LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Mauvaises graines" - Lindsay Hunter

Adolescences en friche.

Ce ne sont pas des mauvaises graines. Plutôt des fleurs plantées dans un terreau médiocrement fertile, en manque d'eau et d'un jardinier assidu... Elles sont deux, et comme souvent dans les inséparables duos adolescents, l'une est jolie, et l'autre non.

La mignonne, c'est Perry. Elle vit dans un camp de caravanes, avec Myra, son alcoolique de mère et son beau-père Jim. N'allez pas imaginer un environnement sordide, crasse. Bien que vous soyez susceptibles d'y croiser un voisin se promenant avec une carabine à air comprimé à la main, vous n'apercevrez dans ce camp ni gamins traînant en couche sale, ni bagnoles désossées, comme vous n'y entendrez ni cris de soiffards ni éclats de disputes conjugales. Ses résidents, un cran en-dessous de la classe moyenne, sont de ces invisibles qui tentent de survivre avec dignité, plantant des fleurs dans leurs jardinets, éclairant leur mobils-homes de guirlandes d'ampoules, qui parviennent, à condition de se satisfaire du minimum, à boucler les fins de mois.

Perry et Myra ont en plus la chance d'avoir Jim, mari patient et beau-père attentif qui s'efforce d'apporter stabilité et structure à la cellule familiale, veillant à ce que Perry aille chaque jour à l'école. Jim qui rêve d'un foyer paisible, sans mauvaise surprise. Paisible, il l'est d'ailleurs relativement. Myra, et il lui en est reconnaissant, a l'alcoolisme discret, et Perry n'est pas vraiment une adolescente en rébellion contre ses parents, qu'elle aime sincèrement. Seulement, il n'est pas dupe, il sait que quand il part embaucher la nuit -il est gardien de prison- elle fait le mur. Myra fait semblant elle aussi de ne rien entendre, absorbée par la dépression que suscite le deuil de sa jeunesse, car comme Perry elle a été une belle fille, imaginant la nuit pleine de possibles.
Par ailleurs, Jim ne voit pas d'un très bon œil l'amitié que sa belle-fille entretient avec Dayna.

Dayna, dite Baby Girl, c'est la moche. Et comme pour compenser son physique ingrat, elle se fait remarquer par une allure insolite (un crane à demi rasé) et une vulgarité agressive qui démarre au quart de tour. Orpheline, elle vit avec son Oncle Dave, qui a trouvé la lumière divine, et son frère Charles, ex-caïd athlétique et charismatique qu'un accident de moto a métamorphosé en poussah affligé de la maturité d'un enfant de cinq ans.

La nuit, les deux comparses sillonnent leur morne bourgade au volant de voitures volées, boivent, font des dérapages sur des parkings de supermarchés et des flambées dans les caddies.

Lindsay Hunter a fort bien capté, avec ces deux héroïnes, l'ambivalence entre leurs attitudes bravaches et transgressives et une forme de naïveté encore enfantine, une vulnérabilité liée à un profond besoin de reconnaissance, et d'amour, tout simplement. Elle évoque ainsi le dégoût que s'inspire à elle-même la crâneuse Dayna, passée du statut de jolie petite sœur désirable protégé par son grand frère à celui d'adolescente en surpoids, repoussante, livrée à elle-même, ou le peu d'estime que s'accorde une Perry convaincue qu'elle ne mérite pas l'affection que lui manifestent ses proches.

Parce qu'elles ne sont pas sûre d'atteindre une respectabilité et une "normalité" qu'elles font semblant de dédaigner, Perry et Baby Girl se frottent à la délinquance, mais comme elles font tout le reste, avec une morgue empreinte de la lassitude que procure la routine. Cela aurait pu n'être qu'une étape de leur existence, une crise adolescente sans conséquence durable, mais l'introduction dans le duo d'un quidam aux intentions douteuses va faire basculer leur fragile équilibre...

"Mauvaises graines" est le récit de destins plombés par la solitude et le désœuvrement d'une vie sans éclat et sans perspectives, une vie décevante car avare de réussites, ponctuée de rares expériences sexuelles sans romantisme, de relations plus superficielles que réellement amicales... Le rythme lent de l'intrigue rend pénétrant cet ennui que vient alourdir le sentiment d'une menace latente mais omniprésente.

Un premier roman réussi.

Commentaires

  1. Je suis conquise! Rien à ajouter sinon qu'il me le faut!

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    1. J'espère qu'il te plaira... j'ai bien aimé cet "entre-deux", on a affaire à des gamines qui ne vivent ni dans la misère noire ni dans des conditions optimales, qui oscillent entre les restes d'une candeur enfantine et la morgue agressive de l'adolescence.. un moment et un contexte qui font que ça peut basculer à tout moment..

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