LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Les lois de la frontière" - Javier Cercas

Brigand héroïque ou simple voyou ?

Comme dans "Les soldats de Salamine", Javier Cercas utilise comme matériau, pour nourrir l'intrigue des "Lois de la frontière", les éléments collectés par un auteur en vue de l'écriture d'un ouvrage. Et comme dans "Les soldats de Salamine", il y explore la fragilité de la limite séparant la fiction de la réalité. Ce titre est ainsi la transcription des entretiens de cet auteur avec quelques-uns de ceux qui ont connu celui qui sera au centre de son ouvrage : Zarco, grande figure du banditisme catalan des années 70. 

L'essentiel de ces entretiens se déroule avec Ignacio Cañas, avocat qui, dans une ancienne vie à laquelle rien ne le prédisposait et qu'il a toujours dissimulée à son entourage, fit partie de la bande de Zarco, au sein de laquelle il était surnommé Le Binoclard.

Lycéen sans histoires issu d'une classe moyenne aussi discrète que laborieuse, Ignacio fit la connaissance de Zarco dans la salle de jeux où, pour fuir le harcèlement dont il était l'objet de la part d'un de ses camarades, il avait trouvé refuge. Surtout fasciné au départ par la morgue et la beauté sans fard de Tere, inséparable amie de Zarco dont il tombe amoureux, Ignacio met bientôt son apparence de jeune fils de bonne famille au service de la bande, opérant vols à l'arraché, cambriolages..., s'initiant à l'alcool, à la drogue et, dans une moindre mesure, au sexe. Jusqu'au braquage qui tourne mal, provoquant la mort d'un des leurs et l'arrestation de Zarco. Cañas parvient à s'enfuir, et ne sera jamais embêté par la police. Fin de la parenthèse, retour dans le droit chemin.

Des années plus tard, Zarco fera appel au Binoclard en tant qu'avocat, espérant atténuer sa peine (qui s'est alourdie au fil des délits qu'il a commis en détention) et obtenir des autorisations de sortie. Le comportement contestataire et bravache qu'il a exhibé pendant ses années de prison l'a auréolé d'une dimension quasi mythique, fortement entretenue par les médias.

Ignacio Cañas juge cette brève période de sa vie avec ambivalence, à la fois honteux et fier d'avoir vécu cette aventure qui l'a fait se sentir étonnamment vivant. Avec le recul il analyse la fascination et l'attrait qu'exerçait sur lui cette liberté transgressive que représentaient Zarco et son milieu. Il a en effet été question pour lui de franchir une frontière, celle séparant la routine protectrice d'une existence terne mais respectable d'un univers de danger qu'il parait, de manière quelque peu grandiloquente, d'une dimension romanesque. C'est Zarco lui-même qui, a posteriori, raillera sa naïveté en opposant à ses rêveries chevaleresques un prosaïsme peut-être brutal et amer mais éclairé : les hors-la-loi produits par la misère des ghettos que constituaient les quartiers mal famés de Gérone n'avaient aucune vocation à être des Robins des bois. Avec le recul, et le constat de ce que sont finalement devenus ces héros en rupture avec la société, il mesure être face à une génération que la drogue et le hasard d'une "mauvaise naissance" ont perdue, qui, ne sachant comment négocier la transition entre dictature et démocratie, s'est brûlée les ailes.

"Les lois de la frontière" est un roman très habile, qui enchâsse les points de vue, orchestrant une subtile mise en abyme qui prend prétexte d'un sujet pour en développer un autre (parce que c'est finalement surtout de Cañas, à travers Zarco, dont il est question), et dévoile peu à peu tous les éléments d'une intrigue complexe mais dans laquelle on ne se sent jamais perdu.

Du grand art !

Commentaires

  1. As-tu lu "L'imposteur" du même auteur ? J'aurais pu terminer mon article sur ce livre de la même façon que toi...

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    1. Non, je ne l'ai pas lu, mais j'ai noté ce titre suite à la parution de ton billet. Je compte bien de toutes façons explorer l'oeuvre de cet auteur de fond en comble !!

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  2. Je ne serais peut-être pas allée jusqu'à dire que c'est du grand art mais c'est un réussite, c'est sûr.

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    1. J'ai vraiment aimé la façon dont l'intrigue se construit, de manière apparemment fortuite, alors qu'il faut en réalité une sacrée maîtrise pour que l'ensemble soit à la fois cohérent et passionnant...

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  3. l"imposteur a été un gros choc pour moi. Et celui-ci traînait sur mes étagères. Je m'y mets cet été

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    1. J'espère qu'il te plaira aussi. De mon côté, je compte bien lire L'imposteur !

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