"L'Adversaire" - Emmanuel Carrère
Être ou ne pas être... Jean-Claude Romand.
Écrire un roman à partir d'un fait divers très médiatisé est une démarche qui peut sembler douteuse.
Que recherche l'auteur d'un tel ouvrage ?
La facilité, parce que l'histoire est déjà prête, les personnages déjà bâtis, la fin déjà trouvée ?
Le sensationnel, et ainsi l'assurance d'un succès commercial ?
Le besoin de comprendre ce qui pousse des individus a priori ordinaires à commettre l'inconcevable ?
C'est cette dernière motivation qui a poussé Emmanuel Carrère, obsédé par "l'affaire Jean-Claude Romand", à écrire "L'Adversaire", ainsi qu'il nous l'explique en introduction du roman qui revient sur cette sordide et incroyable histoire qui défraya la chronique en 1993.
Elle commence avec la découverte des cadavres de l'épouse, des deux enfants et des parents de Jean-Claude Romand. Elle continue avec la révélation de la double vie que mena durant plus de vingt ans ce dernier, rapidement reconnu comme le coupable de l'assassinat des membres de sa famille.
Emmanuel Carrère se place aux côtés de l'accusé, car ce qui l'intéresse, ce sont les mécanismes et les circonstances qui l'ont mené à cette issue fatale. Il le contacte, lui manifeste compassion et respect, le considérant comme quelqu'un à qui "quelque chose d'épouvantable est arrivé". Il ne peut en effet y avoir d'autre explication : Jean-Claude est la victime de forces en lui qu'il n'a pas pu, pas su maitriser.
L'écrivain part sur les traces de l'assassin, parcourt le hameau jurassien de son enfance, où il grandit comme fils unique d'un couple dont le mari, comme ses ascendants, est forestier. Il admire beaucoup ce père solide, courageux, qui ne laisse jamais paraître ses émotions, qui jamais ne se laisse abattre. Il a appris, de lui, à donner le change : la mère est dépressive, il ne faut surtout pas la tracasser, l'angoisser.
Très jeune, Jean-Claude a ainsi pris l'habitude de taire tous ses malheurs et ses petits ennuis, de feindre d'aller toujours bien. Il a appris à mentir, ou tout au moins à taire certaines vérités, y compris, sans doute, à lui-même.
Plus tard, un échec à son examen de première année de médecine fait l'objet du premier mensonge par lequel il pénètre dans un engrenage dont il restera prisonnier durant plus de vingt ans. Cela semble invraisemblable, mais Jean-Claude continue d'aller à la fac comme s'il avait réussi, et parvient à faire croire qu'il obtient son diplôme en fin de cursus. Ses amis étudiants de l'époque, dont Florence, qui deviendra sa femme, n'y voient que du feu.
Ils goberont tout à l'avenant : la prestigieuse prise de poste au sein de l'O.M.S, à Genève, les déplacements professionnels réguliers... alors que, pendant de longues journées, Jean-Claude se promène dans la forêt, fréquente des restaurants suffisamment éloignés de son lieu d'habitation pour ne pas croiser de connaissance, s'offre une liaison...
Pour subvenir aux besoins de sa famille et au train de vie qu'implique son éminent poste de chercheur, il escroque ses proches, gardant les sommes parfois faramineuses que ces derniers lui confient contre la promesse d'un placement fructueux... Entré dans le mensonge par circonstance (à moins que ses habitudes, acquises durant l'enfance évoquée ci-dessus, ne l'y condamnaient de toutes façons), il s'y maintient par nécessité. L'entretenir est devenu littéralement vital, quitte à devenir retors et cruel...
On a du mal à croire qu'aucun soupçon ne vienne effleurer, à un moment ou un autre, les membres de sa famille ou ses amis, on se demande comment il supporte ces longs tête-à-tête avec lui-même, au fil de ces journées de solitude...
On comprend, effectivement, l'obsession d'Emmanuel Carrère, car elle nous envahit aussi : qui est, en réalité, Jean-Claude Romand ? Qui se cache derrière la façade de l'homme respectable, posé, sérieux ?
Et y a-t-il, finalement, quelque chose à découvrir ? Ne serait-il pas, en somme, qu'une sorte de coquille vide ? Et avec quel autre lui-même, plus "réel", pourrait-il renouer, puisque hormis le Docteur Romand, il n'est rien ?
Le roman d'Emmanuel Carrère ne répond pas à ces questions. On devine qu'à aucun moment l'auteur n'est parvenu à percer la carapace que s'est forgée son sujet, à approcher, ne serait-ce qu'un peu, la nature de la folie qui l'habite. Et plutôt que de mentir à son tour, il préfère être honnête avec le lecteur, en avouant le constat de l'inaboutissement de sa recherche.
Que recherche l'auteur d'un tel ouvrage ?
La facilité, parce que l'histoire est déjà prête, les personnages déjà bâtis, la fin déjà trouvée ?
Le sensationnel, et ainsi l'assurance d'un succès commercial ?
Le besoin de comprendre ce qui pousse des individus a priori ordinaires à commettre l'inconcevable ?
C'est cette dernière motivation qui a poussé Emmanuel Carrère, obsédé par "l'affaire Jean-Claude Romand", à écrire "L'Adversaire", ainsi qu'il nous l'explique en introduction du roman qui revient sur cette sordide et incroyable histoire qui défraya la chronique en 1993.
Elle commence avec la découverte des cadavres de l'épouse, des deux enfants et des parents de Jean-Claude Romand. Elle continue avec la révélation de la double vie que mena durant plus de vingt ans ce dernier, rapidement reconnu comme le coupable de l'assassinat des membres de sa famille.
Emmanuel Carrère se place aux côtés de l'accusé, car ce qui l'intéresse, ce sont les mécanismes et les circonstances qui l'ont mené à cette issue fatale. Il le contacte, lui manifeste compassion et respect, le considérant comme quelqu'un à qui "quelque chose d'épouvantable est arrivé". Il ne peut en effet y avoir d'autre explication : Jean-Claude est la victime de forces en lui qu'il n'a pas pu, pas su maitriser.
L'écrivain part sur les traces de l'assassin, parcourt le hameau jurassien de son enfance, où il grandit comme fils unique d'un couple dont le mari, comme ses ascendants, est forestier. Il admire beaucoup ce père solide, courageux, qui ne laisse jamais paraître ses émotions, qui jamais ne se laisse abattre. Il a appris, de lui, à donner le change : la mère est dépressive, il ne faut surtout pas la tracasser, l'angoisser.
Très jeune, Jean-Claude a ainsi pris l'habitude de taire tous ses malheurs et ses petits ennuis, de feindre d'aller toujours bien. Il a appris à mentir, ou tout au moins à taire certaines vérités, y compris, sans doute, à lui-même.
Plus tard, un échec à son examen de première année de médecine fait l'objet du premier mensonge par lequel il pénètre dans un engrenage dont il restera prisonnier durant plus de vingt ans. Cela semble invraisemblable, mais Jean-Claude continue d'aller à la fac comme s'il avait réussi, et parvient à faire croire qu'il obtient son diplôme en fin de cursus. Ses amis étudiants de l'époque, dont Florence, qui deviendra sa femme, n'y voient que du feu.
Ils goberont tout à l'avenant : la prestigieuse prise de poste au sein de l'O.M.S, à Genève, les déplacements professionnels réguliers... alors que, pendant de longues journées, Jean-Claude se promène dans la forêt, fréquente des restaurants suffisamment éloignés de son lieu d'habitation pour ne pas croiser de connaissance, s'offre une liaison...
Pour subvenir aux besoins de sa famille et au train de vie qu'implique son éminent poste de chercheur, il escroque ses proches, gardant les sommes parfois faramineuses que ces derniers lui confient contre la promesse d'un placement fructueux... Entré dans le mensonge par circonstance (à moins que ses habitudes, acquises durant l'enfance évoquée ci-dessus, ne l'y condamnaient de toutes façons), il s'y maintient par nécessité. L'entretenir est devenu littéralement vital, quitte à devenir retors et cruel...
On a du mal à croire qu'aucun soupçon ne vienne effleurer, à un moment ou un autre, les membres de sa famille ou ses amis, on se demande comment il supporte ces longs tête-à-tête avec lui-même, au fil de ces journées de solitude...
On comprend, effectivement, l'obsession d'Emmanuel Carrère, car elle nous envahit aussi : qui est, en réalité, Jean-Claude Romand ? Qui se cache derrière la façade de l'homme respectable, posé, sérieux ?
Et y a-t-il, finalement, quelque chose à découvrir ? Ne serait-il pas, en somme, qu'une sorte de coquille vide ? Et avec quel autre lui-même, plus "réel", pourrait-il renouer, puisque hormis le Docteur Romand, il n'est rien ?
Le roman d'Emmanuel Carrère ne répond pas à ces questions. On devine qu'à aucun moment l'auteur n'est parvenu à percer la carapace que s'est forgée son sujet, à approcher, ne serait-ce qu'un peu, la nature de la folie qui l'habite. Et plutôt que de mentir à son tour, il préfère être honnête avec le lecteur, en avouant le constat de l'inaboutissement de sa recherche.
J'espère que ce récit lui aura au moins permis d'apaiser son obsession, en démythifiant le personnage de Jean-Claude Romand, pour le ramener à la simple stature d'un individu lâche et obnubilé par l'image qu'il renvoie aux autres...
Tu es plus clémente que moi! Je n'ai pas réussi à comprendre la démarche de l'auteur, que je trouve très "putassière" (pardon, rien ne me vient de plus correct), c'était vain, et assumé, ce qui du coup pose la question du "pourquoi"?
RépondreSupprimerBien sûr que se pose cette question du pourquoi, puisque la quête entamée par l'auteur se termine sur une impasse. Mais je me suis dit que justement, le roman devenait le témoignage de cet échec, la relation de l'impossibilité de comprendre l'incompréhensible...
SupprimerEt j'ai cru à ses motivations, lorsqu'il dit avoir voulu tenter de trouver une explication aux actes de Romand, je n'y ai pas vu de voyeurisme.
j'ai beaucoup aimé ce livre, sauf la fin mystique qui a l'air de racheter Romand. Et pas aimé l'adaptation que j'ai vue, je ne sais plus laquelle...
RépondreSupprimerCette fin m'a laissé croire, personnellement, que Romand ne cessera jamais de mentir, son refuge dans la religion n'étant qu'un subterfuge pour se créer un nouveau personnage !!
SupprimerBon, depuis le temps que je me dis qu'il faut que je lise un roman d'Emmanuel Carrère, ce sera peut-être celui-là. Cette affaire a quelque chose de fascinant et ce qui me plait bien c'est que le romancier ne tente pas, visiblement, une reconstitution mais une autre interrogation, j'ai bien compris la démarche ?
RépondreSupprimerA toi de voir... je peux comprendre que pour certains lecteurs, ce livre ait été une déception, car il n'apporte aucune réponse, et pas vraiment d'éclairage sur le drame.
SupprimerMoi, il m'a plu malgré tout !
J'avais vaguement entendu parler du fait divers (étant née en 90) et du roman de Carrère. Ce que sais maintenant, c'est que tu m'as donné envie de le lire, connaissant la fascination de Carrère pour les marginaux et autres esprits tortueux (cf Limonov).
RépondreSupprimerJe ne sais pas s'il te plaira, puisque comme je l'écris dans mon billet, le personnage de Romand, sa "folie" restent inaccessible. L'auteur se contente presque d'énoncer des faits.
SupprimerJe lis ta critique en diagonale, j'espère pouvoir le lire cet été.
RépondreSupprimerBonne lecture, alors !
SupprimerN'hésite pas à revenir par ici pour me rappeler d'aller lire ton avis...
Après lecture, je rejoins tes impressions dans l'ensemble, je n'ai pas vu de voyeurisme non plus dans cette démarche de l'auteur, je trouve justement que l'intérêt du texte est dans la juste distance embarrassée qu'il fait sienne. Il semble de pas savoir très bien où il va dans cette "non reconstitution", et on reste là, au bord de cette folie, à notre place, finalement. Si j'ai bien compris, Romand sera libéré en 2015 ...
RépondreSupprimerNous sommes donc d'accord une fois de plus...
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