"Gens des nuages" - Jemia et Jean-Marie Gustave Le Clézio
"C'est cela, le vrai retour : quelqu'un qui vous ressemble comme un oncle ou une tante, qu'on ne connaît pas mais qui vous attend dans une vallée du bout du monde".
Je suis épatée par les lecteurs capables de lister en quelques titres leurs romans préférés...
J'ai plusieurs fois tenté l'expérience, mais je me retrouve systématiquement devant un insoluble dilemme, lorsqu'il choisit de sélectionner parmi toutes les œuvres qui me viennent à l'esprit les heureuses élues dignes de figurer dans un Top 10.
Ceci dit, il y a au moins un titre pour lequel je n'hésite jamais. C'est "Désert", de Jean-Marie Gustave Le Clézio, roman qui m'a littéralement envoûtée, investie de sa lumière, de sa couleur. J'ai imaginé la lecture de "Gens des nuages" comme une occasion de renouer avec la magie de "Désert".
Dans cet essai co-écrit par Jean-Marie Gustave Le Clézio et sa femme Jemia, le couple évoque le voyage entrepris dans le sud du désert marocain, à destination de Smara et de la Saguia el Hamra, à la rencontre de ceux avec qui Jemia partage des ancêtres communs, et sur le territoire desquels, après deux générations d'absence, elle revient : les Aroussiyine.
Pour s'y rendre, une seule voie d'accès, la même depuis toujours. La route empruntée par Jemia et JMG est donc celle qu'emprunta la famille de Jemia pour émigrer vers les villes, et les pays du Nord ; c'est aussi celle qu'empruntèrent les tribus nomades qui, au début du XXème siècle, menés par le cheikh Ma el Aïnine, tentèrent de fuir l'occupant français (c'est, entre autres, ce long et difficile périple que retrace JMG Le Clézio dans "Désert").
Parallèlement à leur cheminement vers le sud, ils remontent le temps, attentifs aux vestiges, au traces parfois infimes laissées sur ces paysages de sable et de rocaille par les grands noms de l'histoire sahraouie. Ils ressentent ainsi régulièrement la présence de Sidi Ahmed El Aroussi, fondateur de la tribu des Aroussiyine, qui sut réunir sans construire, convaincre sans violence, convertir sans lieu de culte, et qui défendit l'idée d'une proximité avec Dieu favorisée par le dénuement et le silence.
Ils nous emmènent dans un pays de miracles et de mirages, où le mysticisme et le fabuleux réunissent les hommes et les solidarisent. Mais c'est aussi un pays de pierre, de vent, où la nature inhospitalière rend humble et endurant.
"Vivre au désert, c'est aussi être sobre, apprendre à supporter la brûlure du soleil, à porter sa soif tout un jour, à survivre sans se plaindre aux fièvres et aux dysenteries, apprendre à attendre, à mangre après les autres, quand il ne reste plus sur l'os du mouton qu'un tendon et un bout de peau. Apprendre à vaincre sa peur, sa douleur, son égoïsme. (...) Mais c'est aussi apprendre la vie dans un des endroits les plus beaux et les plus intenses du monde, vaste comme la mer ou comme la banquise".
C'est, enfin, l'un des sites les plus anciens du monde, le lieu de rencontre des premiers peuples de la Terre...
"C'est ici que tout a commencé, qu'est née la première histoire de l'humanité, ses croyances, ses structures politiques et familiales, ses inventions techniques".
Cette expérience, pour Jemia ce pèlerinage, sont rapportés sans excès de nostalgie, sans fausse exubérance. Comme dans les romans de JMG Le Clézio, chaque ligne exprime la curiosité, l'intérêt pour l'autre, l'amour de l'humanité dans ses manifestations les plus brutes, les plus pures.
La lumière des immensités sableuses, la rudesse et la simplicité de l'existence de ces habitants du désert, leur générosité, leur absence de crainte face à autrui, et même ce mystérieux mysticisme qui semble imprégner les lieux... tout cela est rendu avec assez de justesse pour toucher, impliquer le lecteur.
C'est aussi l'occasion, pour les auteurs comme pour nous, de mesurer la distance qui nous sépare de ce peuple. En dépit de ses contacts avec le monde actuel, il revient toujours au désert. Les Aroussiyine ont su prendre du progrès ce qui pouvait leur être utile, sans se laisser asservir par lui. Nomades libres, vivant en harmonie les uns avec les autres, leur richesse réside peut-être dans la conscience de leurs limites face à un espace naturel qu'ils ont appris à connaître parfaitement pour s'y adapter.
Ils vivent à mille lieux de notre monde de cartes, de papiers, d'argent, de notre obsession de la propriété, de notre refus de la mort et de la souffrance...
Certes, "Gens des nuages" n'a pas la densité, la puissance fictionnelle d'un "Désert", mais conformément, sans doute, à la volonté de Jémia et JMG Le Clézio, c'est un court mais riche voyage au cœur d'un monde pas si lointain et pourtant irrémédiablement différent.
>> D'autres titres pour découvrir Jean-Marie Gustave Le Clézio :
*Etoile errante
*Onitsha
*Diego et Frida
*Poisson d'or
Je suis épatée par les lecteurs capables de lister en quelques titres leurs romans préférés...
J'ai plusieurs fois tenté l'expérience, mais je me retrouve systématiquement devant un insoluble dilemme, lorsqu'il choisit de sélectionner parmi toutes les œuvres qui me viennent à l'esprit les heureuses élues dignes de figurer dans un Top 10.
Ceci dit, il y a au moins un titre pour lequel je n'hésite jamais. C'est "Désert", de Jean-Marie Gustave Le Clézio, roman qui m'a littéralement envoûtée, investie de sa lumière, de sa couleur. J'ai imaginé la lecture de "Gens des nuages" comme une occasion de renouer avec la magie de "Désert".
Dans cet essai co-écrit par Jean-Marie Gustave Le Clézio et sa femme Jemia, le couple évoque le voyage entrepris dans le sud du désert marocain, à destination de Smara et de la Saguia el Hamra, à la rencontre de ceux avec qui Jemia partage des ancêtres communs, et sur le territoire desquels, après deux générations d'absence, elle revient : les Aroussiyine.
Pour s'y rendre, une seule voie d'accès, la même depuis toujours. La route empruntée par Jemia et JMG est donc celle qu'emprunta la famille de Jemia pour émigrer vers les villes, et les pays du Nord ; c'est aussi celle qu'empruntèrent les tribus nomades qui, au début du XXème siècle, menés par le cheikh Ma el Aïnine, tentèrent de fuir l'occupant français (c'est, entre autres, ce long et difficile périple que retrace JMG Le Clézio dans "Désert").
Parallèlement à leur cheminement vers le sud, ils remontent le temps, attentifs aux vestiges, au traces parfois infimes laissées sur ces paysages de sable et de rocaille par les grands noms de l'histoire sahraouie. Ils ressentent ainsi régulièrement la présence de Sidi Ahmed El Aroussi, fondateur de la tribu des Aroussiyine, qui sut réunir sans construire, convaincre sans violence, convertir sans lieu de culte, et qui défendit l'idée d'une proximité avec Dieu favorisée par le dénuement et le silence.
Rocher de Tbeïla, lieu de pèlerinage des Aroussiyine
"Vivre au désert, c'est aussi être sobre, apprendre à supporter la brûlure du soleil, à porter sa soif tout un jour, à survivre sans se plaindre aux fièvres et aux dysenteries, apprendre à attendre, à mangre après les autres, quand il ne reste plus sur l'os du mouton qu'un tendon et un bout de peau. Apprendre à vaincre sa peur, sa douleur, son égoïsme. (...) Mais c'est aussi apprendre la vie dans un des endroits les plus beaux et les plus intenses du monde, vaste comme la mer ou comme la banquise".
Saguia El Hamra
"C'est ici que tout a commencé, qu'est née la première histoire de l'humanité, ses croyances, ses structures politiques et familiales, ses inventions techniques".
Cette expérience, pour Jemia ce pèlerinage, sont rapportés sans excès de nostalgie, sans fausse exubérance. Comme dans les romans de JMG Le Clézio, chaque ligne exprime la curiosité, l'intérêt pour l'autre, l'amour de l'humanité dans ses manifestations les plus brutes, les plus pures.
La lumière des immensités sableuses, la rudesse et la simplicité de l'existence de ces habitants du désert, leur générosité, leur absence de crainte face à autrui, et même ce mystérieux mysticisme qui semble imprégner les lieux... tout cela est rendu avec assez de justesse pour toucher, impliquer le lecteur.
C'est aussi l'occasion, pour les auteurs comme pour nous, de mesurer la distance qui nous sépare de ce peuple. En dépit de ses contacts avec le monde actuel, il revient toujours au désert. Les Aroussiyine ont su prendre du progrès ce qui pouvait leur être utile, sans se laisser asservir par lui. Nomades libres, vivant en harmonie les uns avec les autres, leur richesse réside peut-être dans la conscience de leurs limites face à un espace naturel qu'ils ont appris à connaître parfaitement pour s'y adapter.
Ils vivent à mille lieux de notre monde de cartes, de papiers, d'argent, de notre obsession de la propriété, de notre refus de la mort et de la souffrance...
Aroussiyines
>> D'autres titres pour découvrir Jean-Marie Gustave Le Clézio :
*Etoile errante
*Onitsha
*Diego et Frida
*Poisson d'or
Elles sont magnifiques ces pphotos !
RépondreSupprimerBonjour Alcapone !
SupprimerLe texte aussi est très beau, il ne faut pas s'en priver ...
vraiment superbes photos ! quant au livre... encore un à sortir de dessous la pile,
RépondreSupprimerbises
N'hésite pas, c'est vraiment un très beau texte... et il se lit avec beaucoup de facilité. Et c'est vrai que les photos qui l'agrémentent augmente encore le plaisir de la lecture.
SupprimerLes gens qui font des commentaires sur les photos, alors que le texte est une critique d'un livre... C'est illogique. Votre critique donne vraiment envie d'en savoir plus!
RépondreSupprimerPeut-être aurais-je dû préciser que ces photos -et d'autres- accompagnent le texte.
SupprimerLe plaisir est donc double... et j'espère qu'il en sera de même pour vous si vous lisez "Gens des nuages".