LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Femmes en colère" - Mathieu Menegaux

"Si les femmes ne se serrent pas un peu les coudes, on va continuer à subir la loi des hommes pour l'éternité, à mourir sous leurs coups sans jamais réagir."

Un autre titre récent trouvé en bouquinerie, en même temps que "Florida", mais une pioche bien plus fructueuse…

Le roman est construit sur une alternance.
D’un côté, les délibérations des jurés dans une affaire de meurtre.
De l’autre, la parole de l’accusée, en attente du verdict dans sa cellule.

Mathilde Collignon paraît devant la justice pour un crime qu’elle a avoué -et commis-, sur la personne de deux hommes qui l’ont violée. Un viol pour lequel elle-même n’a pas porté plainte, consciente de ses faibles chances d’obtenir réparation, et de son profil de "mauvaise victime". Mathilde a subi son viol lors d’une rencontre initiée sur internet, suite à des échanges au cours desquels elle a clairement exprimé aimer le sexe et être ouverte à de nouvelles expériences.

L’affaire suscite, à l’extérieur, débats et crispations, opposant deux camps irréconciliables : ceux qui, considérant Mathilde elle-même comme une victime, réclament son acquittement, et ceux qui, doutant de son mobile, exigent face à la "barbarie" de son crime la plus grande sévérité. "Femmes en colère" louvoie ainsi entre la question de l’inanité de la vengeance et celle de l’insupportable impunité des violeurs.

Un roman court, aussi, mais diablement efficace bien que jamais expéditif, la narration sur le vif (presque journalistique, même, par moments) permettant à l’auteur de s’appuyer sur l’observation pour engager un passionnant questionnement sur la mécanique judiciaire.

Les débats, notamment, entre les jurés, se révèlent très instructifs, et démontrent la difficulté et les limites d’un système certes démocratique, mais soumis à la subjectivité d’individus influencés par leur milieu, leurs opinions, les médias, et par les arguments des différentes parties -défense et accusation-, qui se sont souvent autant efforcées de les toucher que de les convaincre.

Ceci dit, la justice, même appliquée par des professionnels, l’est aussi par des individus, motivés parfois autant par leurs intérêts personnels que par leurs convictions ; ainsi ces avocates des victimes, choisies parce qu’elles sont des femmes, et qui comptent sur les retombées médiatiques de l’affaire, dont les enjeux dépassent le dossier Collignon, pour asseoir leur réputation. 

Enfin, on peut s’interroger sur la légitimité de l’appareil judiciaire lui-même, qui s’inscrit dans une organisation sociétale comportant ses propres iniquités. Quid de l’objectivité, de la neutralité, quand ce sont essentiellement des hommes (juge, experts médicaux, commissaire de police), héritiers d’une culture patriarcale, qui jugent la culpabilité d’une femme s’estimant en légitime défense non pas tant face à des individus qu’à un système qui ne lui permet pas de faire valoir ses droits ?

Mais le roman montre aussi que, bien que perfectible et parfois perverti par sa propre complexité, le dispositif judiciaire reste sans doute à ce jour le meilleur garant, pour ceux, victimes ou coupables, qui intègrent ses rouages, de leur dignité et/ou de leur besoin de réparation.

C’est à la fois très habile et très prenant, avec en prime une pirouette finale que l’on n’a pas vu venir…


Petit Bac 2021, catégorie ETRE HUMAIN.

Commentaires

  1. Un auteur que je ne connais pas et qui s'attaque à un sujet très complexe. Pourquoi pas, s'il croise ma route.

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    1. Oh oui, n'hésite pas ! Je suis personnellement ravie de la découverte. L'auteur traite un sujet complexe sans tomber dans la facilité.

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  2. On n'est pas trop en colère à lire ce roman?

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    1. Il met en colère oui, forcément, certains des personnages portent la voix d'esprits étriqués et machistes, qu'il semble difficile de faire évoluer, mais pas que... j'ai aimé le personnage du président du jury, un magistrat, que je trouve rassurant dans le sens où son attachement féroce au droit et à la raison ne l'empêche pas de faire preuve d'humanité et de tolérance.
      Et puis la conclusion est... chut !

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  3. Une bouquinerie bien fournie, c'est chouette ! Je ne lis que du bien de cet auteur, il faut que je tente !

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    1. Mais oui, comment résister à tous ces titres qui me tendent les bras ?!!
      Je n'avais jamais lu cet auteur, mais cette 1ère expérience me donne envie de creuser aussi.

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  4. J'ai aussi trouvé ce livre très habile, il explore des pistes diverses et ne tombe pas dans la démonstration qui rend certaines oeuvres à thèse bancales.

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    1. Ah, mais c'est chez toi que je l'ai noté, j'ai ajouté un lien vers ton billet.. et nous sommes d'accord, l'intrigue est très bien menée, et rend le roman instructif sans être didactique.

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  5. je reste sur ma lecture de Know My Name de Channel Miller - qui raconte son histoire, et même si elle a voulu porter plainte, elle raconte sa descente en enfer et comment le système judiciaire inverse victime et coupable. Elle était à une soirée étudiante, elle a énormément bu et portait une jupe ... bref, donc elle l'avait cherchée. C'est terrible et c'est pour cela que moins de 15% des femmes victimes portent plainte. Il faut vraiment renverser ce schéma.
    Je file voir ton dossier Lectures communes ;-)

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    1. Je note Know My Name, qui paraîtra en France en octobre, sous le titre J'ai un nom (je viens de vérifier), même si sa lecture me rendra surement furax...

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  6. il m'a plu, je te laisse deviner ma réaction... on arrive dans ce roman avec des certitudes et on en sort ébranlé
    un livre qui sort de l'ordinaire, fait réfléchir : comment aurais-je voter si j'avais été jurée? et il reste longtemps dans la tête :-)
    je voulais lire d'autres livres de l'auteur mais je suis toujours débordée par le temps et par ma PAL ...

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    1. Tu as raison d'appuyer sur le fait qu'il nous interroge sur notre propre position face à ce genre de situation. Pas facile, hein...

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  7. Enfin un qui est déjà dans ma PAL! Une bonne et édifiante lecture en perspective!

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  8. Menegaux me laisse perplexe, je n'en ai lu qu'un... que j'ai dévoré tout en étant énervée... bizarre, je ne suis pas sûre que ça soit pour moi...

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    1. Je vais voir si tu as écrit un billet sur celui que tu as lu, tu me rends bien curieuse, là..

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  9. Je suis extrêmement tentée par cette lecture. Merci beaucoup pour ton avis très motivant.

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    1. Tu as bien raison d'être tentée, c'est un très bon roman, j'espère qu'il te plaira autant qu'à moi.

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  10. Sujet très questionnant, oui. Je ne sais pas si un jour la société pourra proposer une justice "parfaite" ; les magistrats sont des êtres humains, donc, peuvent-ils être parfaits ? C'est vraiment une vaste question. Très intéressante. Merci.

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    1. Oui, c'est un sujet intéressant et sans doute éternel, puisqu'en effet, le fait que la justice soit rendue par des individus implique forcément une part de subjectivité, d'influences extérieures.. la question est de savoir comment on met en place un système qui bride cette subjectivité, tout en laissant la place à une part d'humanisme... pas facile, hein ?!

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  11. J'avais lu de cet auteur "Est-ce ainsi que les hommes jugent".
    Je te le recommande chaudement !

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    1. Bonjour Wyndi, et bienvenue ici,
      Merci pour le conseil, que je note car j'ai bien envie de poursuivre avec cet auteur..

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