"Clair de femme" - Romain Gary
"Mais je ne sais pas pleurer, et puis il y a des moments où je suis capable de prendre l’horreur, de lui tordre le cou et, pour qu’elle crève plus vite, je la force à rire. Le rire, c’est parfois une façon qu’a l’horreur de crever".
Le narrateur, Michel, nous raconte la nuit où Yannick, la
femme qu’il aime passionnément et à laquelle le lie une relation fusionnelle, a
décidé de se donner la mort avant que le cancer qui la ronge ne la réduise à une
longue agonie, puisqu’elle a "trop le goût de la plénitude pour accepter
de lécher les restes dans l’assiette". Elle a souhaité le faire seule, pour
laisser à Michel le seul souvenir des belles choses, et l’a, surtout, exhorté à
trouver une autre femme, une sœur inconnue avec qui faire vivre la part d’elle
qui l’habite, prolonger la jouissance de ce bonheur dont ils étaient à la fois
les acteurs et les réceptacles, et envers lequel ils sont redevables, car "la
plus cruelle façon de l’oublier serait de ne plus aimer". Il s’agit d’entretenir
la flamme de leur passion pour sauver ce qu’ils ont été de plus beau, de faire
survivre non pas tant Yannick que l’idée même de l’amour, de ne pas briser l’élan
qui les a unis, portés, d’en faire profiter une autre pour le garder vivant, et
en même temps de sauver Michel qui, elle le sait, ne pourra pas vivre sans elle.
"Dépense-moi, donne-moi à une autre."
Aussi, lorsqu’il tombe, littéralement, sur Lydia, qu’il
bouscule en sortant d’un taxi, et devine à son regard la détresse qui la hante,
il s’accroche à cette femme elle-même dévastée par la mort récente d’un enfant dans
un accident, dont son mari a quant à lui gardé de lourdes séquelles psychiatriques.
Au cours du périple nocturne empreint d’un désespoir fébrile
qui s’ensuit, Michel et Lydia se rapprochent, confrontent leurs douleurs, lui
presque exalté par la grandeur de la mission que lui a confiée Yannick, elle
circonspecte et triste face à l’étrange contrat que lui propose Michel, refusant
de n’être que la dépositaire du souvenir d’une autre, estimant que c’est trop
haut pour elle, cette "haute lutte, sorte de combat sauvage pour l’honneur
humain", par moments tentée par l’échappatoire que laisse entrevoir le
fou projet de Michel, mais trop embourbée dans le prosaïsme de son malheur pour
répondre à son ardeur.
L’errance de Michel dans la nuit parisienne nous fait aussi croiser
dans un cabaret un curieux Señor Galba, artiste et malade en sursis dont le spectacle
consiste à unir un caniche et un chimpanzé le temps d’un pathétique paso doble,
rencontre qui exhausse la dimension à la fois mélancolique et cocasse du récit. Et c’est bien ce qui fait l’immense richesse de ce texte beau
et émouvant, cette alliance entre intensité -sans tomber dans le dramatisme- et
dérision, entre absurdité et désespoir, l’auteur maniant l’humour comme pour compenser un éventuel excès d'emphase -pourtant inexistant- et replacer ses héros dans le prisme d'une vulnérabilité somme toute humaine, mais que vient faire parfois oublier la grandeur d'émotions qui à la fois les élèvent et les dépassent.
J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Athalie : son avis est ICI.
D'autres titres pour découvrir Romain Gary :

Ca a l'air superbe. Je n'ai toujours pas lu Romain Gary, pourtant j'ai plusieurs de ses livres depuis l'adolescence...
RépondreSupprimerOh oui, c'est très beau (et très court, en plus !), à lire vraiment, ainsi que La vie devant soi et La promesse de l'aube, s'ils sont dans ta bibliothèque !
SupprimerBizarre, j'ai lu un des romans d'Ajar il y a longtemps, ça passait bien, mais Gary, non, pas accroché. J'ai démarré puis abandonné La promesse de l'aube, c'est dire
RépondreSupprimerOh non, pas accroché à La promesse de l'aube ?! Après, Gary a une bibliographie tellement foisonnante, qu'il me semble que chacun peut y trouver son compte (à condition de tomber sur le bon titre..). Toi qui aimes les récits qui sortent des sentiers battus -notamment au niveau de la structure narrative-, Europa pourrait te plaire, c'est un roman très singulier (et qui n'a absolument rien à voir avec La promesse de l'aube)...
Supprimerdisons que la mère me gavait grave...
SupprimerJe peux comprendre, elle a des côtés très agaçants... mais la manière dont Gary dépeint sa relation à cette mère vampirique m'a vraiment emballée..
SupprimerAlors là, je suis tout simplement convaincue sans réticence. Le sujet est tellement ambitieux. Au vu de ce que Gary m'a laissé entrevoir dans La promesse de l'aube, je suis sûre qu'il en a fait un livre superbe. Je le mets immédiatement dans ma liste d'envie !
RépondreSupprimerJe suis sûre qu'il te plaira, j'ai adoré, et c'est très beau (et Athalie confirme !)..
SupprimerPas lu celui-ci, mais pas mal d'autres. Ils étaient tous époustouflants, d'où cette réflexion: est-ce que Romain Gary a écrit un livre un peu "en-dessous"?
RépondreSupprimerJe n'ai en tous cas jamais été déçue, et j'ai bien l'intention d'en lire plein d'autres.. à commencer par Chien Blanc et Gros Câlin qui sont sur ma PAL..
SupprimerJe n'ai jamais lu ce Clair de femme, grosse lacune à combler, je le sens bien ;-)
RépondreSupprimerJe ne sais pas si c'est l'un des titres de Gary les plus connus, je ne crois pas. J'ai vu que Costa-Gavras en avait tiré un film avec Yves Montand et Romy Schneider. Sans doute l'adaptation a-t-elle supplanté le livre dont elle est inspirée comme c'est souvent le cas.. mais à lire, oui, d'autant plus qu'il se dévore en un rien de temps !
SupprimerJe lirai celui-ci, très bien présenté par vous. De Gary j'avais lu Gros câlins. Un employé de bureau qui vit avec un python, qui se prénomme Gros câlins.
RépondreSupprimerDrôle et parfois cru. Ça dénonce la solitude de ceux qui n'ont personne.
Bonjour Carmen, ravie de vous revoir ! Gros Câlin sera ma prochaine lecture, je n'en connaissais pas le sujet, et ce que vous en dites m'intrigue..
SupprimerOn raconte que lorsque les astronautes américains ont débarqué sur la lune, ils y ont trouvé des chinois. Indignés, car chacun sait que les chinois ne disposent pas de moyens technologiques nécessaires, ils les somment de s'expliquer. Comment se fait-il que vous soyez là, comment êtes vous arrivés jusqu'à la lune, contre toutes les lois de la nature ? Alors un des petits chinois, en posant un poing après l'autre et en mimant ainsi la courte échelle, explique avec un grand sourire : " un petit chinois, deux petits chinois, trois petits chinois"
RépondreSupprimerMerci à Gary et quelle belle lecture commune !
Oh que oui, j'espère que la prochaine tiendra aussi ses promesses ! Pour la date, dis-moi ce qui te convient (en fonction de celles que j'ai déjà, dans les "Book'ineries communes" en haut de la marge de gauche).
SupprimerPas encore lu mais cela ne serait tarder.
RépondreSupprimerJ'espère qu'il t'enchantera autant que moi, c'est un très beau texte.
SupprimerAaah Romain Gary (coeur), un de mes grands auteurs chouchou. Ça fait un petit moment que je ne suis pas revenue vers lui, tiens ! Tu me donnes envie de replonger dans son univers. Peut-être avec ce livre ? Il m'en reste quelques-uns à découvrir, je m'en réjouis d'avance !
RépondreSupprimerJe ne te savais pas fan ! Renouer avec ce titre est en tous cas une très bonne idée, je suis sûre qu'il te plaira !
SupprimerIl est dans ma PAL car je suis sous le charme de l'écriture de Romain Gary, mais je veux en lire d'autre avant. notamment "Les racines du ciel"et " les cerfs-volants"
RépondreSupprimerJ'ai vu il y a longtemps le film adapté du roman, je me souviens de l'atmosphère extraordinaire qui s'en dégageait, plus que du contenu lui-même en fait :-)
Je n'ai pas vu le film, je n'ai d'ailleurs appris qu'il existait qu'après ma lecture. On m'a aussi conseillé Les cerfs-volants..
SupprimerJ'aime beaucoup l'écriture de Gary et je garde un excellent souvenir de ce roman. Il m'avait touché en plein cœur.
RépondreSupprimerJe n'en suis pas étonnée..
Supprimerpas du tout tenté, j'ai laissé tomber l'un de ses romans phares (sous le nom d'Ajar) .. et puis je ne sais pas, j'aime Jean Seberg et du coup je l'aime pas lui lol
RépondreSupprimerje suis dans la lecture de Susan, boulot oblige, je pense quand même le finir à temps !!
Décidément, entre Martin et Romain, les hommes n'ont qu'à bien se tenir, tu es intraitable !
SupprimerTiens-moi au courant pour la LC, on peut la décaler de quelques jours, si besoin.
J'ai prévu de lire si ce n'est tout Gary une bonne partie car c'est un grand auteur
RépondreSupprimerJe te rejoins parfaitement, j'ai déjà prévu de lire deux autres de ses titres sans doute avant la fin de l'année..
SupprimerC'est un des Gary que je tiens à tout prix à lire (et tu le rappelles justement à moi...)
RépondreSupprimerEt tu as bien raison, car c'est un titre très réussi, émouvant et profond, à la fois triste et drôle...
SupprimerDe Gary, j'en ai lu qu'un, mais je vais bientôt rattraper mon retard... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerTu sais déjà avec lequel ? En tous cas, la bibliographie de Gary est très riche, et laisse entrevoir encore de belles découvertes en ce qui me concerne.
SupprimerNon, je dois approfondir encore 5 ou 6 écrivains avant de revenir à Gary (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)
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