"Les braves gens ne courent pas les rues" - Flannery O'Connor
On dirait le Sud...
Flannery O'Connor nous plonge dans la ruralité du sud américain des années 30, à la rencontre de quidams qui en effet -c'est même un euphémisme-, ne sont pas vraiment de braves gens... Et si ces textes nous laissent imaginer des vérandas où trônent des fauteuils à bascule, des granges envahies de foin odorant, des plaines de blé en herbe écrasées par le soleil, sa campagne n'a rien de bucolique. Elle prend même presque, à l'occasion, des allures de huis-clos, tant ses habitants sont repliés sur leurs préjugés, ignorants, avec le mépris de ceux qui estiment n'avoir rien à apprendre, de ce qui passe hors leur microcosme, ou en jugeant les échos à travers le prisme des croyances que leurs esprits étriqués assènent comme des certitudes.
Chacune de ses nouvelles révèle la vénalité, l'égoïsme, la bêtise ou la propension à la cruauté d'individus souvent ordinaires, insignifiants, mais qui, sous l'éclairage de sa plume féroce, deviennent presque monstrueux. Car Flannery O'Connor a l'art de mettre en exergue, avec un sens de la caricature justement dosé, leur plus vile facette...
Pour cela, elle place ses héros dans des situations ou face à des événements qui font basculer leur existence de manière tantôt brutale, tantôt insidieuse, et dévoile les réactions que ces bouleversements suscitent.
La nouvelle qui ouvre et donne son nom au recueil commence ainsi comme un banal départ en vacances : un couple, ses deux enfants, leur grand-mère et son chat prennent la route pour la Floride. L'association d'un caprice de l’aïeule et de malheureux hasards interrompt leur voyage avec une brutalité incongrue. D'emblée, l'auteur démontre avec ce texte sa capacité à dessiner les contours de ses protagonistes de quelques coups de plume bien sentis, une image suffisant parfois à leur donner chair, et à poser en quelques lignes un contexte significatif.
Au gré d'autres épisodes du recueil, un charpentier nomade et manchot épousera de manière quelque peu expéditive la fille trentenaire et handicapée d'une veuve chez qui il s'était installé pour quelques semaines, une jeune femme exprimera son refus de la maternité à l'occasion de la montée des étages menant à son domicile, un grand-père s'égarera avec son petit-fils dans le quartier noir d'Atlanta, ville où il l'avait emmené pour lui démontrer que rien ne vaut à la vie à la campagne, une célibataire trompée par un pseudo vendeur de bible en perdra sa jambe artificielle...
Les relations familiales, évoquées avec récurrence, non pas tant comme point central des histoires, que comme faisant partie de leur contexte, sont l'occasion pour l'auteur d'en démystifier le caractère sacré. Il n'y a généralement ni grâce ni pureté dans les enfants que ses textes mettent en scène, ils sont insolents, arrogants, voire menaçants et malfaisants, comme dans "Le cercle de feu". Les parents sont quant à eux au mieux indifférents, comme découragés par la responsabilité qui les lient à leur progéniture ou par l'ingratitude de cette dernière, au pire négligents, voire aliénants, de par leur attitude castratrice et humiliante.
L'univers de Flannery O'Connor est peuplé de "nègres" nonchalants et circonspects, de commères occupées à d'ineptes bavardages, de blancs convaincus de leur supériorité, d'individus pitoyables s'improvisant prophètes ou philosophes... Ses nouvelles à la tonalité tragi-comique sont également noires, très noires, l'auteur exprimant jusqu'au bout l'ignominie de ses personnages, comme dans la nouvelle qui clôt le recueil, "La personne déplacée", où elle détaille les mécanismes de la haine et du rejet de l'autre, un texte qui n'a malheureusement pas pris une ride...
C'est ma première participation à l'édition 2019 du MOIS DE LA NOUVELLE organisé par Marie-Claude et Electra :
Un jour, un jour, je le lirai!!!
RépondreSupprimerOui, il faut, je suis sûre que ce recueil te plaira !
Supprimerje n'ai jamais été fan de nouvelles mais je m'y suis mis depuis quelques mois et je rattrape mon retard
RépondreSupprimerce livre lu il y a quelques semaines a été un vrai coup de massue et en même temps un coup de coeur
quel talent dans l'art du récit, de la chute, de personnages brossé en deux coups de stylo avec un art consommé
comme tu le dis sa nouvelle "la personne déplacée" est toujours d'actualité et ce n'est pas ce qui se passe un peu partout en Europe qui peut nous rassurer
C'est d'ailleurs chez toi que j'ai noté ce titre ... et "La personne déplacée" est je crois mon texte préféré du volume, bien qu'il soit très glaçant. Il m'a paru tellement d'actualité, malheureusement.
SupprimerEncore un livre à noter. Je ne participe pas à ce challenge mais je vais suivre ça de près !
RépondreSupprimerC'est à lire, oui, pour la cruauté, l'acuité féroce du regard... Je ne connaissais pas du cette auteure, mais je ne vais pas m'arrêter à ce titre.
SupprimerJe ne suis vraiment pas très "nouvelles" (impression d'enchaîner trop d'histoires, chute souvent décevante, inégalité de l'ensemble des nouvelles dans un recueil) mais il y a eu quelques exceptions. Ce recueil pourrait peut-être en faire partie. Je note, ça m'intrigue.
RépondreSupprimerJ'en suis à mon 6e recueil en un peu plus d'une semaine parce que, je te rejoins sur ce point, on a tendance à enchaîner, quand on lit des nouvelles, une histoire après l'autre... ceci dit je n'ai pas vraiment été déçue pour l'instant, au contraire, j'ai découvert notamment deux beaux recueils très différents (un de Ron Rash et un d'Amos Oz, que je viens de terminer). Le plus difficile va être de rédiger tous ces billets !!
Supprimer6 recueils en 1 semaine !!!!!!!!! my god ! Mais que fait la section littéraire de l'Agence française de lutte contre le dopage !!!!!!!!!!!!!
SupprimerD'ailleurs, si ces lieux restent inactifs pendant plusieurs jours, c'est que l'on m'a internée... Marie-Claude et Electra assumeront-elles leur part de responsabilité en payant ma caution ?!
SupprimerMais sinon, les recueils que j'ai lus sont plutôt courts (voire très courts, pour certains..), et là je suis replongée dans un roman...
Je me porte garante pour la caution (en échange de quelques recueils!)
SupprimerEh ben, voilà une première participation plus qu'enthousiaste (et enthousiasmante).
RépondreSupprimerQuel billet inspiré... C'est là qu'on voit tout le talent d'un grand auteur... Ce recueil vieillit admirablement bien. Je repense à la première nouvelle et à quel point elle m'avait désarçonnée (cette grand-mère...).
Étonnamment, en te lisant, je me disais que plusieurs passages de ton billet pourrait s'appliquer à Shirley Jackson, dont je lis "La loterie et autres contes noirs". C'est deux femmes ont plusieurs points communs.
Bonne suite!
Oui, une belle découverte, j'ai d'ailleurs lu ton excellent billet après ma lecture (il avait dû m'échapper lors de sa parution). Du coup, j'ai hâte de lire ton avis sur le recueil de Shirley Jackson, que je ne connais pas du tout non plus...
SupprimerLà je fais une pause après avoir terminé Scènes de vie villageoise d'Amos Oz (que j'ai vraiment beaucoup aimé, surtout en raison de son étrange atmosphère), je reprendrai peut-être avec un recueil d'Atkinson, si je parviens à rédiger tous mes billets dans les temps !!
idem pour moi un jour je le découvrirai cette auteure comme Bret Easton Ellis d'ailleurs... Je connais si mal la littérature américaine
RépondreSupprimerJ'ai lu pas mal Bret Easton Ellis il y a quelques années, je m'en suis un peu lassée, et il y a quelque temps, je me suis attaquée à American psycho, qui avait échappé à ma période "Ellisienne", et quel choc !! A lire, mais ce n'est pas le genre de roman qui peut convenir à tout le monde..
SupprimerJ'ai "L'habitude d'être" dans ma PAL depuis un bon moment. Il faudrait que je l'en sorte. Je crois que c'est plus un récit autobiographique.
RépondreSupprimerPour avoir lu quelques éléments de sa biographie, j'imagine que ça doit être intéressant...
SupprimerUn excellent bouquin....! Le Bouquineur
RépondreSupprimerOui, je suis ravie de la découverte..
SupprimerVoilà une excellente suggestion de lecture. L'univers que tu décris m'incite à le lire. Merci ! Cela me rappelle aussi qu'il me faudrait participer à ce "Mais en nouvelles" !
RépondreSupprimerMais c'est avec plaisir ! J'espère que l'on aura le plaisir de lire ta ou tes chroniques à l'occasion de Mai en nouvelles, mais sur quel blog, cher(e) "inconnu(e)" ?
SupprimerCes nouvelles si noires sont vraiment superbes, à recommander tant et plus ! Beaucoup d'auteurs américains contemporains se disent inspirés par Falnnery O'Connor, et ils ont bien raison.
RépondreSupprimerCela ne m'étonne pas, elle a la plume acérée et efficace !
SupprimerAh là là, celui-ci, il faut vraiment que le lise! C'est déjà ce que je me suis dit à la lecture du billet de Marie-Claude d'Hop sous la couette...
RépondreSupprimerC'est aussi chez elle que j'avais d'abord noté ce titre, puis Dominique (A sauts et à gambades) a enfoncé le clou ! Un classique du genre, et une férocité réjouissante !!
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