LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Le coeur de Berlin" - Elie Maure

"Je me sens condamné à déterrer un passé dont les maux voyagent comme des passeports diplomatiques, ces souffrances qui traversent des générations comme des pays sans frontières et qui distillent leur poison impunément".

Je sors -presque à l'instant- de cette lecture bouleversée.
Elie Maure nous livre une histoire poignante, qu'elle construit et exprime de manière à ce qu'elle nous percute et nous investisse avec force.

Simon, le narrateur, âgé de la cinquantaine, mène sa vie comme un adolescent attardé et incapable d'attachement. Chercheur à l'université de Montréal, il est célibataire et sans enfants. Passionné de vélo, il ponctue son temps libre de longues balades forestières, et de ses tentatives pour coucher sur le papier les réminiscences d'une enfance qui, depuis quelque temps, le taraudent. Il le fait de manière décousue, mêlant souvenirs et présent. Les épisodes du passé sont entrecoupés de l'expression de la peine immense qu'a suscité la mort, récente, de son chien Berlin. Sous son ton mélancolique, égrenant l'absence d'événements de son existence morne, perce l'expression d'une détresse sourde, diffuse, sans doute d'autant plus douloureuse qu'il ne parvient à en cibler l'origine précise.

Cette ignorance qui lui pèse, et l'empêche de se structurer, l'amène à entamer une enquête familiale, dans le but plus ou moins conscient de traquer d'anciennes fêlures dont il a jusqu'alors occulté le souvenir. Cette enquête tourne d'abord autour de son père, homme au tempérament dominateur et aventureux, dont les accès de violence avaient instauré une distance craintive entre ses fils -Simon a deux frères- et lui. Il se focalise ensuite sur la recherche de sa sœur Béatrice, dont il a été très proche, avant que son départ au pensionnant à l'âge de douze ans, le coupe de sa famille, qu'il ne reverra que de manière sporadique. La dernière fois qu'il a vu Béatrice, c'était à l’enterrement de leur père, qu'elle avait loyalement accompagné dans sa longue agonie. Le père et la fille avaient toujours entretenu une relation privilégiée...

Le témoignage de Simon laisse deviner les manquements de cette famille dysfonctionnelle, portée par des parents qui, malgré des caractères divergents -la mère affichait l'aigreur et la hargne d'une dépression permanente- avaient comme point commun de traîner le lourd bagage de traumatismes enfantins, évoqués à demi-mots au détour d'une allusion... les liens du narrateur avec ses frères sont eux-mêmes distendus, et il a coupé les ponts avec sa mère.

Ayant fait savoir à sa sœur, par l'intermédiaire d'une amie commune, qu'il aimerait la revoir, Béatrice lui répond par des lettres, dans lesquelles elle aussi revient sur leur passé. Elle y évoque notamment leurs années d'enfance en Algérie, où le père avait demandé à enseigner, leur triste retour dans un Québec froid et grisâtre, la détresse de son adolescence solitaire, révélant la face obscure de ces souvenirs, qu'elle entache d'une vérité crue et déchirante.

L'auteur oppose ainsi le début du récit où Simon, envahi d'une sorte de passivité angoissée, d'incapacité à vivre, tourne autour d'un mal sur lequel il ne parvient pas à mettre le doigt, à l'intensité violemment perturbante d'une seconde partie que le lecteur reçoit comme une claque magistrale en pleine face. Elie Maure y exprime avec une éloquence à peine supportable une souffrance intime, destructrice, met en exergue les sentiments dévastateurs et contradictoires que génèrent les relations toxiques entre membres d'une même famille.

A lire !

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