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LIRE (SUR) LES MINORITES ETHNIQUES

"Le dictionnaire khazar" - Milorad Pavić

"(…) tout écrivain peut, sans se fatiguer, tuer son héros en deux lignes. Mais pour tuer le lecteur, un être humain en chair et en os, il suffit de le métamorphoser un seul instant en personnage du livre, en héros de la biographie. Ensuite, c'est facile…" "Le dictionnaire khazar" est un texte mortel. Au sens propre du terme. Mais l’auteur nous rassure, très sérieusement, d’emblée : le lecteur d’aujourd’hui ne sera pas condamné à mourir, comme ce fut le cas de ses prédécesseurs qui en 1691, eurent en main sa première édition empoisonnée. Ça commence bien, hein ? On se croirait dans "Le Nom de la rose"…  Comme son nom l’indique, l’ouvrage n’est d’ailleurs pas vraiment un roman -bien qu’il soit éminemment romanesque- mais plutôt un "Lexique en 100 000 mots", comme le précise son sous-titre. Un lexique qui a pour sujet l’étude d’un événement aussi fameux que mystérieux qui eut lieu au VIIIe ou IVe siècle : la polémique khazare. Peuple guerrier et

"L’eau rouge" - Jurica Pavičić

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Ceux qui restent. Croatie, septembre 1989. Dernier automne du communisme. Le village côtier de Misto se prépare comme chaque année à sa fête des pêcheurs, qui sera pour la famille Vela le point de départ d’un interminable cauchemar. Leur fille Silva disparaît dans la nuit du 23 au 24. Elle a dix-sept ans. "L’eau rouge" est le récit de la déflagration puis de la lente érosion que cette disparition provoque dans la vie de ses parents Jakov et Vesna, et de son frère jumeau Mate. La police retrouve dans le jardin familial un paquet d’héroïne. Des suspects sont interrogés, puis relâchés, le temps d’ouvrir la porte aux rumeurs et aux soupçons qui, malgré l’absence d’accusation, entacheront définitivement certaines réputations, biaisant les relations, installant un climat de méfiance et de rancune. L’enquête est menée par Gorki, flic empathique et obstiné, fils d’un héros de temps rouges et bientôt révolus. L’affaire Silva Vela se dissout dans le marasme politique et socio-économiqu

"Mémoires des terres de sang" - Inara Verzemnieks

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"Appartenir à une famille signifie connaître d’instinct les subtilités cachées derrière certains silences et leur raison d’être". Fille, petite-fille et arrière-petite-fille d’exilés lettons, Inara Verzemnieks a été élevée par ses grands-parents Livija et Emils. Elle ne voyait sa mère, déchue de ses droits parentaux, que rarement, et son père, alcoolique suite au traumatisme de son expérience au Vietnam, n’était guère plus présent. Elle a ainsi grandi à Tacoma (dans l’Etat de Washington), au contact d’une petite communauté lettone entretenant précieusement la transmission à ses descendants des rites, des traditions et de la langue de son pays d’origine. Sa grand-mère l’a par ailleurs abreuvée des souvenirs de la ferme de Lembis où elle passa son enfance et une partie de sa jeunesse avant de partir vivre à Riga. Une ferme héritée de l’aïeul Andrejs Smits qui en 1882 devint le premier membre de la famille à posséder la terre sur laquelle ses ancêtres avaient vécu et trépassé av

"Le tour du cadran" - Leo Perutz

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A rebours. J’aime bien retrouver de temps en temps Leo Perutz, ce que le Mois de l’Europe de l’Est me donne l’occasion de faire au moins une fois par an. Et le plaisir est à chaque fois au rendez-vous, malgré (ou grâce à) la diversité de ton et de genre qui caractérise l’œuvre de l’auteur. Le lecteur est avec "Le tour du cadran" (titre qui ne dévoile son sens qu’à la toute fin de l’intrigue) plongé dans course effrénée, au côté de Stanislas Memba, personnage peu sympathique, au comportement étrange et incompréhensible. Sa course même paraît d’abord dénuée de sens, portée par une instabilité qui évoque une forme de démence. Stanislas, étudiant, est un grand gaillard de vingt-cinq ans. Au cours d’un périple qui l’emmène d’une épicerie à un jardin public, puis vers divers autres lieux, il est à chaque fois à l’origine de scènes devenant conflictuelles en raison de ses sautes d’humeur et de son esprit contradictoire : la manifestation d’un appétit vorace se transforme en dégoût é

"Kukolka" - Lana Lux

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Je serai brève, dans la mesure où cette lecture a été bien laborieuse… La narratrice, Samira, a sept ans lorsque commence le récit. Elle vit dans un orphelinat d’Ukraine, où les enfants subissent les vexations et la brutalité des surveillantes. Avec son physique de tzigane, la fillette suscite par ailleurs l’aversion non seulement des adultes mais aussi de ses camarades. Pour tenir, elle s’accroche à une promesse faite par sa meilleure amie Marina, récemment adoptée par un couple allemand : dans une lettre qu’elle lui a envoyée depuis son nouveau foyer, elle lui écrit qu’elle lui garde une place dans sa chambre, et qu’elle pourra bientôt la rejoindre. Dès lors, Samira n’a qu’une obsession : partir en Allemagne. Aussi, un beau jour, après une énième et injuste humiliation, elle saisit l’occasion de s’enfuir de l’orphelinat, et se retrouve seule, livrée à elle-même, dans Kiev. Elle a alors dix ans. C’est le début d’un parcours cauchemardesque. Elle intègre un groupe d’adolescents qui vol

"Les pérégrins" - Olga Tokarczuk

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"Balance-toi, remue-toi ! Bouge ! Y a que comme ça que tu pourras lui échapper. Celui qui dirige le monde n'a pas de pouvoir sur le mouvement. Il sait que notre corps en mouvement est sacré. Tu lui échappes que quand tu bouges. Il n'a de pouvoir que sur ce qui est immobile et pétrifié, sur ce qui est passif et inerte." Les pérégrinations du roman d’Olga Tokarczuk sont d’une surprenante diversité. Il est d’ailleurs lui-même une pérégrination, en forme de coq-à-l’âne, nous emmenant d’un épisode à l’autre sans que l’on saisisse toujours la logique de leur enchaînement ; mais sans doute n’y a-t-il aucune logique à chercher, le mieux étant de se laisser porter par le voyage, d’en accepter les cahots, de jouir de ses surprises… Comment, dès lors, résumer "Les pérégrins" ? Il y a bien un fil, que l’on suit tout du long de la traversée, tiré par une narratrice (l’auteure ?) férue de voyage depuis qu’enfant, elle a effectué sa première pérégrination, à pied, à traver

"Moscou" - Schalom Asch

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"La vie n’est pas faite d’idées mais d’actes quotidiens. Les idées retournent au ciel comme des âmes, et sur la vie pèse le poids des actions." "Moscou" est le dernier volume de la trilogie Avant le Déluge de Schalom Asch, et on peut dire qu’il la clôt en beauté ! Dans le précédent volet, nous avons laissé Zakhari à Varsovie, théâtre de la révolte d’une population affamée et accablée par un hiver terrible, violemment réprimée par les forces de l’ordre. Les dernières pages du récit évoquaient par ailleurs l’information, relayée par tous les journaux, de l’assassinat d’un archiduc autrichien dans une ville de Serbie ou de Bulgarie… Nous le retrouvons à Moscou, devenue, à l’aube de la Révolution, la première ville du pays. Les éléments les plus divers y accourent ainsi depuis tout l’Empire, y compris des juifs à qui la ville était interdite à l’époque du Tsar. La ville est sur le pied de guerre. L’esprit de rébellion s’exprime à la moindre occasion, les domestiq