"Rivière tremblante" - Andrée A. Michaud
Chronique de la détresse.
Car s’il y est bien question de disparitions, ce n’est pas la traque du coupable ou la résolution de l’énigme qu’elles constituent qui intéresse Andrée A. Michaud. Ce sont les conséquences de ces disparitions sur ceux qui restent.
Août 1979. Michael, douze ans, disparaît dans les bois de Rivière-aux-trembles alors qu’il est avec son inséparable amie Marnie Duchamp. L’épisode, coïncidant avec l’arrivée de l’orage, est marqué par la confusion, Michael est pris d’un étrange comportement, lance à Marnie quelques paroles insensées puis s’enfuit en courant. On ne retrouvera qu’une de ses chaussures à plusieurs kilomètres de là, ce qui fait douter du témoignage de l’adolescente, et déchaîne à son encontre une véritable campagne de harcèlement. Au point que son père doit l’emmener vivre ailleurs pour échapper aux médisances et aux regards malveillants.
Trente ans plus tard, à la mort de ce dernier, elle quitte New-York et son commerce de fleurs pour revenir s’installer à Rivière-aux-Trembles. Elle pense avoir su, à force de temps, cesser de vivre dans l’oppression et la culpabilité. Mais son retour dans sa ville natale met un terme à cette insouciance fabriquée de toutes pièces, ravive le traumatisme. Elle a en réalité mené une vie de solitude autour d’une blessure qui ne s’est jamais refermée. Elle réalise que sa fuite a été un leurre, et que c’est bel et bien sur les lieux du drame que doit se résoudre, définitivement, l’affaire.
Le doute et la culpabilité refont surface. Marnie cherche des réponses, des traces d’elle et de Michael dans les bois, tente de reconstituer les derniers instants. Elle est à deux doigts de basculer dans une forme de démence, s’aventure dans la forêt à la recherche de ce qui a avalé Michael, y voit des signes et des figures totémiques, y pratique d’étranges rituels, se met à parler aux objets...
Bill Richard a quant à lui perdu Billie, sa petite fille de huit ans, disparue alors qu’elle rentrait de son cours de danse, trois ans auparavant. Après l’avoir inlassablement cherchée dans les rues de sa ville, après avoir subi la suspicion des agents en charge de l’enquête et les reproches de sa compagne, après avoir vu son couple voler en éclats, après avoir réalisé qu’à force de se vautrer dans l’obsession de la disparition, il en devenait cinglé… il décide qu’il a besoin de changer d’air, et part vivre à Rivière-aux-trembles, s’exilant dans une maison à l’orée de la forêt, où il pourra tenter de reprendre son activité d’écrivain pour enfants.
Il fuit lui aussi, mais la bête qu’il tente de semer est dans ses entrailles, héberge des souvenirs qui autodétruisent, empoisonnent, et il ne peut rien contre sa mémoire ni contre la culpabilité de n’avoir ni sauvé, ni retrouvé Billie. Pourtant, dans une moindre mesure, il trouve peu à peu une forme d’oubli, grâce au dépaysement que lui procure ce pays où le silence est si intense qu’il emmure et laisse croire que l’on est seul au monde. Et ce qui surtout le sauve, de l’alcoolisme ou d’une autodestruction définitive, c’est l’amour et le respect qu’il doit à sa fille, qui même disparue, ne mérite pas un père ayant perdu toute dignité.
Andrée A. Michaud tient la lente chronique, presque jour après jour, de la douleur des vivants, de la culpabilité des rescapés, ceux qui n’ont droit ni la compassion ni à la main tendue, qui servent de bouc-émissaire, car faute de coupable, il faut bien un responsable. Elle décortique les effets de la perte associée à l’insupportable doute, celui de ne pas savoir ce qu’il est advenu de l’être aimé.
Elle écrit la sidération que provoque l’éclatement de la certitude que cela n’arrive qu’aux autres, l’obsession qui fait voir le disparu partout, en d’autres petits garçons ou d’autres petites filles, et se raccrocher à l’irrationnel, imaginant capter des signaux qu’il envoie. Elle exprime l’espoir, comme une idée fixe que l’on sait pourtant vaine, les scénarios qu’on s’invente, fantasmant une autre bifurcation du destin, imaginant l’existence qu’aurait eu l’absent, les rapports qu’on aurait entretenus avec lui dans un futur à jamais détruit. Elle dépeint la solitude inhérente à la douleur, qui ne permet avec le reste du monde qu’une cohabitation souvent empreinte d’incompréhension.
Les deux histoires, les deux parcours de ces êtres mutilés sont menés en parallèle, ponctués seulement de quelques brèves rencontres, le temps de reconnaître en l’autre les échos d’une détresse semblable à la sienne.
Cette lecture me permet de participer une troisième fois au Mois Québécois, dans la catégorie 9. Place de la République – Coeur de pirate (Un roman qui a traversé l’océan).
Le programme ICI / Billets récapitulatifs chez YueYin et chez Karine.
Commentaires
et puis je suis attirée par la couverture !
Et pour le classement dans le récap, peu importe, tu peux le mettre dans la catégorie que tu veux, j'ai moi-même hésité entre les 2 et finalement pas opté pour le polar en raison de l'absence d'enquête..