"Nickel Boys" - Colson Whitehead
"Même morts, les garçons étaient un problème"…
... ainsi débute, de manière bien intrigante, le dernier roman de Colson Whitehead.
La découverte délie les langues, exhume les souvenirs, rend
sa légitimité aux associations d’anciens élèves qui depuis des années tiennent
une pétition réclamant une nouvelle enquête, des excuses officielles.
Elwood Curtis lui, s’est toujours tenu à l’écart des anciens de
Nickel. Il vit à New York, où il a monté son entreprise de déménagement. On
pourrait dire qu’il s’en sort bien, mais on le sent plombé d'une insondable
solitude.
En 1962, rien n’aurait dû le prédisposer à échouer en maison
de correction. L’adolescent vit alors avec sa grand-mère, qui lui dispense une éducation
stricte. C’est un garçon sérieux et un très bon élève, qui se sensibilise peu à
peu à la question noire et à celle des droits civiques en écoutant religieusement son
disque du discours de Martin Luther King. Il a obtenu une bourse pour entrer à l’université.
Mais suite à un concours de circonstances dont il ne vaut même pas la peine de
donner le détail, pris dans un de ces hasards malheureux dont tant de noirs ont
fait les frais, Elwood est accusé à tort d’un délit.
En déroulant les souvenirs de son funeste séjour dans l’établissement disciplinaire, le roman rend
leur histoire aux restes anonymes trouvés dans le cimetière.
A Nickel, comme partout alors aux Etats-Unis, la ségrégation
sépare les noirs des blancs. L’établissement est censé remettre sur le droit
chemin, en leur dispensant une instruction, des adolescents qui savent la
plupart du temps à peine lire.
Mais la réalité que l’on découvre est tout autre. Les
garçons, en plus de subir la malnutrition et des conditions sanitaires
déplorables, sont les victimes de l’inventive cruauté de gardiens qui peuvent
exercer sur eux les pires sévices en toute impunité, car qu’est Nickel sinon, à
cette époque ou les préjugés et la déprédation sont la norme, un endroit de
plus où les noirs subissent l’injustice dans la plus grande indifférence ?
Un lieu où, contrairement aux promesses de réinsertion brandies, on anéantit l’avenir
de ces jeunes.
Elwood apprend à y survivre, épaulé par son ami Turner, plus
aguerri par son expérience de la rue. Une survie qui bien souvent ne consiste
qu’à capituler, et à devenir l’ombre de soi-même, figé par la terreur qu’imprime
la constante possibilité d’une violence arbitraire et sans limites.
Un sujet douloureux donc, mais que l’auteur fait le choix d’aborder
avec une prose sèche qui crée une certaine distance. De même, il préfère, plutôt
que de s’attarder sur la description des sévices et des brimades, les suggérer,
en insistant sur leurs effets sur les garçons, sur la chape de plomb que crée l’angoisse
et le mystère des disparitions nocturnes, interrompant son récit dès qu’il s’approche
de l’horreur pour le projeter en avant.
Et je dois avouer que ce choix narratif a, je crois, amoindri
l’empreinte qu’a laissé cette lecture. Bien qu’ayant été embarquée, sur l’instant,
par l’intrigue, je suis rapidement passée à autre chose une fois la dernière
page refermée. Et comme j’avais subodoré le rebondissement final, j’ai été
privée de l’effet de surprise censé marquer le lecteur…
Un autre titre pour découvrir Colson Whitehead : Underground Railroad.
Cette lecture me permet par ailleurs d'ajouter un titre au Challenge Petit Bac 2021 d'Enna, dans la catégorie "être humain".
Commentaires
pour le style désincarné, il fait ça dans tous ces romans, j'avais été un peu perturbée la première fois mais après ça va
car il arrive quand même à nous montrer exactement ce qui se passe et nous laisse faire le travail, ce que je préfère aux auteurs pédagogues qui veulent t'expliquer tout ce que tu dois ressentir mais je sais que ça peut faire cet effet.
De ce cher Colson, j'ai, de loin, préféré Underground Railroad et Zone 1.