LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Underground Railroad" - Colson Whitehead

Coline et moi étions un peu passées à côté de notre première lecture commune, suite à une incompréhension mutuelle sur ses modalités d'exécution : nous avions convenu d'une date, qui pour l'une était celle de la publication du billet correspondant, et pour l'autre celle à laquelle nous devions entamer la lecture.

Cette fois, pas de décalage ! Nous avons programmé un démarrage commun de la lecture "d'Underground Railroad", ce fameux prix Pulitzer qui depuis sa sortie en France s'expose à foison sur les étals de libraires et sur les blogs littéraires, bénéficiant d'une quasi unanimité...


Et je suis ravie d'avoir expérimenté cette version, nouvelle pour moi, de la LC. Je ne sais ce qu'il en est de Coline, mais j'ai en ce qui me concerne pensé plusieurs fois à elle en me plongeant dans les pages du roman, me demandant si, éloignées l'une de l'autre de quelques centaines de kilomètres (si ça se trouve je raconte n'importe quoi, elle habite peut-être à deux pas de chez moi), nous n'étions pas, au même moment, en train de découvrir un même passage, d'avoir des réflexions similaires sur tel événement, ou tel personnage...

Nous avons par ailleurs échangé par mail, au fil de l'avancement de notre lecture, sur nos ressentis.

Aussi, plutôt que de vous résumer une intrigue que, pour avoir lu "Underground Railroad" ou les multiples avis le concernant, vous connaissez sans doute déjà par cœur, voici, en substance, les messages que j'ai adressés à Coline...


De : ingannmic@numericable.fr
Envoyé : dimanche 11 mars 21:17
Objet : Underground Railroad
À : Coline

Bonsoir Coline,

Tu as pu commencer la lecture d'Underground Railroad ?

De mon côté j'ai bien avancé, j'en suis à plus de la moitié.
C'est, il faut dire, une lecture rendue facile par la fluidité de l'écriture de Colson Whitehead. Et puis les péripéties vécues par l'héroïne donnent à l'intrigue un rythme entraînant. Pourtant, je me sens un peu maintenue à distance de l'histoire et des protagonistes, sans trop savoir pourquoi. Est-ce parce qu'on ne pénètre jamais vraiment l'intimité du personnage principal, la fameuse Cora, l'auteur ayant fait le choix d'une narration à la troisième personne ?

Et aujourd'hui, j'ai eu une drôle de sensation pendant ma lecture. Comme je ne sais pas où tu en es, je ne te dévoile pas l'intrigue, mais le déroulement des événements, leur dimension cauchemardesque associée à cette distance évoquée plus haut, m'ont presque donné l'impression de lire un récit de science-fiction, ou plutôt un récit où la réalité serait distordue... (du coup, "science-fiction" n'est sans doute pas le terme approprié, "uchronie" serait peut-être plus juste ? Tu t'y connais bien mieux que moi dans ce domaine, je crois...). C'est comme si l'auteur avait légèrement caricaturé les situations vécues par Cora, et le comportement des personnages auxquels elle a affaire, pour mettre en évidence le caractère presque incroyable de l'ignominie du monde dans lequel elle est plongée.

Bref un sentiment assez étrange... ça m'a fait penser au début du film "Get out", je ne sais pas si tu l'as vu... il traite de la ségrégation subie, de nos jours, par les noirs américains, et dans le premier tiers du film, on est immergé dans une atmosphère un peu comparable, angoissante et un peu factice..

Il me tarde d'avoir tes premières impressions,

Bonne soirée.. et bonne lecture !

Ingrid 
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De : ingannmic@numericable.fr
Envoyé : lundi 12 mars 21:01
Objet : Re: Re: Underground Railroad
À : Coline

Bonsoir Coline, 

C'est intéressant de voir que nous avons le même ressenti en VO et en version traduite. 
Je m'approche de la fin. Je trouve décidément que le personnage de Cora n'est qu'effleuré. Certains passages nous laissent deviner son côté fruste (lié aux conditions de vie dans lesquelles elle a grandi) et une sorte de sécheresse émotionnelle, et là aussi, ce n'est pas une critique, on comprend sa dureté, mais ce sont des aspects de sa personnalité qui ne sont pas développés, qui sont évoqués un peu en passant, et je trouve ça dommage...

En revanche, je ressens de plus en plus la volonté de l'auteur de faire de son histoire celle d'un héritage, l'héritage d'une nation américaine bâtie sur l'injustice et la barbarie, avec comme fondations la spoliation des terres indiennes et le massacre de ses populations, puis cette horreur de l'esclavage. On a du mal à concevoir la légitimité et la possible pérennité d'un pays né dans ces conditions, je trouve ça glaçant... je suis curieuse de voir comment Whitehead conclut son récit, et si sa conclusion est en lien avec cet aspect que je trouve très intéressant.

A +...

Ingrid 
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De : ingannmic@numericable.fr
Envoyé : mardi 13 mars 19:03
Objet : Re: Re: Re: Re: Underground Railroad
À : Coline

Salut Coline, 

Du coup, tu l'as terminé avant moi, il me reste quelques pages, et j'aime beaucoup la dernière partie, que je trouve plus intense, plus vibrante que le reste.

C'est vrai ce que tu écris à propos du personnage de Cora, je me suis fait la même réflexion que toi, à propos de cette distance qui reflète en effet une rudesse et un pragmatisme inhérents à son existence douloureuse, plombée d'une insécurité permanente, suite d'espoirs cruellement déçus.

Son parcours, plus qu'un moyen de l'approcher et de la connaître, semble servir de démonstration, de moyen pour l'auteur de nous faire traverser des lieux et des contextes représentatifs des diverses facettes de la condition noire à l'époque de son récit. On passe de la plantation, lieu d'exploitation barbare, à cette bourgade pseudo tolérante, où les noirs vivent -apparemment- libres, puis à cette ville uniquement peuplée de blancs, d'où les noirs sont bannis, qui reflète la démence de cette barbarie collective... on croise des justes et des ordures, des lâches et des héros... 

Je confirme ce que je t'écrivais la dernière fois : avec le recul, ce qui m'a paru le plus intéressant dans ce roman, c'est que Colson Whitehead aborde cette abomination comme un legs certes embarrassant, mais avec lequel il faut bien, malgré tout, essayer de se construire. Cette vision d'un afro américain sur son histoire m'a fascinée.

Ah, et puis j'ai aimé aussi son idée de matérialiser en un véritable chemin de fer souterrain, ce réseau clandestin d'aide aux esclaves dont je ne savais rien avant cette lecture, qui fut donc sur ce point très instructive.

Je vais comme toi laisser "reposer" la lecture avant de rédiger mon billet. 

Passe une bonne soirée, je m'en vais de ce pas finir les quelques pages qui me restent !

Commentaires

  1. Voilà une idée originale!
    Cela me rappelle quand j'ai lu un pavé de William Gass, Le tunnel, on était deux à s'envoyer des mails (la blogueuse était au Canada) et se soutenir (car c'est un roman disons exigeant.
    Bref, bravo à toutes les deux!

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    1. Oui, l'union fait la force, même dans ce domaine... et la lecture commune nous incite à persévérer.

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  2. Une bien belle idée que tu as eu pour rédiger cette chronique ! :) J'ai beaucoup aimé cette découverte à deux, et pour la deuxième fois déjà notre ressenti est similaire, donc on remet ça quand tu veux ;)

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    1. Itou ! N'hésite pas à consulter ma PAL, elle est en perpétuel accroissement !!

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  3. Aaah ça c'est mon idéal de la LC ! J'aime bien découvrir les avis après lecture, c'est presque comme Noël quand on va ouvrir les cadeaux (aaah qu'en a pensé l'autre ?) mais c'est intéressant aussi d'échanger pendant. Je le fais parfois mais plus en messages éclairs et moins construits.^^ Des réflexions qui reflètent mes émotions sur le coup. Zut, j'aurais pu me joindre à vous car ce titre est dans ma PAL ! Du coup je reviendrai lire en détail quand j'aurai lu le livre de mon côté.

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    1. Et si tu veux, on pourra adopter le même principe pour notre prochaine LC !

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  4. Super ce billet ! Il y a clairement une dimension "fantastique" dans ce texte, que je comparerais par moments au réalisme magique de la littérature sud-américaine. C'est un roman qui m'a beaucoup marqué en tout cas.

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    1. Oui, et c'est fait de manière très subtile, tu as raison de comparer cela à littérature sud-américaine, qui joue souvent sur le frontière entre réel et surnaturel.

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  5. Chouette cet échange de mails. On voit ainsi bien ton cheminement au fur et à mesure de ta lecture.

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    1. Je les ai pas mal remaniés, mais cela m'a en plus évité de rédiger un billet...

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  6. J'aime beaucoup tes échanges avec Coline. A-t-elle fait de même ? Ils permettent d'aborder le roman d'une manière plus approfondie bien que fragmentaire, en livrant un ressenti qui peut toujours se modifier au cours des pages. J'ai envie de faire quelque chose de ce genre au cours d'une LC . Mais il faut un livre assez riche pour qu'il y ait assez de matière pour publier quelques billets au fur et à mesure de la lecture. ???

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    1. Oui, Coline a publié le même genre de billet, à ceci près qu'elle y a également intégré mes mails (les originaux, donc un peu moins développés que ceux que j'ai moi-même publiés, que j'ai remaniés ...). Je t'aurais bien proposé d'appliquer le même principe pour notre LC de La débâcle, mais cela me parait un peu plus compliqué à mettre en place à 3. Mais pourquoi pas pour une autre fois ?

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  7. J'adore la présentation de ton billet (plus que le roman) !

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    1. Dommage que tu aies été déçue, mais je peux comprendre. Même si je l'ai apprécié, je ne me sens pas concernée par l'engouement qu'il a suscité..

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  8. Je viens de relire ce que tu as écrit. C'est surtout la forme qui me pose question. Je m'adresse à toi comme si c'était une lettre et réciproquement ? ou nous rédigeons un billet jusqu'au chapitre VII sans s'adresser l'une à l'autre ? Je viendrai voir ta réponse ce soir et j'adapterai mon billet en fonction de ce que tu me dis. J'aurais dû te poser la question avant mais c'est maintenant que je rédige et donc que j'ai des doutes !!

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    1. Je viens de lire ton commentaire ! Bon, je vois que sans nous concerter, nous avons finalement procédé de la même manière...

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  9. Oui, avec l'esclavage et le massacre des Indiens, il me semble que la naissance des Etats-Unis repose en partie sur le mal ou sur le péché, si ces mots ont un sens.

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    1. On peut en tous cas parler de fondations iniques et sanglantes, c'est sûr...

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