LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Diamants et silex" - José María Arguedas

"Et c'était bien le monde qui le faisait pleurer, le monde entier, la demeure magnifique, éprise de l'homme, de sa créature".

Mariano est une âme simple, un être paisible et silencieux qui subit les événements, se laissant ballotter par la volonté des autres. C'est ainsi qu'à la mort de son père, trois ans auparavant, son frère, méprisant mais aussi craignant vaguement la différence de ce laconique cadet, lui a enjoint de quitter leur andin village natal, et qu'il a débarqué, avec sa harpe et sa crécerelle apprivoisée, dans un bourg situé à plusieurs heures de marche de chez lui. Étrangement, de manière presque surnaturelle, le maître des lieux, Don Aparicio, l'a aussitôt pris sous son aile. Il en a fait le gardien d'une de ses maisons, et lorsqu'il s'y rend, il lui fait jouer des huaynos* et des complaintes quechua. Car l'indien, à qui il donne du "Don Mariano", sait tirer de sa harpe, qu'il accompagne d'une voix basse et profonde, des sons qui apaisent et envoûtent.

L'arrivée dans le bourg d'une jeune fille de Lima, avec son allure moderne et ses blonds cheveux coupés courts, crée des remous au sein de la petite communauté, Don Aparicio entreprenant de la séduire avec ostentation. Il sait pourtant qu'Adélaïde, trop délicate, trop citadine, n'est pas la femme de sa vie... mais cela, Irma, sa principale maîtresse, qu'il a enlevée à ses parents et à son village pour l'installer dans une maisonnette où elle se tient à sa disposition, l'ignore. Jalouse, et craignant de perdre son statut de favorite, elle conclut avec Mariano un marché tacite.

Ce résumé pourrait laisser penser que "Diamants et silex" est un roman dense, riche de rebondissements romanesques... C'est en réalité un très bref ouvrage, dans lequel l'auteur déploie l'art de la concision et de l'ellipse. Les tensions, les obsessions, les quêtes vaines à rendre fou y sont bien présentes, mais elles ne sont pas évoquées directement. On les devine à travers les faits, pourtant eux aussi exprimés avec une économie de mots qui rend leurs motivations parfois obscures, et quelques bribes de pensées comme insérées par inadvertance dans cette intrigue resserrée.

Il y a ainsi dans ce texte une forme de rudesse mais aussi de mystère, qui collent d'ailleurs parfaitement à son propos. José María Arguedas dépeint un univers comme resté figé à l'époque féodale, soumis à des traditions ancestrales et rigides, où règne encore sur les indigènes la domination du conquistador espagnol, dont Don Aparicio, avec ses "laquais", son droit de cuissage et sa brutalité, est le symbole. C'est un monde où subsistent aussi les rituels d'un peuple qui se rattache à ses mythes, entre animisme et superstitions, où l'homme est constamment à l'écoute des signes que lui envoie un environnement naturel omniprésent.

Une jolie découverte...

*Le huayno est une musique populaire typique du Pérou, qui remonte à l'époque précolombienne.

Commentaires

  1. Réponses
    1. N'hésite pas, il est très court, en plus. A emprunter à la bibliothèque s'il y est disponible, parce que le rapport prix/nombre de pages n'est tout de même pas très avantageux ! Mais ce n'est pas si souvent qu'on a l'occasion de lire un auteur péruvien..

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  2. Une très belle découverte, à ce que je vois!

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    1. Ce n'est pas non plus un coup de cœur, mais j'ai aimé son ton singulier, ses pans d'ombre, qui donnent un vrai sentiment de dépaysement...

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  3. Hmm une tentation péruvienne sortie des fonds de tiroir au milieu de la rentrée littéraire, ça me plaît bien.

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    1. Oui, il permet un interlude original... je suis très peu la rentrée littéraire (j'ai repéré un ou deux titres, notamment le dernier Roddy Doyle, et le second roman de Nicolas Mathieu, dont j'avais bien aimé le premier titre, mais j'attendrais probablement leurs sorties en poche). Ah, et le dernier De Kérangal me tente aussi, mais pareil, pour plus tard...

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  4. Je n'en avais jamais entendu parler mais il m'intéresse grandement. Surtout si la forme est travaillée.

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    1. Je ne sais pas si on peut parler d'une forme travaillée mais elle est en tous cas assez particulière. On a plutôt l'impression d'une sorte de spontanéité, qui inciterait l'auteur à dérouler les faits sans qu'il considère utile de nous éclairer précisément sur leurs motivations, ni même sur leur déroulement d'ailleurs. Mais c'est à lire, justement pour ça, comme je l'écris ci-dessus, cela crée une forme de dépaysement, et donne au texte un caractère un peu obscur et tragique.

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  5. ta critique me donne vraiment envie de le lire, je ne connais ni le titre ni l'auteur... :-)

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    1. Mais je suis ravie, je ne pensais pas faire autant d'émules avec cette lecture à contre-courant de la rentrée littéraire !

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  6. Ce serait une totale découverte pour moi donc pourquoi pas.

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    1. Mais oui, pourquoi pas ? Sache juste que son format est celui d'une nouvelle ... après si tu as envie d'une découverte sud américaine un peu atypique, avec un texte pas trop long, je te conseille aussi Ce lieu sans limites, de Donoso (un peu plus dense que celui-ci, car on y pénètre l'intimité des personnages).

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  7. Je note, ça a l'air très bien.

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    1. Ça l'est, on y retrouve un peu certains des éléments des nouvelles de Quiroga, notamment cette dimension mystérieuse qui donne le sentiment de ne pas tout comprendre, mais qu'il se noue des connexions presque surnaturelles entre les êtres...

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