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"Triste tigre" - Neige Sinno

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"Si je ne le dis à personne, ça n’existe pas. Tant que personne ne le sait, ça n’existe pas." Comment écrire l’inceste ? C’est, en simplifiant, la question que se pose Neige Sinno tout au long de ce récit aussi saisissant qu’intelligent. L’auteure a subi de ses sept à ses quatorze ans des viols systématiques de la part de son beau-père. L’homme, sympathique, sportif et charismatique, a vingt-quatre ans lorsqu’il rencontre sa mère, alors maman de deux fillettes. Deux autres enfants naissent de leur union ; la famille ainsi recomposée mène une vie bohème et un peu marginale dans les Alpes. En 2000, devenue adulte, Neige Sinno porte plainte contre son violeur, qui passe facilement aux aveux. Il est condamné à neuf ans de réclusion, et ce parcours judiciaire constitue une exception dans ce genre d’affaires. En effet, comme l’auteure le rappelle, moins de 10 % font l’objet d’une plainte, et 74 % des dossiers de viols sont classés sans suite. Voilà, schématiquement, un résumé des f...

"Dernier cri" - Hervé Commère

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"Dans les affaires, on n’assassine pas après, on élimine avant." Dans une autre vie, Etienne Rozier a été flic. Trouvant ce métier bien peu rémunérateur au vu de l’investissement requis, il est devenu garde du corps pour sommités politiques, avant de se faire engager par des lobbyistes pour lesquels il se charge des basses œuvres, notamment en intimidant les idéalistes susceptibles d’empêcher les puissants de gagner leurs millions en toute impunité. Une reconversion qui ne lui pose aucun problème de conscience, puisque " le monde ne s’en porte pas plus mal ", et qu’il s’en met plein les poches… Sa vie personnelle est elle aussi source d’épanouissement. Sa femme Nelly et lui sont les parents d’une lumineuse petite Telma, eue sur le tard, et d’un adolescent un peu rebelle, avec qui la communication est parfois difficile -rien que de très banal, en somme… Sa vie bascule lors d’une escapade à Rotterdam où il retrouve une ancienne camarade de classe rencontrée quelques j...

"Tokyo ville occupée" - David Peace

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"Car derrière moi, ce matin, sur ces quais gris, il y avait les ruines de Tokyo, les ruines du Japon, de l'Asie, de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et de notre Mère Patrie la Russie et de nos Républiques Soviétiques, de l'Allemagne et de l'Europe, toutes rasées derrière moi, partout, tous ces lieux et toutes ces populations broyées, les villes et les gens, les gens souffrant encore." Janvier 1948. Un homme se présente dans une succursale de la Banque impériale de Tokyo, prétendant représenter le Ministère de la Santé publique. Sous le prétexte d’un traitement préventif contre une épidémie de diphtérie qui sévirait dans leur quartier, il fait ingérer du poison aux seize employés présents. Douze décèdent. David Peace s’empare, à sa manière si particulière, de ce fait divers, connu au Japon comme l’Affaire Teigin. Ceux qui connaissent bien l’auteur ne seront guère surpris par son entrée en matière, préambule halluciné et lancinant qui met en scène un écriva...

"Ironopolis" - Glen James Brown

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"-Je le vois d'ici, Mrs Jean Pauv'type. Tu fais de délicieux rognons de bœuf, et tu sais comment bien nettoyer les taches. Mr Pauv'type te met en cloque plusieurs fois et vos petits Pauv'type sont de vrais anges. Bien joué Jean ! Maintenant, tout ce qu'il reste à faire, ben c'est de tuer le temps jusqu'à devenir une vieille bique fripée aux doigts abîmés par la cuisine." Premier roman impressionnant de virtuosité, "Ironopolis" est construit comme un puzzle dont les six parties, affirme Glen James Brown, peuvent être lues dans n’importe quel ordre. Je l’ai personnellement lu dans celui présenté par l’auteur. Ironopolis est le surnom de Teesside, ville de métallurgistes qui vit à son apogée 40 000 personnes travailler dans les forges qui faisaient rougeoyer ses ciels nocturnes. Comme beaucoup de cités industrielles, Teesside a dû faire le deuil de son âge d’or suite au démantèlement et à la délocalisation de sa principale activité, qui a mi...

"Les saisons de la nuit" - Colum McCann

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"Qu'est-ce que ça fait d'être vivant ? Ça me plairait, tu crois ?" C’est l’histoire de ceux qui bâtissent la ville, mais l’habitent en ses lieux les plus sordides, les plus rudimentaires, et en subissent la violence. C’est en 1916 que nous faisons la connaissance de Nathan Walker, qui travaille dans ses tréfonds, venu de sa Géorgie natale pour creuser le tunnel ferroviaire qui reliera, sous l’East River, l’île de Manhattan à Brooklyn. Là, sous le fleuve, entre ces forçats du limon qu’on appelle les "gadouilleux" et qui, travaillant sous air comprimé, sont quotidiennement soumis au risque de la maladie des caissons, règne la démocratie d’une obscurité qui occulte les couleurs de peau. La dureté du travail est par ailleurs la même pour tous, irlandais, Polacks, Ritals ou, comme Walker, noirs. A dix-neuf ans, c’est un grand gaillard athlétique qui impressionne par son aisance physique.  En plus de Walker, l’équipe compte Vanucci, un grand italien filiforme qui ...

"La cavale du Dr Destouches"- Christophe Malavoy & Paul et Gaëtan Brizzi

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"Oh maintenant, compromis à fond... Ennazifiés jusqu'à la glotte... Et alors ?... Faut jamais se montrer difficile sur les moyens de se sauver de l'étripade…" En octobre, Moka nous invitait, dans le cadre de la sixième édition des Classiques fantastiques, à se pencher sur la vie de château. Sortir de mes étagères où il dormait depuis des années, le roman de Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre, était donc une évidence. Mais après cinquante pages d’une lecture rendue pénible par l’aigreur hargneuse et redondante qui caractérise le texte, j’ai jeté l’éponge. Je me suis alors souvenue d’une adaptation graphique acquise il y a quelques années... Plus précisément, "La cavale du Dr Destouches" s’inspire librement de la trilogie célinienne qui regroupe, en plus de D’un château l’autre, Nord et Rigodon. 1944. Les troupes américaines progressent inéluctablement vers Paris, régulièrement bombardé par la RAF. Ça sent le roussi pour l’occupant et ses sympathisan...

"Chronique des jours de cendre" - Mia Couto

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"- Il existe deux types de Noirs : les chaussés et les Noirs." J’ai découvert Mia Couto avec " L’accordeur de silences ", qui m’avait envoutée par sa langue évocatrice et son étrange atmosphère. Le Mois Africain de Jostein et une proposition de lecture commune de Nathalie ont constitué une double occasion de le retrouver. Ça n’a pas très bien commencé, à vrai dire... Mon premier choix s’est porté sur Terre somnambule, dont la dimension énigmatique -symbolique ?- m’a rapidement découragée. Et je dois avouer que, par précaution, mon second choix a essentiellement été dicté par la brièveté de l’ouvrage… par chance, ça a cette fois été une bonne pioche ! 1974, dans le village mozambicain de Moebase, perdu en pleine brousse. Les blancs y sont rares. Parmi eux, Lourenço de Castro qui, comme son père avant lui, est inspecteur de la PIDE, la police politique de Salazar. Un père dont la mort est à l’origine d’un traumatisme : alors qu’il précipitait des prisonniers du haut d...