LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"L’hôtel du Bon Plaisir » - Raphaël Confiant

"... (ferme ta gueule, Florine, tes fesses sentent mauvais ! Ta chatte est remplie de morpions ! Ton clitoris pue les orteils mal lavés !)".

C’est un bâtiment de quatre étages auxquels s’ajoute un "galetas", situé dans le quartier Terres-Sainville de Fort-de-France, originellement surnommé "Quartier des Misérables" et qui après plusieurs phases, au XXème siècle, de travaux d’assainissement et d’aménagement, devient le plus grand quartier artisanal et ouvrier de la ville. Le fait que chacun de ses niveaux ait été ajouté à une époque différente lui donne une allure insolite. Plus on monte, moins la construction est soignée et plus les conditions de vie s’aggravent. Dans les années 1920 il est destiné, à l’initiative de trois vieilles filles créoles et bigotes (les Vigier de Lamotte), à loger les femmes battues, la marmaille abandonnée et les miséreux des Terres-Sainville. L’Amiral Robert, représentant du Marchal Pétain (et véritable croque-mitaine pour une Martinique qu’il a écrasé sous sa botte) le transforme à son arrivée au début de la Seconde Guerre mondiale en boxon -comprenez en bordel- pour militaires et notables blancs.

Lorsque le récit débute, dans les années 1950, l’établissement a changé plusieurs fois de mains, et si les Vigier de Lamotte, désormais vieilles tout court, en occupent toujours le rez-de-chaussée, personne ne sait plus vraiment qui en est le propriétaire.

Au cours d’une "Comédie créole" en six actes, Raphaël Confiant fait le portrait de ses habitants, à la manière d’un peintre qui progresserait touche par touche et de manière aléatoire. Son récit navigue de 1922 à 1959 sans réelle logique chronologique, et il faut un peu de temps pour s’adapter à cette narration éclatée et se familiariser avec ses multiples personnages.

On trouve à l’Hôtel du Bon Plaisir (ou "HOT L DU BON PLA S R" si l’on se fie à son enseigne bringuebalante) des "quelqu’un", propriétaires de leur appartement, d’autres qui vivotent dans de petites chambres, des vieux garçons ou des mères isolées entourées d’une vaste marmaille… des blancs et des « mulâtres », des chabines et des indiens. L’immeuble compte même parmi ses occupants actuels ou passés un locataire clandestin surnommé "Syrien", un incube violeur et un cadavre… Et ne vous fiez pas à l’allure plus ordinaire de ses autres locataires -Man Florine la marchande de pistaches, Helvéticus le vieil instituteur au français grandiloquent, Jean-André le clarinettiste, Etienne Beauvallon l’habitant du fameux galetas, lui-même célèbre pour avoir terminé premier du classement au baccalauréat de 1949, et tous les autres… car il faudra certes être patient, mais en dévoilant peu à peu certains pans de leur passé -d’autres étant définitivement laissés dans l’ombre- et les circonstances de leur échouage à l’Hôtel du Bon Plaisir, en détaillant ce "rassemblement de destins brisés, d’existences secrètement gardées, de rêves explosés", l’auteur finit par donner consistance et singularité à ses héros.

La découverte de leurs destins et l’immersion dans leur quotidien emmènent le lecteur à la rencontre d’une Martinique multiculturelle et multiethnique, marquée par deux tragédies fondatrices -l’extermination des amérindiens et la barbarie de l’esclavage des noirs- qui ont laissé à ses natifs, quand ils ne sont pas du bon côté de la barrière, le sentiment persistant que rien ne sera jamais possible, en même temps qu’une volonté forcenée de vivre intensément les rares plaisirs à leur portée. C’est la "revanche contre la vie raide", qui incite "le nègre à lâcher quantité de marmaille et à multiplier les concubines", à abuser du rhum ou de l’absinthe. Car si l’esclavage a été aboli, la structure de la société martiniquaise n’a guère été ébranlée, les békés au pouvoir et disposant de toutes les richesses méprisant et infériorisant les noirs. Les relations au sein du peuple sont elles-mêmes soumises à une stricte hiérarchisation, déterminée par les nuances de la couleur de peau ou le pays d’origine, les Indiens se situant à l’extrémité basse de l’échelle.

La vitalité qui émane du petit monde qu’anime Raphaël Confiant pourrait sembler paradoxale au vu de ce triste contexte. Elle est en réalité partie intégrante de l’énergie qui traverse cette société martiniquaise à laquelle elle est indispensable. Question de survie. Et c’est pour le plus grand plaisir du lecteur qu’elle s’exprime, avec sa gouaille moqueuse et vociférante, sa grivoiserie et ses enjolivements d’une réalité trop morose pour qu’on lui reste fidèle…

Réjouissant !


D’autres titres pour découvrir Raphaël Confiant :


Une lecture commune avec Miriam et Fanja, dans le cadre de l’activité "Sous les pavés les pages".

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