable...

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  10. J'ai toujours "La part des flammes" dans ma PAL et je connais assez peu Robert Desnos, hormis quelques poèmes et sa fin dans le camp de Terezin. Je note quand même en ayant en tête les réserves (bien étayées) que tu mentionnes.

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  11. J'avais bien aimé La part des flammes, très romanesque, avec un charme un peu suranné...
    Avant de lire ce titre je ne savais pas que Desnos était mort à Terezin. C'était un camp où l'on envoyait notamment les artistes : le requiem de Terezin, de Josef Bor, évoque justement ce camp, et la création d'une pièce de théâtre par les prisonniers, pour oublier l'horreur, un très beau texte.

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  12. "Je dois préciser que j'ai du mal en général à adhérer à ce choix narratif qui consiste à extrapoler autour d'un personnage ayant réellement existé, imaginant ses pensées, ses paroles." pareil que toi (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Cette question a d'ailleurs été évoquée à l'occasion d'un entretien croisé auquel j'ai eu la chance d'assister, entre Ivan Jablonka et Philippe Jaenada, lors d'un salon du livre en région bordelaise. Le premier évoquait son roman Laëtitia (si tant est que l'on puisse parler de roman...) et le seconde La serpe, et La petite femelle, le thème de l'entretien étant "le fait divers et la littérature". Tous deux se rejoignaient sur un point : ils se refusaiant le droit, lorsqu'ils prenaient comme sujet des personnes ayant réellement existé, de penser ou de parler à leur place, ne s'appuyant que sur des faits et une documentation très précise pour développer leur intrigue. Jaenada a notamment évoqué le roman de Jean-Luc Seigle, "Je vous écris dans le noir", qui traite aussi de l'affaire Dubuisson, et a été assez sévère à son encontre, parce que l'auteur, en faisant de Pauline la narratrice, parlait à sa place. Je suis d'accord avec ec point de vue : soit on écrit sur des faits ou des personnages réels, et on leur doit alors une certaine rigueur, soit on écrit de la fiction, avec toute la liberté que cela suppose, mais le mélange des deux ne me convainc pas...

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