"Le poids de la neige" - Christian Guay-Poliquin
"Il n’y a plus rien à voir. Nous sommes pris au piège dans une mer de glace. Vingt mille lieues sous l’hiver".
Dans le salon d’une maison isolée à la sortie d’un village de montagne, le narrateur est cloué au lit, les deux jambes immobilisées par des attelles suite à un grave accident de la route, survenu lors de son retour dans sa bourgade natale. Les villageois qui l’ont alors recueilli ont hésité à le laisser mourir, jusqu’à ce que l’un d’eux reconnaisse en lui le fils du mécanicien, parti dix ans auparavant. Comme personne ne pouvait s’occuper de lui, un marché a été conclu avec Matthias, un vieil homme coincé au village suite à une panne de voiture : la promesse de l’inclure dans le premier convoi qui partira en ville (à huit heures de route) contre sa prise en charge de l’accidenté.
Cette entrée en matière vous semble quelque peu obscure ?... c’est qu’elle reflète le sentiment qui s’empare du lecteur en découvrant l’intrigue du "Poids de la neige", dont le contexte reste flou, baigné d’une atmosphère vaguement post-apocalyptique. Une panne d’électricité générale a depuis plusieurs mois "défiguré la vie d’avant" ; des échos sporadiques d’événements lointains, colportés par la rumeur, évoquent des stations-service dévalisées, des milices officiant au bord des routes, bref un monde sombrant dans le chaos. Mais ce n’est pas très important. Ce qui compte c’est l’ici et maintenant, rythmé par l’hiver, le vent, et surtout la neige qui monte le long de la maison comme le niveau de l’eau dans une pièce sans issue, qui à la fois fige et ensevelit, plaçant les deux héros dans une promiscuité forcée. Un présent que la panne d’électricité et les conditions météorologiques semblent avoir fait reculer dans le temps, celui des poêles à bois et des vivres que l’on économise, sur lequel plane la menace du désœuvrement.
Le narrateur (qui restera anonyme) et Matthias cohabitent ainsi dans une solitude que viennent parfois interrompre -brièvement- les visites de Joseph, qui vient les ravitailler, ou de Maria, la vétérinaire du village qui faute de médecin, s’occupe des malades. Le vieil homme soigne, nourrit, lave cet accidenté qu’on lui a imposé, qui est à la fois son contretemps, son obstacle à un départ en ville où l’attend sa femme souffrante, et en même temps son billet de retour. Il est prolixe, évoque le présent comme ses souvenirs, tentant de faire parler son hôte obstinément mutique. Celui-ci observe son garde-malade qui, infatigable et débrouillard, ne cesse de s’activer avec l’assurance mesurée qui caractérise tous ses gestes. Il s'exaspère de la puissance et de l'agilité qui émanent de l'homme, exaspération attisée par son sentiment d’impuissance, de dépendance, et par une douleur qui ne lui laisse aucun répit.
Comme retranscrivant un journal de bord mental que tiendrait le narrateur, les chapitres, courts et s’ouvrant systématiquement sur une observation lapidaire à propos des conditions climatiques, créent par leur insistante succession une sensation de temps figé, au cours duquel les journées se répéteraient à l’infini. Dans ce huis-clos marqué par l'austère âpreté qu'engendre la disparition de tout superflu, les deux héros se livrent à un affrontement qui ne dit pas son nom, et qui plombe le récit d’une tension sourde et asphyxiante.
J’ai aimé. J’ai juste regretté que l’auteur parsème son intrigue d’un symbolisme qui restera énigmatique jusqu'à la fin (hormis Maria et Matthais, tous les personnages portent un prénom commençant par la lettre J, ou évoquant des personnages bibliques…) et n‘apporte rien, selon moi, à son récit.
Une idée piochée chez Athalie, qui me permet d'afficher une première participation au MOIS QUEBECOIS orchestré par Karine et Yueyin, dans la catégorie 3 - Livre ayant gagné un prix littéraire (plus de précisions sur le -très riche- programme de l'activité ICI).
On a pas mal vu ce livre sur les blogs, mais pas franchement envie, ça m'a l'air étrange quand même, cette atmosphère
RépondreSupprimerOui, l'atmosphère est singulière, mais le récit est en même temps très palpable, très concret, car il se compose des gestes du quotidien, jour après jour, des deux protagonistes.
SupprimerC’est le genre de récit, un peu étrange et obscur, qui peut me plaire... (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerTout à fait !
SupprimerJ'avais beaucoup aimé l'atmosphère, et l'écriture...
RépondreSupprimerNous sommes d'accord. Je n'ai juste pas compris pourquoi il avait trouvé utile d'ajouter des éléments qui nous font nous poser des questions sur la symbolique du récit, qui restent sans réponse, mais qui surtout ne m'ont pas paru vraiment pertinents, pas cohérents avec le reste.. mais c'est un détail, finalement.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé également, cette atmosphère, cette tension, les questions en suspens. J'ai lu ensuite " le premier " roman, avec le narrateur, un road movie auquel j'ai bien moins accroché.
RépondreSupprimerJe n'avais pas souvenir qu'il avait été lu par tant de lectrices ! Et je ne savais pas que ce titre était précédé d'un premier "volet", que je ne lirai pas, toutefois, vu le sentiment mitigé qu'il vous a laissé, à Aifelle et toi !
SupprimerJ'ai beaucoup aimé cette lecture (sans même remarquer le symbolisme que tu évoques) et j'ai enchaîné par le premier "le fil des kilomètres". Moins fort, Maryline a raison, mais il s'arrête là où "le poids de la neige commence" et j'ai trouvé intéressant d'avoir le début du périple du narrateur.
RépondreSupprimerÇa m'a sauté aux yeux au bout d'un moment : le trio José/Maria/Joseph, et tous les prénoms en J... Quel était le but de l'auteur ? Je ne sais pas, mais ce n'est pas très important, juste superflu. Ah, j'avais lu un peu vite ton commentaire, en répondant à celui de Marilyne, je vois que tu conseilles quand même le premier... à voir, peut-être par curiosité !
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce roman, le côté insolite, le côté "il ne se passe pas grand-chose mais on est tenu en haleine".
RépondreSupprimerOui, c'est toute la force du roman, de nous installer dans une forme de sombre désœuvrement, d'immobilité, tout en attisant notre curiosité sur la manière dont la situation va évoluer..
SupprimerJe l'avais repéré sur les blogs. Merci pour la piqure de rappel. Je pense qu'il pourrait me plaire.
RépondreSupprimerComme tu peux le voir, en tous cas, il a plu à de nombreuses lectrices ! Je crois que Karine (Mon coin lecture) en revanche, n'avait pas été emballée. Mais je recommande, oui !
Supprimerbrrrrr à chaque fois que je lis un billet sur ce livre, je frissonne :-)
RépondreSupprimerC'est d'ailleurs l'effet que fait la lecture du roman aussi, toute cette neige et toute cette tension...
SupprimerJe n'ai plus trop le goût de lire des récits proches du genre apocalyptique en ce moment ... Mais celui-ci m'avait touché car, comme tu le dis, le plus important est le rapport entre les deux hommes, le poids de la parole et des enjeux individuels. Cette sourde tension fait la qualité de l'écriture, aussi.
RépondreSupprimerOui, l'auteur restitue très bien cette atmosphère mêlant immobilité et sentiment d'angoisse... une jolie réussite !
Supprimerj'avais mémorisé le titre sans plus mais il semble faire l'unanimité... moi qui était dans une période d'abstinence de nouveaux livres c'est râpé :-)
RépondreSupprimerAbstinence de nouveaux livres ?! Oh mais non, faut pas se faire du mal comme ça ! Un titre à découvrir, original et prégnant..
SupprimerLu et beaucoup aimé. J'avais d'abord lu Le fil des kilomètres, un road-movie entamé par le même narrateur, où l'on capte plus ou moins la "catastrophe" qui s'abat sur le pays. J'ai particulièrement aimé l'écriture de cet auteur.
RépondreSupprimerJ'apprends grâce à vos commentaires, à Aifelle, Marilyne et toi, qu'un titre précède celui-là, et je suis assez curieuse de le lire, bien qu'il soit selon l'avis de nos deux camarades, moins réussi que sa "suite".
Supprimerje n'arrive pas à me décider vraiment, il faudrait que je tente quant même!
RépondreSupprimerComme tu peux le voir, il fait l'unanimité ! Si tu aimes les ambiances étranges, oppressantes, il est pour toi !
SupprimerÇa a l'air très étrange... je le note, je le tenterai.
RépondreSupprimerBon ce mois québécois est une catastrophe : j'ai déjà noté deux fois plus de livres à lire que je n'ai lu de livres. Au secours !
Je crois que mon nombre de lectures est équivalent au nombre de titres notés en ce qui me concerne.. Pour l'instant! : étant donné que mes lectures sont bouclées, qu'elles ne sont qu'au nombre de 5, et que nous ne sommes que le 8, avec encore plein de billets à paraître, gageons que je me retrouve bientôt dans la même situation que toi !
SupprimerJe viens de le commencer aussi, pour participer à ce mois thématique. Il est vrai que l'ambiance des premiers pages est très particulière ; pour l'instant, ça me plaît. Patrice- Et si on bouquinait
RépondreSupprimerJ'espère que la suite te plaira tout autant... Je lirai ton avis avec grand intérêt !
SupprimerHum, je ne crois pas que ce soit ma tasse de thé ...
RépondreSupprimerIl faut aimer les intrigues assez lentes, essentiellement basées sur l'atmosphère..
SupprimerUne belle découverte à l'époque, j'ai aimé l'ambiance créée par l'auteur, un huis-clos prenant et dépaysant.
RépondreSupprimerNous sommes d'accord, et il en faut du talent pour passionner avec une intrigue aussi minimaliste !
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