"Le jardin d'à côté" - José Donoso
L'exil, par Donoso.
Donoso, c'est pour moi "L'obscène oiseau de la nuit". Une de ces œuvres rares, qui vous marquent probablement pour la vie... Après avoir lu une telle pépite, deux choix s'offrent à vous : se jeter illico sur un autre titre de l'auteur, dans l'espoir de prolonger le plaisir et la magie, ou passer à autre chose, de crainte d'être déçu en réalisant qu'une carrière d'écrivain ne peut sans doute compter qu'un unique roman de cette envergure. J'avais jusqu'à présent adopté la deuxième option, pour finalement me laisser tenter, lors d'une flânerie dans les rayonnages de la médiathèque municipale -où j'avais, cela va sans dire, atterri par hasard-, par "Le jardin d'à côté".
Je ne sais toujours pas si José Donoso compte dans sa bibliographie un autre "Obscène oiseau..." mais si c'est le cas, je ne l'ai pas encore trouvé, ainsi que je l'ai compris dès les premières page du "Jardin d'à côté".
Le narrateur, Julio Mendez, et sa femme Gloria, sont des exilés chiliens qui vivent depuis plusieurs années à Sitges, sur la Costa Brava. Ancien professeur d'université, Julio a tenté sans succès de débuter en Espagne une carrière d'écrivain. Le couple vivote, fréquente un cercle d'exilés sud-américains, qui ont plus ou moins réussi leur intégration. Ils acceptent d'aller passer l'été à Madrid, dans le luxueux appartement que leur prête un de leur riches amis, lui-même parti en vacances. Le jardin sur lequel donnent les fenêtres de la chambre, et à laquelle Julio passe de longs moments à observer le couple de voisins, fantasmant sur la beauté de la jeune épouse, lui évoque celui de la maison familiale où, à des milliers de kilomètres, sa mère malade ne cesse d'agoniser, dans l'espoir que son fils vienne lui rendre une dernière visite. Mais malgré les exhortations de son frère, resté au pays, Julio ne rentre pas, prétextant le risque d'un emprisonnement.
José Donoso développe dans ce roman une réflexion profonde sur l'exil, et plus précisément sur l'exil politique.
Brouillé avec son fils, n'entretenant plus avec sa femme que des relations médiocres, écrivain raté, Julio est arrivé à un moment de son existence où il ne semble pouvoir revendiquer que des échecs. C'est un homme égaré, qui s'accroche à son statut d'exilé politique comme s'il s'agissait là de la seule possibilité pour lui de se définir. Or, il s'agit d'un statut par définition temporaire, parce que le monde évolue, que les dictatures passent, et surtout parce que le monde oublie... Les héros qui ont combattu le régime qui les a poussés à fuir sont vite remplacés par les nouvelles victimes que la marche du dit monde produit presque à la chaîne... et l'exilé chilien fait la place à l'exilé argentin, qui lui-même cède la sienne à l'exilé uruguayen...
Le monde bouge, et l'exilé Julio Mendez marque un temps d'arrêt infini, celui de la victimisation. Car qu'être d'autre que ce déraciné qui peut garder intact le fantasme d'un retour au pays natal, rêve que l'on sait ne pas avoir le courage de concrétiser ? Et que deviendrait-il, au Chili, à part un écrivain raté qui aurait perdu son aura de héros persécuté ? Que serait-il d'autre qu'un chômeur vieillissant, n'ayant pas su conserver le respect d'un fils qui se sent davantage européen que chilien, et qui ne souhaite pas entendre parler d'une traumatisante histoire parentale qu'il ne considère pas comme sienne ?
Le début de cette lecture a été laborieux...
Le rythme est lent, et la façon dont le narrateur se perd dans une tortueuse analyse de sa situation se traduit par de longues phrases parfois lourdes, notamment dans la première partie du roman. Mais après ces débuts un peu difficiles, j'ai fini par trouver un certain charme au ton mélancolique, presque contemplatif, qui émane du récit, et par être touchée par la douloureuse amertume qu'expriment les personnages.
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