"Le chemin s'arrêtera là" - Pascal Dessaint
"Quand on est faible, on a tort".
On fait ainsi connaissance notamment avec ...
Comme dans "Les derniers jours d'un homme", Pascal Dessaint explore avec "Le chemin s'arrêtera là" les conséquences de la crise économique sur les destinées individuelles de ceux dont la voix nous parvient rarement. Et comme dans "Les derniers jours d'un homme", il focalise son récit sur un microcosme représentatif de cette crise et de ses corollaires, un récit qui prend racine dans le paysage de grise désolation que constitue La Digue, son canal devenu quasiment inutile, son usine fermée, son atmosphère polluée, et sa centrale nucléaire dont la silhouette massive parachève la dimension mortifère de ce triste tableau.
On est loin, ici, des malheurs du monde mis en exergue au journal de 20 heures ou sur les chaînes d'info continue, même si la situation désastreuse de ce coin de France est en partie le résultat d'une conjoncture économique mondiale. On approche l'intime, le quotidien. On se collette avec la laideur d'un malheur sordide, avec les mauvais travers que la pauvreté et l'exclusion, chez certains, révèlent ou exhaussent.
"Dans le meilleur des mondes, on ressortirait les guillotines. Ce n'est plus les châteaux de pierre qui seraient pris d'assaut, mais les tours vitrées des multinationales".
En suivant les parcours de plusieurs individus, qui n'ayant pas appris à se projeter vers d'autres horizons ou craignant, s'ils partent, d'être considérés comme des bêtes curieuses par les gens normaux, sont irrémédiablement englués à La Digue, Pascal Dessaint se fait ainsi le portraitiste d'une misère moderne qui se transmet d'une génération à l'autre...
On fait ainsi connaissance notamment avec ...
... Louis, adolescent qui depuis que sa mère a été écrasée par un camion citerne, vit avec son oncle Michel, ce dernier étant rongé par la culpabilité depuis la mort de sa sœur, à laquelle une violente dispute l'avait opposé juste avant l'accident.
... Jérôme, un quinquagénaire habitant la solitude de la masure perdue au milieu des dunes qu'il a héritée de sa mère ; la vieille carne lui devait bien ça, après tout il lui a sacrifié quelques années de sa vie...
... Cyril et sa fille Mona, qui occupent une caravane dont l’exiguïté les obligent à partager le même lit...
L'inactivité ou la solitude, voire les deux pour certains, leur laissent le temps de ruminer l'amertume qui les plombe, de subir le poids des erreurs parfois tragiques commises sous le coup de la détresse, de s'adonner à une profonde nostalgie qui éclaire leur passé d'ouvrier d'une lumière trompeusement flatteuse. Hantés par le sentiment d'être délaissés, oubliés du monde, ces hommes souvent brutaux et taiseux en viennent, entre résignation et rancœur, à suivre leur propre morale, leur statut d'exclus leur conférant une sorte d'immunité.
"Qu'est-ce qui était pire ? Tuer un homme, un seul, un parmi la multitude, même d'une façon affreuse, ou bien fermer une usine et plonger du même coup dans le désarroi des centaines et même des milliers de pauvres gars ?"
"Le chemin s'arrêtera là" est le constat de la fin de l'illusion consistant à voir dans le progrès technologique et le développement industriel l'avènement d'une société meilleure pour les hommes. Les inégalités croissantes, les ravages écologiques révèlent les limites d'un système gouverné par le profit au dépens de l'individu qui, ne trouvant plus sa place au sein de la communauté, renoue avec une certaine animalité.
Rares sont les auteurs capables d'atteindre ces sommets de noirceur, de dépasser ce seuil au-delà duquel tout espoir et toute foi en l'homme sont bannis. Pascal Dessaint est maître dans l'art d’asséner le glauque par le truchement de détails a priori anodins, mais que leur contexte rend glaçants. Son roman, ainsi riche d'ellipses et de sous-entendus, est à la fois incisif et extrêmement oppressant. Aussi, je ne comprends pas pourquoi il a éprouvé le besoin d'appuyer la noirceur de son texte en l'émaillant d'événements atroces (meurtres, viols...) dont l'accumulation finit par amoindrir la crédibilité de l'intrigue.
Ce sera mon seul bémol, j'ai encore une fois fortement apprécié cette mélancolie morbide et intense que parvient à exprimer l'auteur, et puis, soyons juste : bien que rares, on compte parmi la galerie de personnages mis scène par Pascal Dessaint, principalement composée d'affreux ou de désespérés, quelques figures plus lumineuses, qui nous rappellent que dans ce bourbier, en fouillant bien profond, on peut encore trouver quelques manifestations d'humanité.
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Déjà que j'apprécie cet auteur, qui sait faire du noir social, vraiment noir mais pertinent, alors là, malgré ton bémol, ce que tu en dis finis de me convaincre ! Un très bel article car oui, la misère sociale se transmet et pour paraphraser l'auteur, c'est peut-être la pire des choses ....
RépondreSupprimerCela m’intéressera d'avoir ton avis sur ce bémol si tu le lis, mais tu verras, c'est un roman qui compte beaucoup -trop- de cadavres dans les placards... sinon, il est très bon, à la Dessaint, quoi, d'une noirceur triste et insondable. Et il a aussi cette capacité à créer des atmosphères poisseuses, grises, plombantes...
SupprimerTrop de noirceur peut devenir difficile à supporter mais c'est le genre d'univers dans lequel je me sens très à l'aise (en tant que lecteur du moins).
RépondreSupprimerOui, je suis comme toi, j'aime les ambiances délétères et ténébreuses, ça donne des textes forts, qui remuent, bousculent...
SupprimerJe sens que ce roman est fait pour moi... Les mélancolies morbides, j'aime ça... (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerDans ce cas, il devrait en effet beaucoup te plaire...
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