LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Un faux air de Germain Sarde" - Franck Manuel

Histoire vraie ou vraie histoire ?

Qui est Germain Sarde ?
Telle est la question à laquelle s'efforce de répondre le narrateur, écrivain chargé par son éditeur d'écrire un livre sur cet homme, lui-même romancier, qui purge une peine de prison pour avoir égorgé un ami de sa compagne.

Le hasard a déjà fait se rencontrer ces deux auteurs, à l'occasion d'une manifestation littéraire, dix ans auparavant. Germain s'en souvient, ainsi qu'il le lui dit lors de sa première visite au parloir. Hypermnésique, il se souvient d'ailleurs de tout. Ce n'est pas sa seule particularité... cet homme d'allure insignifiante, petit et malingre, arborant constamment une mine épuisée, a une singulière et subtile capacité à se transfigurer, de manière à ce que sa physionomie vous rappelle toujours quelqu'un d'autre... 

C'est ainsi qu'il a séduit ses trois compagnes, en se parant d'une troublante ressemblance avec leurs ex-conjoints respectifs, chacun étant opportunément décédé depuis peu au moment de leur rencontre. Car Germain Sarde a mené trois vies parallèles, cloisonnées, se partageant entre Paris, Marseille et les Pyrénées, chacune de ses concubines ignorant l'existence des deux autres jusqu'au moment de son procès. Il s'en vante auprès du narrateur : lui l'insipide, le maigrichon, pèse en réalité trois fois son poids, s'est libéré des entraves d'une morale routinière, mortifère.

Lors de leurs entretiens -finalement assez rares-, Germain livre des bribes de sa vie, choisissant ses sujets mais s'exprimant avec une apparente spontanéité, et sans enjolivement. Il raconte l'enfance et son innocente perversité, la cruauté des autres qui les traitaient, sa sœur et lui, de bouseux, le père violent, la mère fruste et passive. Il excellait pourtant à l'école, dévorait des livres, extrayant de toutes ses lectures un "miel bariolé", "un salmigondis de toutes les saveurs mais sans goût discernable", déjà doué pour exploiter tout le matériau stocké par sa mémoire surnaturelle et le faire sien, capable en s'appropriant tous les styles, de faire illusion quant au sien... Et c'est vrai qu'il a du style, Germain, comme le révèlent les extraits de ses œuvres qui parsèment le texte, un style incisif et hargneux, une façon de passer d'un personnage à l'autre "comme si on était vingt dans une tête", une écriture qui investit l'esprit du lecteur, y fait naître une voix. Il parle un peu comme il écrit, d'ailleurs, en enchaînement de phrases brèves, lapidaires, créant un flux heurté, d'une sèche précision, un pénétrant martèlement.

A partir de leurs rencontres et du témoignage de ses trois compagnes, le narrateur bâtit peu à peu son roman, déduisant, extrapolant sur la base du peu qui lui est donné. Il réinvente le parcours de Germain, donne corps à un personnage à la fois calculateur et créatif, solitaire mais pourtant passionné par les gens, par la vie... Il raconte aussi son enquête sur les traces de son sujet, ainsi que les difficultés, mais aussi le vertige, que provoque l'écriture de son roman, sa peur de mettre ses pas dans ceux de Germain, car il doute "d'avoir les épaules". Le petit homme à l'expression mouvante exerce en effet, on le devine, une puissante fascination sur l'écrivain. Ce dernier se met à prendre sa voix, à s'habiller comme lui, et surtout à essayer d'écrire comme lui, adoptant son rythme tranchant, mêlant sans transition les voix de ses personnages...

Roman à tiroirs qui jusqu'à la fin nous réserve d'étranges surprises, jouant sur la porosité de la frontière entre réalité et fiction, "Un faux air de Germain Sarde" est une ode à la création littéraire, porté par une construction fort habile, et une écriture qui, à l'instar de celle de son héros, vous imprègne...


Un autre titre pour découvrir Franck Manuel (et accessoirement mon coup de cœur de l'année 2017) : De la fabrication des fantômes.

Commentaires

  1. je ne suis pas fan de l'aspect un peu fantastique du roman mais tu en parles très très bien et cela donne envie

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    1. Oh, l'aspect "fantastique" n'est vraiment pas prédominant, on est davantage dans quelque chose de trouble... laisse-toi tenter, il en vaut la peine !

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  2. Ah les histoires autour des écrivains, ça me parle toujours, et puis si en plus ça tourne autour de la création littéraire et que le roman en joue, ça me parle encore plus. Noté ! Merci pour cette découverte !

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    1. Et je suis sûre que son ambiance un peu étrange te plaira....

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  3. J'ai toujours "De la fabrication des fantômes" dans ma liste d'envies!

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    1. C'est une très bonne idée ! Si ce titre m'a plu, "De la fabrication des fantômes" m'a complètement emportée, chamboulée. En y repensant plus d'un an après, j'en ai presque encore des frissons...

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  4. Je vais plutôt commencé par De la fabrication des fantômes après avoir lu tes deux billets.

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    1. C'est une très bonne idée. Toi qui aimes les textes originaux, il devrait te plaire. En ce qui me concerne, cela a été une expérience de lecture très forte (et pourtant avalée le temps d'un trajet en train, car il est relativement court).

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