LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Hyrok" - Nicolaï Lo Russo

"Je me suis toujours demandé s'il y avait un interrupteur au fond des ténèbres. Un petit bouton pour faire la lumière. Au bas des escaliers. Tout en bas. Il faudrait que je le trouve mais j'y vois plus rien. Je suis seul dans le noir".


"Hyrok" nous est présenté, dans un prologue écrit depuis l'année 2044 par le fils de Louison Rascoli, comme la transcription du journal de son père, photographe qui ne parvint qu'après -ou plutôt, sans dévoiler l'issue du récit, devrais-je dire "avec"- sa mort à atteindre la célébrité après laquelle il avait couru toute sa vie. C'est la disparition dans un incendie, dont les circonstances nous sont d'abord tues, de la quasi totalité de l'oeuvre paternelle, qui l'a décidé à le publier, pour témoigner du travail et de la personnalité de cet homme qu'il n'a pas connu, étant né après son décès.

Jeune homme sans histoire, né en Suisse dans une famille stable et aimante, Louison se découvre une passion pour la photo qui l'amène à Paris, où il tente de percer dans le milieu de la mode. Malheureusement, après un fugace et modeste rendez-vous avec la notoriété, il traverse des années de désillusions et d'échecs, parfois ponctuées de quelque commande lui permettant de sortir temporairement la tête hors de l'eau, mais insuffisantes pour freiner réellement sa chute vers la précarité, et un profond désespoir.

Avec une spontanéité instillant à ses écrits éloquence, sincérité et énergie, il décrit minutieusement sa descente aux enfers, en même temps qu'il exprime avec une lucidité cynique et cruelle sa vision d'un milieu artistique tué par le mercantilisme et l'uniformisation. Car si Louison, tiraillé entre son élan créatif et la nécessité de gagner sa vie, finira par faire quelques compromissions à son art, il n'a jamais été dupe du monde dans lequel il tente de percer. Le mannequinat et ses filles anorexiques considérées comme de la viande, les agents artistiquement ignares mais grassement payés et capables de faire ou défaire une carrière d'un claquement de doigts, les jeunes photographes dociles, adoptant dress codes et absence de style pour coller à la tendance standardisée... tout passe au crible du dégoût amer que lui inspire la dérive d'un univers lisse et superficiel, qui n'est plus que marchand, dans lequel la singularité et la sincérité n'ont plus leur place. Les relations personnelles sont elles-mêmes soumises au nouveau diktat de l'hyper-consommation, et empreintes d'une frivolité croissante qu'entretiennent ces nouveaux modes de communication que sont les réseaux sociaux, sur lesquels Louison, pourtant conscient du caractère pathétique de ses pratiques, s'adonnent à des relations sexuelles souvent décevantes, mais vers lesquelles sa détresse et une forme d'addiction le poussent à revenir constamment.

"Hyrok" est un roman très habile : ses emportements stylistiques parfois mal maîtrisés, les (rares) maladresses d'expression qui l'émaillent, ses longueurs, mais aussi ses fulgurances, lui confèrent une crédibilité qui rend l'illusion parfaite, donnant véritablement l'impression d'être immergé dans l'intimité de Louison Rascoli. La lecture en est presque éprouvante, tant on se sent pris d'une frustrante impuissance face à l'inéluctabilité de la chute du héros, et d'une sorte d’écœurement suscité par la répétitivité de ses échecs.

C'est donc un récit à la fois très dense et très sombre, mais aussi vivant car palpable, qui aborde par ailleurs ses thématiques avec profondeur et acuité.

A lire...

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