"La puissance et la gloire" - Graham Greene
"La haine n’est qu’une défaite de l’imagination".
Passant du coq à l’âne, le début de l’intrigue nous emmène aux côtés de divers personnages, parmi lesquels un dentiste anglais exilé là pour d’obscures raisons familiales et qui tire prétexte des successives baisses du peso pour reporter indéfiniment son retour ; un intraitable lieutenant socialiste chargé de combattre cet ennemi du peuple qu’est le clergé ; un chef de police qui passe plus de temps à jouer au billard qu’à pourchasser les hors-la-loi ; une jeune adolescente délurée que les défaillances parentales ont rendue précocement mature…
Leur point commun ? Un lien plus ou moins lointain, plus ou moins fugace avec le personnage central de cette histoire, un prêtre qui porte un lourd poids sur ses épaules fatiguées, celui d’être le dernier homme d’église de la région à ne pas avoir été fusillé, exception faite du père José, un renégat qui a renoncé à la soutane au profit de la survie en acceptant d’épouser sa gouvernante.
Au cours de huit années de fuite rude et désespérée, il effectue un bref séjour en prison où il côtoie la perversion et l’indigence morale, mais il doit composer le plus souvent avec une nature âpre bien que protectrice. S'y disséminent de misérables villages où les milices anticatholiques sèment la terreur en exécutant des otages. Son errance lui fait croiser à plusieurs reprises un métis à l’attitude ambivalente, qui endossera le rôle de Judas…
Notre héros est lui-même un drôle de représentant de Dieu… alcoolique, père d’un enfant pour lequel il éprouve un attachement qui, supérieur à l’amour qu’il éprouve pour son prochain, le torture, il emprunte un chemin vers un martyre dont il doute d’être digne. Ecrasé par ses démons et par le sentiment de sa petitesse, il aspire à l’absolution que lui procurerait une confession que l’absence de prêtre rend impossible. Atteint d’une lâcheté toute prosaïque, il fait preuve envers lui-même d’un impitoyable cynisme, raillant ses ambitions et sa vénalité, mais reste empreint de la légitimité de son devoir, qui dépasse les futiles aspirations individuelles : porter la parole de Dieu, et en rappeler, par sa simple présence, l’existence.
J’ai beaucoup aimé ce roman, sorte de western torpide à l’ambiance lourde où le sens de la spiritualité s’entremêle à la trivialité des contradictions humaines, et où Graham Greene oppose l’irréalisme d’une utopie socialiste fondée sur la chimérique bonté de l’homme au pragmatisme d’une religion qui, profondément consciente de son imperfection, s’y adapte en lui offrant la possibilité du pardon.
Parfois déroutée sur le chemin des personnages secondaires, j’ai trouvé ma substance dans la complexité de ce prêtre soumis à ses démons. J’ai particulièrement aimé les conversations avec la bigote en prison, le bandit et le lieutenant. Un grand roman qui clôt brillamment mon mois anglais. Merci de m’avoir incitée à cette lecture commune.
RépondreSupprimerOui, j'ai comme toi été un peu surprise par ces "digressions" autour notamment du dentiste, ou de cette femme qui lit des histoires pieuses à ses enfants. Comme s'il tournait autour du pot avant d'attaquer le vif du sujet.. mais un très bon roman, oui, doté d'une riche analyse psychologique et d'une ambiance très bien rendue. Merci à toi de m'avoir accompagnée !
SupprimerJ'ai acheté récemment un gros volume de romans de Greene, ça s'annonce bien...
RépondreSupprimerEt pour la première fois depuis des années, je n'ai pas participé au mois anglais. ^_^ Fatigue bloguesque?
Ce titre fait aussi partie d'un volume de plusieurs (3), trouvé en bouquinerie, dont "La fin d'une liaison" fait aussi partie. Il ne me reste plus qu'à lire "Le fond du problème", ce qui est assez paradoxal car c'est pour lui que j'ai acheté l'ouvrage au départ, suite à ma lecture d'Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, où il est évoqué à plusieurs reprises !
SupprimerIl y a quand meme le mot magique: Mexique...cela pourrait vraiment me plaire.....
RépondreSupprimerLe contexte est en effet intéressant, et l'immersion dans le Mexique des années trente vraiment réussie.
SupprimerBin voila...je l'ai pris....oui 1930 la fin de la revolution mexicaine avec Pancho Villa...cela m'interesse doublement...;)
SupprimerVoilà une affaire rondement menée ! J'espère qu'il te plaira (mais attention, l'intrigue est très centrée sur le personnage du prêtre, on n'y croise pas Pancho Villa !!).
SupprimerOh j'imagine...mais il doit y avoir l'ambiance....;)
Supprimerj'ai loupé le mois anglais, mais j'ai lu en anglais, ça compte ? sinon, toujours pas lu Graham Greene, un jour peut-être (mais le sujet m'intéresse peu)
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûre que cet auteur te convienne...
SupprimerLu il y a déjà quelques décennies... Je me rappelle aussi avoir trouvé un autre "angle de vue" sur le mexique à la même époque dans un Paul-Loup Sulitzer, "La femme pressée" il me semble.
RépondreSupprimerSinon, pour une autre histoire d'un prêtre catholique, en mission dans la Chine des Seigneurs de la guerre, cette fois, avez-vous lu "Les clés du royaume" de A.J. Cronin?
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Bonjour ta d loi du cine,
SupprimerJe crois avoir lu "La femme pressée" il y a une éternité (je n'en ai gardé aucun souvenir) ... et non je n'ai pas lu le roman de Cronin en revanche, mais si je comprends bien, vous le conseillez ?
Oui, je conseille la lecture des Clés du royaume.
SupprimerJ'ai eu ma période "Cronin" il y a... longtemps, et c'est l'un des seuls que j'ai relu depuis (même si les différents titres où il était question de médecins ou futurs médecins m'avaient plu à l'époque).
Merci pour la précision, je note donc !
SupprimerUn prêtre catho, je passe mon chemin. Ce que je peux être obtuse, parfois! Les peintres, les musiciens, en fiction, me font le même effet repoussoir. Toc de lectrice mal venu!
RépondreSupprimerTu en as, toi, des personnages repoussoirs, où suis-je la seule?
Hum, laisse-moi réfléchir.. d'emblée je dirais que non, mais en relisant ton commentaire, je réalise que je suis peu attirée par les romans qui mettent en scène des peintres ou des musiciens. Le prêtres ce n'est pas vraiment mon truc non plus, à vrai dire.
SupprimerJe crois finalement que peu importe le personnage, ce qui m'intéresse c'est surtout la manière dont il est traité. J'ai en revanche une attirance pour les histoires qui mettent en scène des héros méchants ou torturés, ou des personnages complexes qu'on ne peut pas rentrer dans des cases..
ça m'a l'air assez fourre-tout, je ne suis pas certain d'avoir envie de ça en ce moment.
RépondreSupprimerCa l'est un peu au début, avec ces "sauts" d'un personnage à l'autre sans lien évident, mais ensuite, l'intrigue se resserre sur un seul fil, et puis les différentes pièces du puzzle présentées au départ finissent par s'assembler..
SupprimerMais je crois bien que je n'ai jamais rien lu de Graham Greene. Je ne saurais pas dire pourquoi. Je jetterai un oeil à la médiathèque en septembre.
RépondreSupprimerJe crois qu'il pâtit d'une image un peu "datée". Mais ce n'est pas l'impression que j'ai eu en le lisant. Je crois avoir lu plusieurs autres de ses titres adolescente, mais j'avoue en avoir tout oublié !
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