"Grossir le ciel" - Franck Bouysse
"Les morts, on a l'habitude de leur pardonner bien des choses, même des choses qu'on ne devrait pas."
Franck Bouysse trouve avec "Grossir le ciel" le juste équilibre entre efficacité et densité pour nous offrir un texte qui, bien que court, nous enveloppe dans une ambiance poisseuse et prégnante.
Les Doges, ferme isolée au cœur des Cévennes, est le domaine de Gus, l'un de ces "bourrus taiseux" qui peuplent ce monde de ruralité abrupte et séculaire. Depuis la mort de ses parents, dans des circonstances sordides, il y vit seul. Hormis une incursion hebdomadaire au village, où il se rend en tracteur pour reconstituer ses frugales provisions, ses seuls contacts avec des êtres vivants sont ceux qu'il entretient avec ses vaches, son chien Mars et Abel, son "voisin" le plus proche -la notion de voisinage est en ces lieux toute relative, les rares habitations perdues dans ce coin de montagne étant généralement distantes de plusieurs centaines de mètres-, et ce qui se rapproche le plus de ce que l'on pourrait considérer comme un ami.
Les relations entre les deux hommes sont placées sous le signe d'un laconisme rustre et d'une pudeur farouche. Non pas qu'ils aient été épargnés, éloignés qu'ils sont a priori de toute agitation humaine, par les douleurs et les drames... Mais les souvenirs susceptibles de lacérer l'imperturbable fil de leur existence fruste, sont maintenus enfouis sous les couches quasi hermétiques de leur apparente insensibilité.
On imagine les intérieurs sombres et confinés de ces vieilles fermes dont les fenêtres restent fermées au cours des longs mois d'hiver, enfermant les odeurs de tabac, de chien humide et d'homme rarement lavé... on imagine l'impassibilité hostile du dehors glacial... Ceux qui, tels Gus et Abel, vivent ici depuis toujours, sont coulés dans la matière extraite des longs mois de silence et de solitude. Espérer une autre vie, nourrir des rêves d'ailleurs, penser au lendemain, sont d'inimaginables possibilités. La vie s'écoule au rythme de la rude monotonie des journées de travail, sous le signe d'un pragmatisme nécessaire, et indissociable de leur nature.
Une série d’événements va cependant venir perturber l'immuable routine de Gus...
Cela commence avec la mort de l'abbé Pierre, que lui annonce la télévision. Étrangement il est touché, perturbé même, par la disparition du vieil homme dont l'altruisme et la simplicité le parait à ses yeux d'une aura de sainteté. Puis, c'est Abel qui fait preuve d'un étrange comportement, devenant méfiant et irritable. Pour couronner le tout, des évangélistes, présences incongrues dans cette immensité enneigée, se mettent à traîner dans les parages.
La tension prend une ampleur croissante, étouffante, la révélation de vieux secrets instille son poison dans les esprits, la carapace censée protéger des émotions, des réminiscences douloureuses, se fissure...
C'est âpre, râpeux, oppressant... bref, c'est à lire !
Tu es sortie vivante de la quinzaine scandinave, ça se fête avec de la neige et du drame bien de chez nous ! j'ai adoré l'idée que tout dérape à partir de la mort de l'abbé Pierre, c'est incongru et finalement, c'est ce qui fait que tu plonges dans la tête de Gus ! Merci pour le lien.
RépondreSupprimerOui, je me remets peu à peu de mes vacances gériatriques... à vrai dire, j'ai lu le Bouysse il y a un petit moment mais tu as raison, les Cévennes c'est pas mal pour les vacances, au moins il y a du relief, et je ne suis pas sûre que Gus ne se montrerait pas plus accueillant que certains danois, dans la mesure où je n'ai rien d'une évangéliste !
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