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"Les détectives sauvages" - Roberto Bolaño

A la poursuite de la jeunesse perdue...

Roberto Bolaño me passionne.
Littéralement.
Voici le troisième roman que je lis de cet auteur, et comme lors de mes deux précédentes expériences, j'ai été fascinée par sa capacité à exprimer l'essentiel en décrivant l'anodin, à traquer le caractère universel des problématiques que révèlent certains événements a priori insignifiants.

La première et la dernière partie des "Détectives sauvages" sont la transcription du journal tenu de novembre 1975 à février 1976 par Juan Garcia Madero, jeune étudiant mexicain. Il fait à cette époque la connaissance d'un groupe de poètes qui se sont donnés l'improbable nom de réal-viscéralistes, dont les deux charismatiques chefs de file sont Ulises Lima et et Arturo Belano, ce dernier ayant fui le Chili lors de l'avènement au pouvoir de Pinochet. Juan arrête alors ses études de droit pour traîner dans les bars et les librairies où il vole des livres, à l'instar de ses compagnons poètes. Comme eux, il écrit et lit aussi de la poésie, en même temps qu'il fait ses premières expériences sexuelles, occasion pour l'auteur de mettre en scène des situations souvent cocasses. Le lecteur déambule ainsi dans les bas-fonds de Mexico en compagnie du groupe hétéroclite que forment les viscerréalistes, qui compte aussi bien des hommes que des femmes, des hétéros que des homosexuels, des riches que des pauvres. Le point commun de tous ces individus étant l'amour de la poésie, mais aussi cette impression qu'ils donnent d'être en quête perpétuelle d'une sorte d'absolu qui mêlerait création artistique et idéal révolutionnaire.
A la suite d'un concours de circonstances, Ulises, Arturo, Juan et Lupe, une prostituée de leurs connaissances menacée de mort par son souteneur, prennent la fuite à destination du désert de Sonora. Ils vont profiter de cette escapade forcée pour partir à la recherche de la légendaire poétesse Cesarea Tinajero, mère spirituelle du mouvement viscerréaliste.

La seconde partie du roman (pendant laquelle le journal s'interrompt) est composée de la longue série des témoignages de personnes ayant rencontré, à un moment de leur vie, plus ou moins longuement, Arturo et/ou Ulises, sur la période allant de 1976 à 1996, dans des endroits aussi disparates que Barcelone et le Liberia, Paris, Collioure ou la Galicie.Dans un premier temps, à l'image d'instantanés fugaces, ces témoignages donnent d'Arturo et d'Ulises une représentation partielle, et les auréolent d'un caractère impalpable, presque irréel, mythiques aventuriers parcourant le monde en ne laissant derrière eux que le souvenir de leur passage... Puis, peu à peu, ils prennent consistance (notamment Arturo, sur lequel l'auteur s'attarde davantage), les narrateurs décrivant des événements de plus en plus concrets. Le lecteur reconstitue ainsi, par bribes, le parcours chaotique des poètes sur vingt ans d'existence, pour en arriver à la conclusion qu'ils n'ont finalement jamais cessé d'être en quête... peu importe en quête de quoi, d'ailleurs : qu'il s'agisse de bâtir un monde meilleur, ou de créer un art original et nouveau, l'important est de refuser les concessions à la routine et à la médiocrité, de s'opposer aux reniement de ses principes. Résolutions que viennent conforter semble-t-il le sentiment de mélancolie, voire d'amertume, qui émanent en filigrane des témoignages de ceux qui ont approchés nos héros, et qui expriment bien souvent la nostalgie de la jeunesse, de la bohème perdue, le regret d'avoir remisé aux oubliettes leurs idéaux et leurs aspirations artistiques.

Récit dense, mais d'une grande lisibilité, "Les détectives sauvages" semblent concentrer dans leurs pages tout l'esprit d'une génération latino-américaine façonnée par une histoire tourmentée, caractérisée par son besoin d'errance, à la fois physique et spirituelle, et par son amour de la poésie. Roberto Bolaño maîtrise à la perfection l'art d'entremêler fiction(s) et références à des faits réels, et sait instaurer patiemment entre ses personnages et le lecteur une sorte d'intimité qui fait que lorsque l'on referme ce roman après l'avoir terminé, on ressent presque comme un sentiment de perte...


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Commentaires

  1. Bolano... encore un auteur qui me fait peur... mais je suis venue à bout de Saramago, et de Lobo Antunes (qui est encore plus complexe à lire que le prix Nobel), alors je devrais bien y arriver...

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  2. Bolano n'est pas un auteur qui fait peur,je trouve, et Les détectives sauvages est une oeuvre mélancolique, comme il est dit, mais aussi pleine de vitalité et de drôlerie.
    2666, une oeuvre inachevée et publiée de manière posthume, elle, est sans doute plus angoissante (elle traite des meurtres de femmes à la frontière du Mexique). J'ai vu que la version poche paraissait en mars 2011. A Bordeaux, il y a une exposition sur les paysages de Bolano (ceux des Détectives sauvages): http://burdeos.cervantes.es/FichasCultura/Ficha68827_11_3.htm

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  3. >>>Ys : rassure-toi, Bolano est un auteur très accessible. C'est d'ailleurs l'une de ses grandes qualités, que d'aborder des thèmes souvent profonds et complexes en usant d'une écriture suffisamment simple et plaisante pour que ses textes ne soient jamais lourds.

    >>>Anonyme : tu as raison de souligner l'aspect également drôle des Détectives sauvages, que j'ai sans doute pas suffisamment évoqué ici.
    Et merci pour l'info sur l'expo : dans la mesure où je vis dans l'agglomération bordelaise, elle m'intéresse fortement !

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  4. Bonsoir Ingannmic, non, je ne laisse pas tomber cet auteur, je compte bien en lire un ou deux autres dont celui-ci (j'aime beaucoup le titre). Merci pour ton passage chez moi. Bonne soirée.

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    1. Je me tiendrai donc au courant de la suite de tes aventures Bolañesques...

      Bonne soirée à toi.

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