LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"En finir avec Eddy Bellegueule" - Edouard Louis

Ça fait mâle...

C'est quoi, être un homme ?
Être pourvu de gros muscles, d'une voix de basse, de larges épaules ?
Avoir la capacité de descendre sans sourciller un fût de bière, oser cogner le premier qui aura fait mine de vous manquer de respect ?
Est-ce refuser de se laisser diriger par une femme, et surtout pas la vôtre, quitte à le lui faire comprendre à coups de poings ?
Est-ce n'aimer que les personnes du sexe opposé, le foot et les bolides, la viande et les revues porno ?

Il a essayé, Eddy Bellegueule, de toutes ses forces, d'en être un, d'homme. Ou du moins, de se conformer à l'image que son éducation, son milieu, lui en avait donné.

Il a été le premier à traiter de "pédale" ce garçon avec lequel il se sentait secrètement des affinités. Il a porté des joggings Airness, maté des films de cul avec ceux qu'il faisait sembler de croire ses potes, il a même essayé le foot... mais il n'a pas supporté l'idée de l'épreuve des vestiaires, cette promiscuité virile et vantarde. Il a fréquenté des filles, pour rassurer son entourage sur sa "normalité", se rassurer lui-même, aussi. Mais rien à faire, il a bien fallu se rendre à l'évidence : Eddy Bellegueule était différent. Maladroit, sensible, efféminé... Et cela n'a pas échappé aux "vrais garçons" vulgaires et costauds qui, chaque matin, l'attendaient dans un couloir du collège pour le tabasser, l'humilier.

Eddy a grandi dans un village de Picardie sinistré, où le chômage, l'alcoolisme, et la pauvreté marquent de leurs stigmates un quotidien morne et médiocre. Trônant souvent dans chacune des pièces de foyers dont les enfants ne mangent pas toujours à leur faim, la télévision est le nouveau dieu des familles, la référence à partir de laquelle se forgent les opinions sur le monde. Ce village forme une société sclérosée, repliée sur elle-même, gangrenée par une misère intellectuelle qui pousse à la cruauté. La différence y fait peur, est stigmatisée, il est de bon ton de mépriser les pédés, de haïr les arabes -quand bien même on n'en a jamais rencontré-...

Edouard Louis est Eddy Bellegueule. C'est lui qui le dit.
Il ne juge pas, ne cherche pas à s'apitoyer sur lui-même. Il dépeint. Des faits. Les insultes et les brimades, l'initiation trop précoce à la sexualité, la maison délabrée, le père inactif et porté sur la bouteille... Il décrit l'enfant et l'adolescent qu'il était de manière objective, avec une maturité qui lui permet de prendre du recul, d'expliquer le cheminement qui lui a finalement permis de s'assumer tel qu'il est.

Il nous démontre, tout simplement, qu'il existe de multiples manières d'être un homme, et qu'il a réussi, envers et contre tout, à trouver la sienne. Et ce faisant, il nous livre un très beau roman, à la fois simple, fort et touchant.

>> Les avis de Sandrine, de Kathel et de Voyelle et Consonne.

Commentaires

  1. Ce livre reçoit ses premiers avis négatifs, il fallait s'y attendre. On parle de manque de recul, ce que je ne comprends pas du tout. Je trouve au contraire que ce jeune homme pose un regard distancié sur le milieu terrible dont il est issu.

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    1. Je suis d'accord avec toi, Édouard Louis a le sens de l'analyse, et de l'auto-analyse, notamment.
      Ceci dit, je peux comprendre que certains voient dans cette peinture de la campagne picarde une sorte de caricature, tant cet univers peut sembler éloigné du nôtre. Malheureusement, je crains qu'il n'y là rien de caricatural : seulement le regard d'un jeune homme sensible qui a su s'extraire de ce milieu et s'en détacher, ce qui était le seul moyen de se sauver..

      J'ai lu aussi que l'on reprochait à ce roman de manquer de qualités littéraires... Malgré la jeunesse de l'auteur, et le fait qu'il s'agisse là de son premier titre, à aucun moment cette idée n'est venue m'effleurer au cours de ma lecture...
      Je trouve au contraire qu'il a trouvé un ton en adéquation avec son propos.

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  2. Je ne l'ai pas encore lu, mais je fais le tour de tous les billets des blogueurs. C'est vrai ce roman (en est-ce vraiment un?) est accueilli diversement par la Toile. Je ne sais pas encore de quel côté je pencherai et ce qui l'emportera chez moi entre ce que tu dis et ce que d'autres dénoncent: la caricature d'un milieu social.

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  3. Un choc pour moi. Un grand premier roman.

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  4. Je rejoins parfaitement ton avis ! Au point de ne pas trop comprendre ce qui a pu gêner à ce point dans ce livre, la réalité sociale décrite ? Pourtant, on sait bien que "ces gens-là" existent ... Le plus scandaleux, pour moi, est la lutte, que tu évoques, du personnage avec son corps, pour lui échapper et rentrer dans le bon camp, celui des durs. Ne pas vouloir être soi, se nier, se combattre, une sacrée souffrance et justement dite.

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    1. Voici un commentaire qui fait plaisir. J'avais fini par croire, à force de lire des critiques si négatives sur ce roman, qu’Édouard Louis avait souffert en vain... (Parce que je suis persuadée que l'écriture d'un tel texte est très douloureuse, même si elle est sans doute en même temps libératrice.)
      Comme toi, j'y ai essentiellement vu ce combat contre lui-même, pour lutter contre sa nature d'abord, puis pour tenter de s'extirper de ce milieu délétère, dans lequel il n'aurait pu survivre en assumant ce qu'il est.

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