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"Corregidora" - Gayl Jones

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"Je suis Ursa Corregidora. J’ai des larmes à la place des yeux. Toute petite on m’a obligée à palper mon passé. Je l’ai tété à la mamelle de ma mère." Ursa, la narratrice, chante le blues au Happy’s Café, un cabaret du Kentucky, ce qui rend Mutt, son mari, furieusement jaloux. Un soir que sa frustration dégénère, il frappe la jeune femme, qui fait une mauvaise chute, et non seulement perd l’enfant qu’elle attendait, mais doit par ailleurs subir une ablation de l’utérus qui la condamne à la stérilité. Elle quitte son mari, et tente de se reconstruire, finit par céder aux approches du patron du Happy’s Café, et sans surprise, par le regretter… A la brutalité du présent, s’ajoute l’obsédant traumatisme qu’Ursa a hérité de ses ascendantes Corregidora, nom qu’elle doit au négrier et proxénète portugais qui, en plus de faire de son arrière-grand-mère une l’esclave, lui donna un enfant. Ursa est d’une lignée de femmes marquée par l’asservissement, la violence et les abus sexuels, de...

"Retour à Harlem" - Claude McKay

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"Harlem, c’est le péché à l’état pur." Jake est de retour à Harlem. Parti en Europe comme engagé volontaire, il a fini par déserter, déçu d’être utilisé comme manutentionnaire alors qu’il pensait combattre sur le front (de la Première Guerre mondiale). La nuit qu’il passe en compagnie d’une jeune femme aussi belle que pétillante le rend aussitôt amoureux. Las, lorsqu’il tente, le lendemain, de la revoir, il est incapable de retrouver son adresse. À sa suite, le lecteur s’immerge dans la frénésie -notamment nocturne- de Harlem, avec ses tripots clandestins où de pauvres diables engloutissent leur paie, ses clubs en sous-sol et ses cabarets où de belles et voluptueuses chanteuses noires vêtues de robes brillantes ou colorées accompagnent le gémissement des saxophones. C’est un univers de fêtes, de musique et de flirt, d’injures promptes et de verbe haut, où la menace de la bagarre, pour une femme ou pour une susceptibilité froissée, est constante.  Un peu hâbleur mais sympathiq...

"Dem" - William Melvin Kelley

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"Chaque fois qu’il croisait un Noir, son cœur cognait sous son manteau. Il poursuivait son chemin en espérant que l’homme ne le suivait pas." New York, années 1960. Nous suivons le quotidien du couple que forment Mitchell et Tam, au gré d’épisodes hétéroclites, et empreints d’une étrangeté souvent malaisante. Le récit se dote même parfois d’une tonalité à la fois macabre et vaguement absurde, mais je ne vous en dis pas plus, je ne voudrais pas gâcher l’effet de surprise (voire l'effarement) que suscitent -volontairement- certaines scènes…  Assez vite en tous cas, le lecteur est acquis au fait que nos deux héros, ainsi que la plupart de ceux qu’ils fréquentent, sont de détestables personnages. Les conversations sont émaillées de réflexions racistes ou, selon les interlocuteurs, sexistes. Incapables de remettre en cause leur système de pensée, ils adaptent la réalité, quitte à la tordre, aux préjugés dont ils sont pétris. Tout semble leur réussir, ils vivent dans un bel app...

"Un autre tambour" - William Melvin Kelley

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"Il me parut étrange d'être en voiture avec autant de Noirs, bien qu'ils fussent mes amis." L’Almanach de poche (fictif) de l’année 1961 nous apprend deux choses à propos de l’Etat de Willson, hormis qu'il est situé dans le Sud des Etats-Unis. La première, c’est qu’il doit son nom au général confédéré qui y vit le jour. La seconde, c’est qu’un étrange événement s’y est produit au cours du mois de juin 1957 : tous les habitants noirs de l’Etat l’ont brusquement quitté, pour des raisons restant encore à éclaircir. Le roman, au fil de différents points de vue, tente d’expliquer ce phénomène, en prenant l’exemple de Sutton, bourgade natale du confédéré susnommé.  Cela commence par une légende. C’est M. Harper, sorte de doyen de la ville dont la parole est unanimement respectée, qui, au lendemain de la désertion de Sutton par l’ensemble de sa population noire, la relate aux membres de la communauté qui ont pris l’habitude de se réunir à l’épicerie de la ville. Elle rem...

"Si Beale Street pouvait parler" - James Baldwin

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"(…) à mon avis l’Amérique n’est un don de Dieu pour personne – ou sinon les jours de Dieu sont comptés. Ce Dieu (…) a le sens de l’humour plutôt sinistre. (…) il faudrait lui écraser les couilles, s’Il était un homme. Ou si vous en étiez un." Elle se prénomme Clémentine, mais tout le monde l’appelle Tish. Elle a dix-neuf ans, et le malheur vient de fracasser sa vie : son fiancé Fonny, dont elle est enceinte, vient d’être mis en prison, accusé de viol. Nous sommes à Harlem, dans les années 1970. Fonny est noir, et parce qu’il a refusé de se comporter comme un "nègre", il s’est attiré les foudres d’un flic qui a ainsi trouvé le moyen de se venger. Aucune preuve ne vient étayer l’accusation mais, entre subornation de témoin et disparition de la victime, repartie dans son Porto-Rico natal, tout joue contre lui… Il peut en revanche compter sur l’appui indéfectible de son père et de la famille de Tish, qui se démènent pour le sortir de cet enfer. Tish est la narratrice, ...

"La fureur de la rue" - Thomas H. Cook

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"Puis il se souvint du jour où petit garçon, il s'était rendu compte que les Noirs s'asseyaient toujours au fond du tramway. Il avait demandé à sa mère qu'elle en était la raison, et elle s'était contentée de lui répondre : "Parce que ça leur plaît" Birmingham, Alabama. En ce printemps 1963, l’ambiance y est explosive. Comme tant d’autres, la ville est le théâtre de manifestations du Mouvement pour les droits civiques, et la présence de Martin Luther King, galvanisante pour la population noire, y exhausse les tensions. Au gré de défilés silencieux, de blocages de la circulation, ou d’occupations de de self-services, les militants du Mouvement s’efforcent à la non-violence. Les forces de l’ordre n’ont pas tant de scrupules : la brutalité policière -arrestations arbitraires, matraquages, manifestants repoussés au jet d’eau…- est permanente. La situation menace peu à peu de basculer dans le chaos… C’est dans ce contexte que nous suivons le sergent Ben Wellma...

"C’est bon pour ton ego" - Béatrice Crespo-Binisti

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"Marguerite meurt d’envie de tordre le cou de sa fille, mais la garce a un cou solide, un vrai cou de taureau." Le premier texte donne le ton… En pleine prise d’otages dans une supérette, la narratrice tergiverse in petto sur le contenu du diner qu’elle va cuisiner pour l’anniversaire de son compagnon. Le surgissement incongru de cette réflexion anodine désamorce la tension dramatique, y introduit une légèreté qui surprend et fait sourire. On retrouve tout au long du recueil, en fonction des textes, cette cohabitation entre gravité et dérision, entre tragique et humour. Un humour délicieusement décalé, mais parfois aussi délicieusement noir. La légèreté est cependant loin de l’emporter à tous les coups, même si on trouve presque à chaque fois une occasion de sourire (parfois très jaune).  Certaines situations sont dramatiques -suite à une chute, une vieille dame se retrouve à la merci de sa fille acariâtre, qui la sépare de son chien ; un homme rejeté par sa maitresse projet...