LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Tokyo Vice" - Jake Adelstein

"Tu apprendras à laisser de côté ce que tu aimerais être vrai et trouver ce qu'est la vérité, et tu la rapporteras telle qu'elle est, et non telle que tu la souhaites. C'est un travail important. Les journalistes sont les seuls dans ce pays à tenir tête aux forces dominantes. Ils sont les derniers gardiens de cette démocratie fragile que nous avons au Japon."

"Tokyo Vice" est le récit de l'expérience par son auteur des années qu'il a passées au Japon en tant que journaliste, au sein de la rédaction du prestigieux Yomiuri Shinbun, quotidien non seulement le plus lu du Japon, mais aussi le plus vendu de la planète.
Il faut préciser que Jake Adelstein, comme son nom l'indique, n'est pas japonais, mais américain, et qu'il fût le premier étranger à intégrer un tel poste. Embauché au service police-justice du journal, il couvre pendant une dizaine d'années faits divers, crimes..., se familiarise avec les bas-fonds de Tokyo, univers de l’exploitation sexuelle, du trafic de drogues, du blanchiment d'argent, et en vient à s'immiscer dans le monde du crime organisé, en côtoyant des yakuzas. 

Le récit est découpé en trois parties. Il évoque dans un premier temps la découverte de ce milieu particulier qu'est celui de la presse, mais aussi de la société japonaise en général, s'attarde sur la manière dont Jake s'y immerge, et conclut sur ce qu'il intitule sa "chute", l'épuisement et l'omniprésence du danger le poussant finalement, après une dizaine d'années d'exercice de cette profession qui s'apparente à un sacerdoce, à rentrer aux Etats-Unis.

Le métier de journaliste japonais nécessite en effet une grande capacité d'adaptation : le turnover d'un service à l'autre, favorisé par le fait que les articles ne sont pas nommément signés, y est constant. Les journées de travail s'achèvent souvent dans le courant de la nuit, ponctuées des tâches ingrates (faire-parts de naissances, compte-rendus sportifs) dévolues à tout débutant.

L'étroite collaboration avec la police qu'implique l'exercice de la profession de journaliste au service police-justice se matérialise, à Tokyo, par la présence dans le commissariat de chaque quartier d'un "Press club", où cohabitent quasiment jour et nuit les représentants des divers organes de presse. Ainsi, les journalistes qui y officient, davantage au contact des employés des forces de l'ordre que de leurs collègues, sont pour ces derniers des étrangers. Jake se soumet aux particularités et aux contraintes de cette organisation, et fait siennes les méthodes locales, empreintes de la rigidité protocolaire qui régit les relations aux sein de la société japonaise. Ainsi, le réseau des contacts se tisse au fil de rencontres dont les horaires, les modalités sont fixées par des règles précises et incontournables. A coups de cadeaux, de politesses, l'américain parvient à créer des liens parfois solides avec certains policiers. Les informations s'échangent contre des scoops, sachant que là encore, toute publication est astreinte à un ensemble de conventions implicites et contraignantes.

Mais c'est surtout lors de sa mutation dans le quartier de Kabukicho que Jake va devenir, selon ses propres termes, une véritable "pute de l'info". Véritable échantillon des pratiques déviantes japonaises, Kabukicho concentre dans la multitude de ses bars à hôtesses, de ses rues mal famées, danger, aventure et érotisme. Ayant décidé de s'attaquer à la problématique de l'exploitation sexuelle, qui suscite indifférence et acceptation tacite des autorités, puisque ses victimes sont des étrangères, le journaliste devient pour les besoins de son enquête un habitué des bas-fonds tokyoïtes.


Sa vie privée en pâtit. Marié à une japonaise dont il a deux enfants, Jake est constamment absent, et engloutit une partie de son maigre salaire dans l'alcool et les frais qu'engendre sa trépidante vie nocturne. La fréquentation de victimes de l'industrie du sexe l'amène de plus à se désintéresser de la sexualité, qu'il finit par associer à la saleté et la brutalité.
Son combat pour faire éclater au grand jour le scandale de cet esclavage moderne attire sur lui l'attention de membres du crime organisé, impliqués dans le trafic de jeunes étrangères.

A l'époque où Jake Adelstein arrive au Japon, le profil des yakuzas a changé. Les truands couverts de tatouages et à l'auriculaire manquant ont fait place à des entrepreneurs en costume d'hommes d'affaires. En 2007, l'Agence Nationale de la Police lance un signal d'alarme : la mafia japonaise, en se lançant dans l'immobilier et en investissant dans des centaines d'entreprises, menace de devenir "un cancer qui va gangrener les fondations économiques" du pays.
Pour autant, les autorités adoptent toujours une position équivoque vis-à-vis de ce fléau. L'efficacité des lois anti-gangs mises en place dès le début des années 90 est annihilée par le manque de moyens mis à disposition des brigades chargées de lutter contre le crime organisé, et par un contexte juridique volontairement flou : l'état ne condamne pas l'appartenance à une organisation criminelle... Il faut dire que les yakuzas entretiennent avec le parti majoritaire, qui les a longtemps considérés comme un mal nécessaire -voire comme un second service d'ordre vidant les rues de la petite délinquance- des liens historiques profonds...
La mafia japonaise est ainsi, à certains égards, plus puissante que jamais, véritable empire dont les membres (des dizaines de milliers) constitue une gigantesque toile d'araignée.
En s'attaquant à l'organisation, le journaliste met la main dans un nid de guêpes...

L'intérêt de "Tokyo Vice" est purement documentaire.
L'auteur porte sur la culture et les mœurs de son pays d'accueil un regard à la fois curieux et détaché, et brosse un portrait sans complaisance des dérives de la société japonaise. Mais hormis le fait qu'il permet une incursion intéressante dans l'univers tokyoïte, "Tokyo Vice" est aussi un constant rappel qu'un bon reporter ne fait pas nécessairement un bon écrivain. J'ai souvent trouvé le récit confus : la complexité de l'organisation journalistique japonaise, qui nous fait transiter d'un service à l'autre, a tendance à perdre le lecteur, l'auteur lui-même passant parfois d'un épisode à l'autre sans achever celui qu'il a commencé. De même, le style est terne, voire parfois maladroit. 

Malgré tout, je ne regrette pas cette lecture, qui reste un témoignage souvent enrichissant et l'occasion d'une immersion dans un univers différent.

Commentaires

  1. Aaaah j'ai a-do-ré ce livre !! J'ai été complètement prise et même touchée par cette aventure humaine. Et je ne te rejoins pas sur le style terne ou le côté confus du récit.;-) J'ai trouvé qu'en effet, ce n'était pas littérairement magistral (en tout cas il n'essaie pas de se prétendre grand écrivain, ça c'est clair), mais ce n'était pas non plus une écriture sans âme façon journalistique, et il a très clairement le truc pour raconter les histoires de façon à les rendre intéressantes.

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    1. Disons que j'ai trouvé l'ensemble inégal : le milieu du récit m'a semblé interminable, alors que la dernière partie est plus prenante, sans doute parce qu'elle est aussi plus intense d'un point de vue psychologique. Mais je dois avouer avoir tiqué à plusieurs reprises sur certaines phrases, sans trop savoir d'ailleurs si ces maladresses d'expression étaient dues à l'auteur ou à la traduction.

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