LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"L'immeuble Christodora" - Tim Murphy

"Tout à coup cette décennie de solitude et d'amertume explosa en elle comme un tsunami".

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans ce roman, et me suis même demandée, à l'idée de ses 630 pages, si j'allais persévérer dans la lecture de ce récit à l'écriture trop "bavarde", s'attardant sur des précisions pas toujours utiles, dont les dialogues me semblaient manquer de naturel... Bref, je trouvais que l'ensemble manquait à la fois de chair et d'efficacité.

Et puis, l'histoire m'a peu à peu embarquée, suffisamment en tous cas pour que j'ai envie de savoir ce qu'il allait advenir de ses personnages, dont nous faisons connaissance au gré d'une chronologie éclatée, couvrant une période allant du milieu des années 80 à 2021.

A partir d'un trio central, formé par Milly et Jared Traum, couple d'artistes bourgeois, et Mateo, leur fils adoptif, Tim Murphy à la fois évoque l'intime, les remous des destinées individuelles, et restitue l'atmosphère caractéristique des lieux et des époques que traversent ses héros, en s'attardant notamment sur les années sida et les discriminations subies par les minorités.

L'immeuble Christodora, dans un appartement duquel vit la famille Traum, est lui-même témoin des mutations qui transforment le quartier alentour (Greenwich Village), sa dimension populaire laissant progressivement la place à un embourgeoisement "branché". Il hébergera les prémisses de la douloureuse quête identitaire de Mateo, et sa révolte contre ce qu'incarnent ses parents adoptifs. Déchiré entre ses origines biologiques (sa mère, une latino américaine d'extraction modeste, est morte du sida avant son premier anniversaire) et tout ce qu'apporte à ses aptitudes et sa passion pour le dessin le milieu privilégié où il est élevé, il tombe dans l'engrenage de l'addiction à la drogue, s'y adonnant entre autre en compagnie d'Hector, ancien locataire du Christodora, grande figure déchue de la lutte contre le sida que le décès de son compagnon, des années auparavant, a rendu aigri et solitaire. 
L'immeuble Christodora assistera par ailleurs au délitement du couple Traum, affaibli par le conflit l'opposant à Mateo, et à l'esseulement grandissant de Milly, personnage sans doute le plus discret mais non le moins touchant de cette fresque new-yorkaise, qui semble avoir laissé sa vie lui échapper, s'interdisant le bonheur et un certain égoïsme salutaire, par terreur d'avoir hérité de la folie maternelle. Elle a ainsi toujours subi l'ombre d'Ava, dont la réussite professionnelle et l’investissement forcené dans l'activisme contre le sida dissimulaient un chaos intérieur plus ou moins maîtrisé à coups de doses de cheval d'anti-dépresseurs. Ava, trop absorbée par ses engagements sociétaux et sa lutte contre la maniaco-dépression pour jouer son rôle de mère...

D'autres protagonistes viennent nourrir la densité de l'intrigue, notamment Drew, la fidèle et solide amie de Milly, ou Ysabel Mendes, la mère de Mateo, que des incursions dans le passé nous permettent de retrouver bel et bien vivante... et c'est sans doute l'une des plus grandes forces de ce roman, que cette riche galerie de personnages, constituée de portraits complexes et attachants, l'auteur traquant dans les personnalités même les plus anodines ces éclairs de flamboyance, ces zones d'ombre ou ces pans de désespoir qui donnent l'impression de pénétrer leur intimité la plus profonde. On suit de même avec beaucoup d'intérêt le ballet de leurs relations, dont sont mis en évidence les mécanismes qui se détraquent, les fondements qui les gouvernent -besoin, culpabilité, pitié...-, mais aussi la grâce et la sincérité qui parfois les cimentent.

Un bilan plutôt positif, finalement, pour ce roman à l'arrière-goût mélancolique et même un peu amer, même si, comme évoqué en début de billet, il m'a manqué une certaine fluidité au niveau du style pour que je sois vraiment emballée.


Cette lecture me permet en tous cas d'afficher une nouvelle participation au Pavé de l'été de Brize :


Commentaires

  1. L'écriture bavarde et les dialogues qui sonnent faux, ça aurait suffi à me mettre sur la touche dès le départ !

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    1. J'ai failli assez vite jeté l'éponge, mais je ne regrette pas d'avoir persévéré, finalement. Il m'a semblé que ses défauts stylistiques s'atténuaient un peu au fil du récit. Après ma lecture, j'ai lu d'autres avis qui évoquaient les mêmes bémols, certains soupçonnant la traduction d'être en grande partie responsable..

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  2. La galerie de personnages me tente bien .... je jetterai un oeil sur les premières pages en librairie pour tâter du style avant de me lancer.

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    1. Je ne sais pas si cela te fera envie, ce sont vraiment les premières pages qui m'ont rebutée.... Feuillette-le plutôt au hasard ! Je dois dire qu'avec le recul, j'en garde plutôt une impression positive.

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  3. Pour le coup je garde un magnifique souvenir de ce roman ! J'ai aimé voir la sociologie de la ville à travers l'évolution des personnages, et j'ai découvert un autre regard sur le militantisme des années 80 et le sida (je ne savais pas par exemple que certains symptômes n'étaient pas reconnues car spécifiques aux femmes ). Après je comprends tout à fait le côté bavard et pas tout à fait fluide :-)

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    1. Comme je l'écris ci-dessus, j'en ressors avec un avis pas si négatif que ça, et bizarrement, je pense que c'est un roman qui me restera en mémoire. Comme toi, j'ai appris (avec stupeur et écœurement) cette histoire de symptômes féminins...

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  4. C'est drôle comme je ne lis que des avis négatifs ou mitigés sur ce livre... Alors que pour moi il a été un coup de coeur dès le départ! J'ai adoré l'atmosphère, les personnages, la grande histoire derrière la petite, etc. J'avais emprunté ce roman à l'époque et je l'ai racheté par la suite pour l'avoir à moi et le relire... :)

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    1. Je comprends qu'il plaise, c'est vrai qu'il y a à la fois un certain souffle et en même temps une approche profonde des personnages...

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  5. Je garde un excellent souvenir de cette lecture qui m'a replongé dans une période tragique (si jamais mon court avis sur le sujet t'intéresse : https://theautistreading.blogspot.com/2017/03/recap-mars-2017.html).
    Je n'avais pas ressenti de longueurs, et encore moins avais été choqué par le manque de naturel des dialogues. Du coup, c'est à se demander si ça ne viendrait pas plutôt de la traduction...

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    1. Bine sûr que ton avis, même court, m'intéresse ! Je vois que tu l'as lu en VO, et certains avis à son sujet rejettent effectivement sur la traduction ces maladresses stylistiques. Je n'ai malheureusement pas un niveau d'anglais suffisant pour lire "dans le texte"...

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  6. Un roman qui pourrait me plaire, pour peu que j'adhère à l'écriture.

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    1. Les thématiques sont passionnantes, et les personnages attachants et très bien campés, il faut essayer, en ne se laissant pas rebuter par un début que je n'ai vraiment pas trouvé accrocheur... si tu peux le lire en VO, c'est l'idéal !

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  7. Tu as eu plus de patience que moi! J'ai jeté l'éponge passé le cap des 50 pages.

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    1. Je comprends, j'ai été à 2 doigts de faire comme toi, mais avec le recul, je ne regrette pas ma persévérance... j'avoue que le fait de le lire dans le cadre du "Pavé de l'été" m'a un peu motivée, aussi !

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