LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Rien ne s'oppose à la nuit" - Delphine de Vigan

"J'écris ce livre parce que j'ai la force aujourd'hui de m'arrêter sur ce qui me traverse et parfois m'envahit, parce que je veux savoir ce que je transmets, parce que je veux cesser d'avoir peur qu'il nous arrive quelque chose comme si nous vivions sous l'emprise d'une malédiction, pouvoir profiter de ma chance, de mon énergie, de ma joie, sans penser que quelque chose de terrible va nous anéantir et que la douleur, toujours, nous attendra dans l'ombre".

Face au suicide de sa mère, Delphine de Vigan, démunie, ne sait, dans un premier temps, que faire de cet événement qui suscite de douloureuses questions. Le besoin d'écrire vient par la suite. Un besoin d'abord imprécis, qui se focalise ensuite sur le besoin d'écrire plus particulièrement sur sa mère, et se fait de plus plus pressant. Un travail difficile, éprouvant, mais qui s'est soldé par ce texte touchant et ce beau portrait de femme qu'est "Rien ne s'oppose à la nuit".

En s'appuyant sur des témoignages, des lettres, des films et des photos, l'auteur reconstitue l'histoire familiale, pour tenter d'identifier la faille qui a fini par engloutir Lucile. Troisième enfant d'une nombreuse famille, cette dernière, d'une beauté remarquable, s'est toujours démarquée par sa réserve, cette attitude donnant à penser qu'elle était ailleurs, sa manière de tout observer en silence...

A la tête de cette tonitruante tribu, Georges, le père charismatique, patron d'une petite agence de pub, et Liane, ancienne professeure de gymnastique qui a abandonné sa carrière pour se consacrer à son mari et ses enfants. La famille a peu de moyens, que Lucile permet de compléter en posant, dès son plus jeune âge, pour des photos de mode. Malgré tout, le foyer des Poirier dégage une impression de liberté et de bonheur simple. Est-ce la mort d'un des enfants, survenue par accident, qui entache définitivement la joie du clan ? Ou bien cette apparente félicité n'était-elle qu'une image trompeuse, sous laquelle la souffrance et les frustrations, tapies, n'attendaient qu'un signe pour se révéler ?

Sans doute n'est-ce pas si simple. L'auteur semble peiner elle-même à toucher le point qui fait mal, à identifier la cause réelle du mal-être de sa mère, mais aussi celle du suicide ou de l'alcoolisme de certains de ses oncles et tantes. Derrière le bouillonnement joyeux de l'entité familiale, elle tente de sonder les secrets des destins individuels, de traquer les moments où les fissures se sont produites...

Le récit alterne entre la transcription des anecdotes, des drames, et des moments mémorables vécus par la famille Poirier, et les réflexions que suscitent chez l'auteure ce travail d'écriture. Elle nous livre ainsi ses périodes de découragement, face au constat que Lucile gardera toujours une grande part d'énigme, mais aussi sa prise de conscience sur la réelle utilité de sa tâche. En écrivant sur sa mère, en concrétisant son besoin de tenter de revenir à l'origine des choses, c'est surtout avec elle-même qu'elle se réconcilie. Raconter l'histoire familiale, et ce faisant en transmettre le flambeau, lui permet de se l'approprier avec davantage de sérénité.

Delphine de Vigan réussit un périlleux exercice. Elle parvient à maîtriser suffisamment ses émotions pour faire de "Rien ne s'oppose à la nuit" un texte fort et passionnant, sans jamais tomber dans le pathos.

Commentaires

  1. Pour une fois, je ne rejoins pas complètement ton avis .... J'avais beaucoup apprécié la démarche au départ, le tableau de la famille est vraiment attachant, et puis, j'avais été refroidie par l'accumulation de tragique, puis lassée par l'aspect systématique du retour de la parole de l'auteure. En te lisant, je me dis que j'avais peut-être été un peu sévère, quand même ...

    RépondreSupprimer
  2. C'est justement ce que j'ai apprécié en partie dans ce roman, que ces allers retours entre la "fiction" (ou en tous cas la restitution forcément subjective de l'histoire familiale) et les émotions que suscite chez l'auteure ce qu'elle est en train d'écrire. J'ai trouvé qu'elle s'exprimait avec pudeur et en même temps, qu'elle se montrait honnête envers elle-même. sa démarche m'a semblé relever davantage de la volonté de -se- comprendre, que de s'apitoyer, ou de faire dans le sensationnalisme.

    Maintenant, je peux comprendre que le genre "auto centré" ne plaise pas. J'ai souvent pensé à Lionel Duroy pendant cette lecture (et d'ailleurs Delphine de Vigan s'y réfère), auteur qui ne peut écrire que sur lui-même, dont l'inspiration ne nait que de ses expériences personnelles.
    Ceci dit, le roman de De Vigan n'e ressemble pas vraiment à ce que peut faire Duroy. Son style dégage beaucoup plus d'émotion, et elle montre aussi une volonté de se mettre à la place des autres..

    RépondreSupprimer
  3. Un livre qui m'avait réconciliée avec l'auteur que je trouvais très juste et pudique dans cette oeuvre.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis tout à fait d'accord, le ton est mesuré mais touchant malgré tout.
      C'est le 1er titre que je lis de cette auteure, et je ne sais pas si je renouvèlerai l'expérience, car ce que j'ai lu sur ses autres romans ne me fait pas spécialement envie..

      Supprimer
  4. J'ai adoré ce roman ! J'ai également rédigé un article à son propos il y a quelques temps.
    J'en profite pour te dire que je viens de t'ajouter à la liste de mes blogs, et pour t'inviter à venir visiter ma nouvelle mise en page. Le Monde dans les Livres reprend sérieusement du service !
    Au plaisir de te lire, ainsi que tes commentaires :)

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour Saleanndre,

    Je suis ravie que Le Monde dans les livres reprenne du service. Comme j'en suis "membre blogger", je suis tenue informée de toutes ses parutions, comme cela je ne risque pas de louper un article !
    A bientôt.

    RépondreSupprimer
  6. J'aime beaucoup de Vigan et ce roman très personnel m'avait beaucoup touchée ! Je le trouve toujours sincère et le ton est toujours juste, oui un coup de cœur pour moi ... j'attends dNailleurs son prochain roman avec impatience .

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai ressenti la même chose que toi : Delphine de Vigan fait preuve ici de beaucoup de justesse et de sincérité. Si l'on y ajoute le fait que l'histoire de la famille Poirier est digne d'un roman, cela explique l'engouement suscité par ce titre..

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Compte tenu des difficultés pour certains d'entre vous à poster des commentaires, je modère, au cas où cela permettrait de résoudre le problème... N'hésitez pas à me faire part de vos retours d'expérience ! Et si vous échouez à poster votre commentaire, déposez-le via le formulaire de contact du blog.