"Là où les tigres sont chez eux" - Jean-Marie Blas de Roblès (2)
Nous voici donc à ce deuxième rendez-vous convenu avec Claudialucia, et deuxième étape, embrassant les chapitres VIII à XV, de notre découverte du profus roman de Jean-Marie Blas de Roblès.
Après avoir fait connaissance, dans la première partie, avec les principaux acteurs de la fresque que déroule l'auteur, nous progressons dans l'ampleur de l'intrigue, témoins de la mise en place du puzzle qu'il construit tout doucement, posant ses pièces de manière éparse, laissant apparaître quelques connexions. Parce que l'on suppose qu'arrivera bien un moment où tous ces chemins qu'emprunte l'intrigue finiront par converger...
Athanase et Caspar poursuivent leurs pérégrinations, invités dans divers coins d'Europe par d'éminentes personnalités politiques ou religieuses curieuses de rencontrer le pétillant jésuite amoureux des sciences et passionné par le décryptage des hiéroglyphes. C'est à chaque fois l'occasion pour lui de briller en bricolant de curieuses machines à l'utilité plus ou moins convaincante... Souvent visionnaires, telle cette chambre obscure dans laquelle on devine le lointain ancêtre du cinéma, elles se révèlent en effet parfois farfelues, à l'image de l'oracle magnétique ou de l'orgue à chats...
Le caractère par moments cocasse, mais aussi répétitif, des aventures vécues par les deux compères, m'a fait penser à Don Quichotte, impression accentuée par l'enthousiasme et la pugnacité avec lesquelles Athanase s'investit dans ses projets. De plus, Caspar, par son irréductible fidélité et sa raisonnable naïveté, n'est pas sans évoquer Sancho Panza.
Eléazard, quant à lui, se montre toujours aussi dur avec l'objet de son étude, lui reprochant de propager une foi dogmatique, de détourner l'histoire à cette fin, allant même jusqu'à voir dans sa certitude le signe d'une vocation secrète pour le fascisme... comme l'écrivait Claudialucia dans son premier billet, il y a une certaine ambiguïté dans la façon dont Eléazard considère Athanase, entre fascination et rejet. On devine qu'il se joue dans cette détestation qu'il entretient avec une surprenante vigueur un enjeu qui dépasse la relation qui lie le chercheur à son sujet. Je parlais samedi dernier de cynisme, le concernant... s'y ajoute une profonde mélancolie, provoquée par la perte de sens à donner à son existence, et par une solitude dont il ne sait sans doute pas lui-même si elle est choisie ou subie.
Parmi les connexions évoquées plus haut, citons celle qui relie, bien que brièvement, le suffisant et misogyne Moreira à Eléazard et Loredana, à l'occasion d'une soirée mondaine donnée par le Colonel dans l'immense demeure dont il doit la jouissance à son aristocratique épouse Carlotta, héroïne que sa détresse amère et lucide rend intéressante, et que l'on espère voir approfondir par la suite...
Les autres pans du récit se maintiennent sur leurs routes parallèles. Sur le fleuve Paraguay que remonte l'expédition à laquelle participe Elaine von Wogau, une escarmouche avec des trafiquants de drogue tourne mal. Moéma emmène Thaïs et de l'un de ses professeurs d'université à Canoa Quebrada, village de pêcheurs où la misère côtoie la beauté de l'océan. Les jeunes gens s'y mêlent à la faune nocturne, avec au programme drogue, sexe et alcool...
Canoa Quebrada
J'ai insisté dans mon précédent billet sur la richesse que procurent au récit sa galerie de personnages et ses multiples pistes fictionnelles. En progressant dans ma lecture, je réalise que si je veux convenablement rendre justice au texte de Jean-Marie Blas de Roblès, je me dois d'en évoquer deux autres éléments primordiaux.
Le premier, c'est la prégnance de son contexte. Contexte naturel -ainsi que l'a exprimé Claudialucia dans sa chronique de samedi dernier-, mais aussi social, et culturel. En développant dans chacune de ses parties certains de ces aspects, l'auteur compose une sorte de mosaïque qui nous donne à percevoir un environnement riche de contradictions et de facettes variées. A la luxuriance humide, vivante et parfois délétère de la forêt amazonienne, s'oppose l’enchevêtrement tout aussi grouillant (bien que pas des mêmes espèces...) des taudis des favelas. Et face aux préoccupations des miséreux qui luttent chaque jour pour leur survie en tentant d'échapper à des maladies qu'on pensait disparues, se dressent l'avidité de ceux qui, poussés par une vision du monde fondée sur la quête du pouvoir, la conviction de leur supériorité, et le mépris de tout ce qui n'est pas rentable, spéculent et manigancent aux dépens du peuple et d'un écosystème déjà bien altéré...
Le second, c'est la forme. Car qu'est une histoire sans la langue qui la porte ? Un auteur aura beau multiplier tribulations et protagonistes, il ne provoquera qu'ennui si son style n'est pas à la hauteur de ses romanesques ambitions... Heureusement, ce n'est pas le cas de Jean-Marie Blas de Roblès, qui nourrit son intrigue de dialogues savoureux, sait donner à chacune de ses parties une saveur particulière, alternant humour ou ironie, aventure ou réalisme, dosant avec justesse théâtralité et crédibilité.
Je resigne donc sans hésiter pour neuf chapitres de plus, et rendez-vous samedi prochain pour la suite...
... et l'avis de Claudialucia à l'issue de cette deuxième étape, c'est ICI.
Tu as raison de souligner qu'il y a des moments totalement cocasses dans le roman et effectivement surtout avec les personnages de Kircher et son disciple. Un Sancho Panza, c'est vrai ! Mais Kircher continue à être un personnage fascinant. S'il n'avait pas réellement existé, on pourrait dire que c'est un vrai personnage de roman.
RépondreSupprimerEn continuant la lecture, on s'aperçoit que la dénonciation de la misère, de la violence des rapports sociaux se fait de plus en plus virulente.
Et heureusement que l'auteur adopte ce ton dans les parties relatives à Athanase, parce que je crois, sinon, que je m'en serais lassée assez vite. Et je suis d'accord avec toi sur le fait que la dimension sociale est croissante en avançant dans la lecture, notamment avec l'histoire de Nelson.
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