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"Flush : une biographie" - Virginia Woolf

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"Il est naturel qu'un chien toujours couché avec la tête sur un lexique grec en vienne à détester d'aboyer ou de mordre; qu'il finisse par préférer le silence du chat à l'exubérance de ses congénères et la sympathie humaine à toute autre." "Flush", ainsi que le précise son sous-titre, est la biographie d’un chien. Mais pas n’importe quel chien. En effet, Flush est un épagneul cocker, race considérée depuis des siècles comme éminemment noble, dont les représentants " avaient leur place aux côtés du roi ". Il voit le jour vers 1842, au sein d’une famille bourgeoise désargentée établie à la campagne, ce qui lui permet de profiter, au cours de ses premiers mois, du grand air et d’une belle liberté de mouvement. Un changement radical de mode de vie survient avec son adoption, à Londres, par Miss Barrett, jeune femme qu’une mystérieuse maladie -probablement d’ordre psychologique- paralyse. Elle passe ainsi la majeure partie de son temps confinée ...

"Ladies in blues" - Michel Quint

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"Aux premières notes qu’il en a tirées, (…) j’ai compris que ce type avait notre destin dans ses poches". "Ladies in blues" regroupe deux courtes histoires, variations autour des femmes et du blues donc, dans la double acceptation, musicale ou psychologique, du terme.   La première tire son titre de l’établissement que tient le narrateur. Le Yellow Dog est une ancienne petite ferme de la campagne lilloise reconvertie en club de jazz. Un quintet y joue pour des clients qui dinent ou boivent un verre sous des lumières tamisées. Sam -ainsi surnommé par ses acolytes en référence au barman d’un vieux western- y est à la fois associé et serveur. C’est un homme posé, visiblement sans passion, que l’on dit "estropié du sentiment". Ce que tout le monde ignore, y compris la principale intéressée -à moins qu’elle ne le cache bien-, c’est que Sam aime la chanteuse du Yellow Cab. Wanda sent le tabac froid et elle n’est plus de la première jeunesse mais elle est doulour...

"L’affaire Kovac" - Howard Fast

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"Qu'est-ce que l'humanité ? A-t-elle la moindre signification, n'est-ce pas un simple accident de la nature, un bouleversement de la structure moléculaire ?" Le premier texte donne son titre au recueil. On y assiste à l’assemblée annuelle que tient le Conseil d’une entreprise internationale, où règne une parfaite parité hommes/femmes, et où sont représentées toutes les nations et toutes les races. S’y traite, comme chaque année avant tout autre dossier, la question morale et légale que représente le "problème" Steve Kovac, le magnat à l’origine de la fondation de l’entreprise. Quelle est la nature de ce problème ? Et quelle question pose-t-il aux membres de cette assemblée qualifiée d’humaniste, dont l’influence dominante s’étend à l’ensemble de la Terre ? Je laisse planer le mystère, l’un des plaisirs de cette lecture consistant à découvrir, à chaque texte, le fondement des étranges intrigues imaginées par l’auteur. La deuxième nouvelle nous plonge dans...

"Bartleby le scribe" - Herman Melville

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"Je préfèrerai pas." On entend souvent dire que la littérature pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Si un livre est l’illustration de cet adage, c’est bien ce court texte d’Herman Melville. L’homme qui nous raconte cette histoire se définit comme un "d’un certain âge". Il a pendant trente ans été notaire à New-York. C’est dire s’il en a vu passer, des scribes. A l’époque dont il est question, deux de ces énergumènes travaillent d’ailleurs dans son étude. L’un, parce qu’il abuse de l’alcool à midi, n’est productif que le matin, tandis que l’autre, dont l’humeur massacrante du début de journée s’éclaire au fil des heures, ne l’est que l’après-midi. Mais notre narrateur renonce sans hésiter à la biographie de tous les scribes, aussi singuliers soient-ils, pour celle de l’extraordinaire Bartleby. Recruté pour pallier les performances fragmentaires de ses deux employés, ce nouveau scribe présente pourtant un aspect peu remarquable, et même "singuliè...

"Orphelins" - Charles D’Ambrosio

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"Je voulais un forum pour mes doutes, aussi ai-je laissé mes errances sur la page." (Avant-propos à l’édition française) C’est un recueil, non pas de nouvelles, mais de textes hybrides, entre articles et essais, dont les sujets, très divers, parcourent aussi bien le champ intime que la sphère publique, les deux s’entremêlant souvent. L’aspect personnel des récits est fortement marqué par la perte et les tragédies vécues par les hommes de la famille de Charles D’Ambrosio. L’un de ses frères s’est suicidé, l’autre est atteint de troubles psychiatriques, son père était agoraphobe… l’évocation de ces drames est exempte de toute sensiblerie -mais non de sensibilité-, et donne lieu à des textes touchants et riches de réflexions qui dépassent l’individualité, comme lorsqu’il philosophe sur l’addiction au jeu en partant de l’exemple de son frère, explique son goût pour les voyages clandestins dans des trains de marchandises, ou décortique les mécanismes de l’attachement au lieu de no...

"Les dangers de fumer au lit" - Mariana Enríquez

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"Ce n'est pas très cohérent d'essayer d'étrangler un mort, mais on ne peut pas être désespéré et raisonnable en même temps." La lecture de ce recueil a confirmé, après celle de son roman " Notre part de nuit ", l’appétence de Mariana Enríquez pour la noirceur et le surnaturel, et sa capacité à les entremêler. Il est ainsi abondamment question, dans "Les dangers de fumer au lit", de fantômes et de zombies, d’idoles malfaisantes, de sorts maléfiques, de cultes souterrains… Et ce n’est pas sous la forme d’ectoplasmes éthérés que s’y manifestent les errants de l’au-delà. Ils se parent au contraire d’une matérialité organique qui les rend d’autant plus repoussants, comme dans "L’exhumation d’Angelita", où la grand-tante de la narratrice, décédée en bas âge des décennies auparavant, lui apparait recouverte des sanies d’une putréfaction qui lui reste sur les doigts lorsqu’elle tente de se débarrasser de l’intruse. Les pestilences de ces appa...

"Les meilleures nouvelles" d’Anton Tchekhov

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"- Au revoir, poil au mouchoir. Et il agite son mouchoir." Le recueil, composé par ses traducteurs, regroupe 19 nouvelles écrites ou publiées entre 1886 et 1903. Si certains textes nous emmènent dans des lieux divers -l’infirmerie d’un navire avec ses membres d’équipage malades, une usine où les travailleurs ne mangent pas à leur faim…-, la plupart d’entre eux ont comme point commun leur environnement campagnard. La nature y est ainsi très présente, par des descriptions champêtres parfois exaltées (lorsque l’intrigue s’y prête), mais le plus souvent précises et évocatrices.  Anton Tchekhov y anime une galerie de personnages qu’il observe, par moments, avec une certaine férocité. La bourgeoisie rurale y occupe une place importante. Elle peut être désargentée, ou tenir salon dans des chefs-lieux de province en s’illusionnant sur sa légitimité à y représenter la vie culturelle et artistique. Je ne connais pas l’œuvre d’Anton Tchekhov, et j’avoue avoir été étonnée par la place im...