"Un paquebot dans les arbres" - Valentine Goby
"La maladie, c'est une exagération des rapports de classe".
(Jean-Paul Sartre)
(Jean-Paul Sartre)
C'est un portrait fort touchant que nous livre Valentine Goby avec son dernier roman, "Un paquebot dans les arbres". Le portrait d'une famille, et plus particulièrement celui de Mathilde, qui en est la cadette.
Début des années 50.
"Le Balto", bar-tabac, est le centre névralgique du village de la Roche-Guyon, dans les environs de Paris. Il est la vie de Paulot Blanc, le patron, petit homme doté d'une énergie inépuisable, dont la gaieté et le charisme enchantent les soirs de bals qu'il rythme des trilles de son harmonica. Son épouse Odile a abandonné sans regret les promesses d'une brillante carrière pour vivre aux côtés de ce généreux boute-en -train. Le couple, laborieux, ne compte pas les heures, les longues journées de travail se succédant sans que l'idée de s'accorder une trêve ne l'effleure. Tenir le Balto, c'est comme une vocation, quasiment un sacerdoce, Paulot et Odile ne se contentent pas de servir à boire et de vendre des cigarettes... ils offrent l'hospitalité à qui ont besoin d'un toit pour quelques nuits, font crédit lorsque les fins de mois sont difficiles, les dettes conséquentes tombant la plupart du temps dans l'oubli...
La belle et blonde Alice, leur fille aînée, est chérie par son père, qui ne manque jamais, les soirs de bal, de la faire virevolter au son de quelque valse. Mathilde, dont la naissance a suivi celle d'un fils mort-né, enfant de substitution dont la venue a déçu Paulot, puisqu'il avait déjà une fille, joue au garçon manqué, prenant tous les risques et imaginant toutes les bêtises possibles pour attirer le regard et susciter l'admiration de ce père qui la surnomme "mon p'tit gars", et a tendance à oublier son existence. Le dernier-né de la fratrie, Jacques, est un garçon discret, à croire que l'intrépidité et la dureté de sa sœur ont laissé peu de place à l'expression de sa particularité.
En s'immisçant dans l'existence des Blanc, la maladie va éclater cette cellule familiale, y redistribuer les rôles de chacun. La tuberculose de Paulot, et sa gravité croissante, les précipitent dans une chute qui semble sans fin, jusqu'à la misère, et à un détestable assistanat que le statut de travailleurs indépendants impose aux deux époux sans droit à l'assurance maladie, et à leurs deux plus jeunes enfants. Lors de l'internement de Paulot et d'Odile, elle aussi touchée, au sanatorium d'Aincourt, Mathilde et Jacques sont placés en famille d'accueil. Alice, quant à elle, prend ses distances, ne semble pas se sentir vraiment concernée, elle a son propre foyer à construire, sa carrière d'infirmière à réaliser... de même, la plupart des citoyens de La Roche, y compris les habitués du Balto, bien contents au temps de l'insouciance d'avoir profité de la prodigalité et de la gentillesse du patron, se montrent bien ingrats. Le "tubard" fait peur, la méconnaissance de la maladie entraîne le rejet.
Mais Mathilde est là, Mathilde la fidèle, l'entêtée, qui refuse l'abattement paternel et la séparation, et qui va se révéler être le ciment du clan Blanc, le tenir à bout de bras, endossant toutes les responsabilités, affrontant toutes les difficultés -financières, matérielles, administratives- pour maintenir la cohésion familiale. Elle s'en oublie, s'épuise, déchirée entre la nécessité incontestable du sacrifice et un désir d'émancipation qui suscite un sentiment de culpabilité.
Valentine Goby dote son récit d'une écriture énergique, lui impulse un rythme qui d'emblée immerge le lecteur, et lui permet d'exprimer la force qui émane de son héroïne, ainsi que cette espèce de tourbillon dans lequel les Blanc semblent évoluer en permanence, portés par une vitalité et un courage tenaces.
L'autre force de l'auteur réside dans sa capacité à rendre significatifs les gestes anodins et les regards, les respirations et les silences, qui rendent ses personnages si présents, une qualité d'autant plus essentielle qu'elle met en scène, avec "Un paquebot dans les arbres", des êtres qui se disent peu avec les mots.
Un bien beau roman.
>> Un autre titre pour découvrir Valentine Goby : "Kinderzimmer".
Très beau roman, j'ai adoré le portrait de Mathilde, attachante et touchante sans être pathétique
RépondreSupprimerOui, le ton est juste. Il y a de la tristesse, de la souffrance, mais elles permettent aussi à Mathilde de se construire, finalement. Et puis l'écriture de l'auteur donne une vraie vitalité à son texte.
SupprimerUn bien beau roman, oui. Et pour avoir eu la chance de rencontrer Valentine Goby il y a peu, je peux te dire qu'elle en parle aussi magnifiquement.
RépondreSupprimerJ'ai eu l'occasion moi aussi de l'entendre en parler, sur un salon du livre de poche, et je l'ai vraiment appréciée (j'en parle dans un article ci-dessous). J'ai trouvé qu'elle s'exprimait comme elle écrit : avec sensibilité et vivacité à la fois, elle déroule ses idées avec une finesse et une limpidité envoûtantes !!
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