LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Sistac" - Charlie Galibert

"Cette vie n'est qu'une ivrognerie ; le plaisir s'en va, et le mal de tête reste".

C'est l'histoire d'une poursuite. Dont les raisons ou la conclusion importent peu. Restent ses acteurs, son long et répétitif déroulement, l'hostile immensité au cœur de laquelle elle prend pied.

Pour avoir abattu trois soldats confédérés ivres qui lui cherchaient des noises, Jean Sistac a vu sa tête mise à prix, un prix plutôt flatteur de 5000 $. Depuis il est en fuite, avec son indispensable et fidèle compagnon Bernard, cheval qu'il a ainsi prénommé en souvenir d'un ami d'enfance, de l'époque où il vivait encore dans le quartier des Minimes, à Toulouse. Une époque reléguée à des années-lumière : cédant aux rêves de Nouveau Monde de la mère, sa famille a quitté sa France natale pour périr quelques mois plus tard sous une avalanche à quelques miles de l'Eldorado tant convoité. Seul Sistac, alors âgé de treize ans, a survécu.

Et le voilà, une décennie plus tard, pourchassé par une unité de cavalerie et surtout par Goodfellow, chasseur de primes faisant lui-même l'objet d'un avis de recherche mais réputé pour être tellement vicieux et dangereux que personne ne se risquerait à tenter sa capture. Sistac le surnomme Goodbrother, parce qu'à force de se suivre de longs mois durant, de vivre la similaire expérience d'une fuite perpétuelle, il s'est installé entre les deux hommes une sorte de complicité distante, liée à une connaissance intuitive mais profonde de l'autre, chasseur et chassé inversant parfois les rôles, brouillant ainsi jusqu'à leur propre perception d'eux-mêmes, comme s'ils ne devaient plus le sens de leur existence qu'à l'autre...

Leur progression, non linéaire, délimitée aux régions désertiques jouxtant la frontière mexicaine de l'extrême ouest des Etats-Unis, en acquiert une dimension erratique et infinie. Les repères temporels ont eux-mêmes tendance à se dissoudre dans les caprices d'un climat qui ne semble jamais clément, tantôt les écrasant de sa chaleur torride, tantôt leur faisant subir tempêtes de neige ou pluies diluviennes... Le quotidien est rythmé par les pragmatiques impératifs de survie, que seule la possession d'une arme, d'un cheval, et la connaissance des ressources naturelles, rendent possible : trouver de la nourriture, un abri pour la nuit, se débarrasser des sangsues, éloigner les meutes de loups ou de chiens sauvages... D'improbables et brèves rencontres avec quelque vagabond égaient parfois cette austère routine. 

Pour rendre la perpétuelle âpreté de cette poursuite, pour évoquer l'écrasante prédominance de la lumière, du ciel, de la poussière, Charlie Galibert a choisi une approche minimaliste. Constitué de courts paragraphes et de constants retours à la ligne, évoquant une chanson de geste ou un long poème sans rimes, "Sistac" ne manque pas d'un certain lyrisme, malgré la rusticité de son propos. Il est aussi riche d'un humour souvent noir, soulignant l'omniprésence d'une violence dont l'iniquité et la banalité réduisent à néant la valeur d'une vie humaine.

A lire !

Commentaires

  1. Tu me donnes envie de le relire... C'est un texte envoûtant, et très réaliste sur l'envers du décor des desperados. Je suis contente qu'il se fasse connaître !

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    1. En fait, j'avais d'abord acheté "L'autre" sur un salon, au stand des éditions Anarcharsis, que j'apprécie beaucoup, puis j'ai vu qu'il s'agissait non pas d'une suite, mais d'une autre facette si on peut dire, de "Sistac", que j'ai eu la chance de trouver facilement en bouquinerie. J'ai lu les 2 en suivant (billet sur "L'autre" après-demain) mais je les ai trouvés très différents, et je comprends que tu n'aies pas accroché au 2e "volet", qui m'a parfois un peu perdue..
      Quant à ce "Sistac", tu as raison, il est envoûtant, en même temps que c'est un texte très resserré, ce qui lui donne un rythme bien particulier..

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  2. Noté ! Ce serait un beau dépaysement de mon côté !

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    1. Oui, c'est un titre qui en effet nous immerge dans un autre monde...

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  3. A lire ! A lire ! A lire ! Mais je ne m’en sors plus moi :-) (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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  4. Je viens de voir le billet de nathalie
    (que j'avais raté)
    Les retours
    à la ligne
    risquent de m'agacer...
    ^_^

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    1. Je les ai au contraire appréciés, pour le rythme qu'ils donnent au texte, et la "respiration" qu'ils permettent, parce que l'âpreté du récit demande de reprendre son souffle, de temps en temps !

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  5. Tu donnes envie de découvrir ce récit qui a l'air de sortir des sentiers battus, j'aime bien la collection Libretto souvent de grande qualité, c'est noté

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    1. C'est vrai que Libretto est une valeur sûre, et pour info, Sistac est paru au départ en grand format chez Anacharsis, maison de qualité aussi ! A découvrir en tous cas, c'est en effet un texte original, et surtout très prenant.

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  6. Je ne raffole pas de ce genre d'histoire, mais à l'occasion, s'il croise ma route ..

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    1. Dans ce cas n'hésite pas, c'est une lecture qui change de ce dont on a l'habitude, un western à la fois rude, épuré et lyrique..

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  7. Euh, je viens de lire les extraits chez Nathalie et, je ne suis guère emportée par ce style. Et pourtant, tu l'avais bien vendu !

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    1. Ah dommage, moi c'est surtout le style que j'ai aimé, à la fois poétique et dépouillé.

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  8. Ce que tu en dis me fait penser à Au loin ... j'ai bon ou pas ? parce que si j'ai bon, je suis preneuse !

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    1. Ah, très bonne question... Comment dire... ? Oui et non ? Oui pour le propos, l'ambiance âpre, la solitude qui en émane, et non pour le style et le ton ! Sistac est court, l'écriture en est presque rabotée, et il y a une forme d'humour ici, en lien avec la dimension dérisoire de la poursuite, qu'on ne retrouve pas dans Au loin. Ce sont des lectures qui procurent des sensations très différentes. Dans Au loin, on s'installe, alors que Sistac nous met plutôt sur une sorte de qui-vive, en raison du rythme du texte, un peu saccadé.
      Je crois qu'il pourrait te plaire..

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