LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Dandy" - Richard Krawiec

"Je vous en donnerais bien, mais c'est tout ce qui me reste pour le biberon.
- Vous donnez du Pepsi à votre enfant ?
- Ben, vous croyez pas que je vais lui donner du café".

Cela débute par une scène qui serait presque cocasse si elle n'était pas surtout tristement sordide...
Dans la fosse à Jell-O d'un rade à poivrots, se livre un combat de catch opposant une jeune furie expérimentée à Jolene, moins jeune, moins vive, qui se demande ce qu'elle fait là, mais c'est tout ce qu'elle a trouvé pour nourrir quelques jours de plus -de beurre de cacahuète et de Pepsi- son bébé de deux ans. Son amateurisme fait fureur : elle s'excuse à tout bout de champ, et se fait laminer... sous les huées délirantes d'hommes imbibés venus voir des nibards et des chattes. Parmi eux Artie, pauvre type fort en gueule dès lors qu'il ne se trouve pas face à plus costaud (ce qui lui arrive rarement), qui vivote de vols à la tire et de menus cambriolages. Il détecte aussitôt la vulnérabilité de Jolene, et l'occasion de grappiller quelques sous contre un peu de gentillesse...

Ces deux solitudes vont se rapprocher, entamant une cohabitation dans le petit deux-pièces sale et inconfortable de Jolene. Son fils, Dandy, un gamin passif à la vision défaillante et ne tenant toujours pas seul sur ses jambes, quitte alors le lit maternel pour une caisse en carton déposée dans la cuisine. Nous partageons leur quotidien de débrouille, en quête permanente de combines pour tenir jusqu'au lendemain, et pouvoir s'acheter le whisky dont Artie a du mal à se passer. Il s'installe entre ces deux laissés-pour-compte une sorte de tendresse fragile, une relation qui tient à un fil, plombée par un contexte qui d'un moment à l'autre peut basculer dans la violence.

Lui est partagé entre une affection qu'il refuse de s'avouer, dont il se protège par un réflexe de survie qui l'amène à prioriser l'impératif financier, et qui lui inspire des mensonges enjôleurs pour dissimuler son égoïsme et sa cupidité. Elle, comme engluée dans sa situation, tantôt méfiante et tantôt crédule, apprécie la présence d'Artie, qui la fait rire, et lui donne parfois la fugace illusion de bâtir un foyer. Elle ne réfléchit pas au-delà du lendemain, se désespère de n'avoir pas la clés pour s'en sortir dans ce monde où elle n'a fait que cumuler, depuis l'enfance, les humiliations, la violence et les défaites. Ses rêves -"avoir une TV et des vrais ustensiles de cuisine, comme les vrais gens"- sont modestes, pitoyables tant ils sont dérisoires, et pourtant inatteignables.

C'est abrupt et d'une tristesse à pleurer, on se sent pris d'une frustration impuissante face à la naïveté de ces laissés-pour-compte quant aux soi-disant opportunités qui se présentent, à l'incapacité de Jolene à se secouer, à s'occuper correctement de son fils, laissé seul pendant des heures dans sa caisse en carton pendant qu'elle erre dans les rues à la recherche de quelques dollars..

Car il n'y a aucune poésie dans la misère dépeinte par Richard Krawiec, et les touches d'humour qui parsèment son récit ne font qu'exhausser sa dimension pathétique. Sa jeune mère célibataire est comme victime d'une hébétude qu'a ancrée en elle une violence familiale et sociale qui la condamne à rester du mauvais côté de la barrière, et dont son fils héritera, à moins d'un miracle, mais ils sont inexistants dans l'univers de déclassés que dépeint l'auteur. Il s'efforce pourtant de traquer, parmi la cruelle et impitoyable petitesse qui y règne, les quelques lueurs de tendresse qui éclairent parfois d'une terne lumière leur quotidien désespérément sombre et se font le suffocant rappel de leur humanité, et de l'inacceptable destin que les limites du rêve américain leur a dévolu...

Les avis de Marie-Claude et de Jérôme.

Commentaires

  1. Ça a l'air extrêmement sombre... il ne faut pas tomber dans la caricature avec ce genre de sujet. Ça me rappelle un peu Pete Dexter, non ?

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    1. C'est très sombre, oui, parce qu'on n'imagine guère d'échappatoire à ces tristes existences. Et l'auteur évite le piège de la caricature en conservant, malgré toute absence de complaisance, une sorte de tendresse pour ses personnages. Pour Pete Dexter, je ne peux te répondre, ne le connaissant que de nom, et ayant eu la vague intention, avortée, de lire Paper Boy... Mais ça me pourrait me plaire, si ça ressemble à cela..

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  2. Ouh ça m'intéresse ! J'ai tout de suite pensé à Jérôme mais je vois qu'il l'a déjà lu (quelle surprise^^). Et j'adore l'extrait dans tout ce qu'il a d'incongru et en même temps de tragique.

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    1. Oui, c'est un roman truffé d'humour, mais d'un humour qui atterre plus qu'il ne réjouit. C'est sans doute chez Jérôme, un de mes principaux fournisseurs de noir anglo-saxon, que j'avais noté ce titre.. Je pense qu'il pourrait te plaire !

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  3. Ton billet me vire à l'envers. Que de souvenirs! Ce roman m'avait fortement marquée, surtout par la tendresse qui, étonnamment, s'en dégageait. C'était brut, percutant. J'ai lu par la suite "Vulnérables". Si j'ai ressentie de l'empathie envers les personnages de "Dandy", je n'ai ressentie que de la pitié pour ceux de "Vulnérables", ce qui n'est pas très reluisant!

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    1. J'hésite à lire Vulnérables, suite à plusieurs avis le comparant, à son désavantage, à Dandy. Tu me le conseilles ?

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    2. Non! C'est simple, non? Il est préférable de rester sur l'émotion de Dandy...

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    3. C'est très clair ! Dommage... ceci dit, ça fait un livre de moins dans ma liste de souhaits..

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  4. Je sais, rien qu'à lire le résumé, que je ne pourrais pas aller au-delà de quelques pages... c'est trop triste et sordide...

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    1. C'est en effet démoralisant, surtout quand on pense à ce que ce bambin deviendra sans doute...

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  5. C'est beaucoup trop sombre pour que je me lance .. j'ai envie de plus léger en ce moment. Aifelle.

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  6. je veux le lire depuis longtemps mais je ne le trouve jamais en librairie ... son deuxième a apparemment été une déception.
    S'il ressemble à Chercher Sam (que Marie-Claude a aimé et moi pas du tout) alors je passerai mon chemin.. mais Jérôme a aimé et généralement on a les mêmes bémols ! je lis Woodrell en ce moment et je retrouve la même pauvreté .. bref, il faut que je me fasse ma propre opinion !

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    1. Je n'ai pas lu Chercher Sam, mais oui, le plus simple est que tu le lises. Si tu as des affinités littéraires proches de celles de Jérôme, il devrait te plaire...

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  7. Normalement, le sombre ne me pose pas de problème ! De Dexter, j'ai lu Spooner, bien noir aussi dans mon souvenir, dans les deux sens du terme, d'ailleurs, va falloir que je relise ma note !

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    1. Je suis allée lire ton billet sur le Dexter, et oui, je confirme, ça pourrait bien me plaire. Quant à ce Dandy, c'est en effet très sombre, mais aussi touchant et donc d'autant plus déprimant finalement, parce que provoquant cette frustration que j'exprime dans mon billet, liée à l’empathie qu'on éprouve pour les personnages et à cette fatalité qui les englue.

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  8. Ca pourrait me plaire, il faudrait que je tente.

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  9. Oui, on a du mal à se dire que tout est aussi désespéré, que rien ne peut arriver de positif, parce que la vie offre aussi l'imprévu, et parfois la grâce.

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    1. Oui, et heureusement, mais l'auteur prend ici le parti de laisser la "malchance" s'exprimer jusqu'au bout, et je mets des guillemets, parce qu'au-delà de la malchance, on voit bien le cercle vicieux dans lequel s'enferment les héros, parce qu'ils ont perdu toute capacité -s'ils l'ont jamais eue- à se projeter de manière constructive, c'est-à-dire concrète et crédible...

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  10. Je confirme ce que dit Marie-Claude, Vulnérables a été une très grosse déception. Dandy est inégalable de toute façon, c'est typiquement le genre de roman noir qui me fait chavirer.

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    1. Cela ne m'étonne pas... et tant pis pour Vulnérables, en espérant qu'un jour Krawiec nous offre un autre titre dans la veine de Dandy.

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  11. Je l'ai sur une étagère, il m'attend...Je l'ai acheté après avoir lu "Vulérables" que j'ai beaucoup aimé.La comparaison avec Pete Dexter ne me serait pas venu d'emblée mais c'est vrai que certains romans de Dexter comme "Paper boy" sont aussi très noirs. Dexter a néanmoins un niveau d'écriture, il me semble, nettement supérieur.

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    1. Merci pour ces précisions, je sais ce qu'il me reste à faire, je remets Paper boy sur ma liste de souhaits !

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