LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Notre-Dame du Nil" - Scholastique Mukasonga

"On remarqua que l’aumônier déchirait ostensiblement les photos des chanteurs mais épargnait celles de Brigitte Bardot et s’efforçait d’en glisser subrepticement quelques-unes dans les poches de sa soutane."

Situé à 2500 m d’altitude, le lycée pour jeunes rwandaises "Notre-Dame du Nil" doit son nom à sa proximité avec la source du fleuve égyptien, sur laquelle veille la statue d’une Vierge noire. 

L’établissement est tenu par des religieuses catholiques, l’enseignement assuré par des professeurs belges, qui inculquent entre autres une Histoire qui pour l’Afrique ne débute qu’avec l’arrivée des colons européens... Il accueille des représentantes de l’élite rwandaise - filles de ministres, de militaires haut gradés ou de riches hommes d'affaires-, fières de leur extraction sociale et du rôle qu’elles ont à jouer dans l’enrichissement de leur famille et l’affirmation de la puissance de leur clan. Ces demoiselles fortement dotées sont promises à de beaux mariages auxquels il est préférable de parvenir vierge. Aussi, au-delà de l’enseignement scolaire qui leur est dispensé, le lycée les prépare à devenir des modèles pour toutes les femmes du Rwanda, comprenez "de bonnes épouses, de bonnes mères et de bonnes chrétiennes". C'est d'ailleurs pour les protéger du mal et des tentations de la grande ville que Notre-Dame du Nil a été construit si haut et si loin.

Les jeunes filles sont ainsi à la fois nourries d’une éducation religieuse puritaine et patriarcale, et imprégnées d’une culture ancestrale qui laisse leur place aux sorciers, aux maléfices et autres rituels surnaturels. Pour autant, ce sont aussi des adolescentes, qui aiment flirter avec la transgression, se prennent de passion pour tout ce qui est clinquant et résolument "moderne", ou versent dans un émerveillement naïf pour les manifestations kitsch du romantisme à l’occidental. 

Parmi les élèves majoritairement Hutus, la présence de quelques Tutsis témoigne des quotas imposés par l’administration belge, qui permettent à de rares adolescentes méritantes de la minorité de bénéficier de bourses d’études. L’hostilité qui oppose les deux ethnies se rejoue dans l’enceinte de l’école. Les jeunes Tutsis sont ouvertement considérées avec un franc mépris par la plupart des élèves Hutus, font l’objet d’un incessant persiflage et d’un cruel ostracisme. L’attitude des adultes, entre ignorance feinte des uns et discours sournoisement arbitraires des autres, entretient la haine et le rejet.

Sous l’instigation de la rusée Gloriosa, élève issue d’une des familles les plus puissantes du pays, qui exerce son ascendant en incitant ses camarades à nuire aux représentantes du peuple Tutsi, la situation dégénère…

L’alliance entre ce qui fait la fraîcheur de l’adolescence -ses envolées frivoles, sa candeur…- et la manifestation du racisme, du sentiment d’appartenance à un clan supérieur, de la volonté d’anéantissement de l’autre, qui s’exprime par l’intermédiaire de certaines de ses héroïnes, fait de "Notre-Dame du Nil" un roman glaçant et désespérant, dont le contexte contient les germes du génocide à venir.

Et c'était ma dernière lecture effectuée dans le cadre du Mois Africain initiée par Jostein.

Commentaires

  1. Ai-je vraiment envie d'un roman désespérant?

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    1. C'est en effet LA question à poser avant de l'entamer...

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  2. J'ai aimé aussi lire ce roman qui parle du génocide sans l'aborder de manière frontale. C'est intelligemment fait.

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    1. Oui, nous sommes d'accord, l'auteure se focalise sur les mécanismes, le contexte qui peuvent mener au génocide, plutôt que d'évoquer sa mise en œuvre, mais c'est tout aussi glaçant..

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  3. Je l’ai lu il y a bien longtemps mais j’en garde le souvenir. C’était une de mes premières lectures sur le conflit entre Tutsis et Hutus. Un sujet difficile mais cela se lit plutôt bien. Dernièrement j’ai retrouvé l’auteure avec Kibogo est monté au ciel. Un peu d’humour, une satire pour montrer les conséquences de l’évangélisation. Merci pour tes participations au Mois africain

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    1. Je la relirai sans doute (à l'occasion du prochain Mois africain ?!!)... et merci à toi surtout, pour cette bonne idée qui m'a poussé à lire africain, ce que je n'avais pas encore fait cette année je crois... J'ai par ailleurs noté plein de titres lus par les autres participants.

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  4. Je n'ai lu que "la femme aux pieds nus" de cette autrice qui m'avait beaucoup intéressée, plus centré sur le génocide. J'avais aimé son style et son écriture, je la relirais volontiers.

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  5. J’ai pas mal lu sur ce livre mais c’est la première fois qu’on me donne envie de le lire ! Sans doute une alliance entre ton talent, l’insistance sur la vie des adolescentes alors que la presse ne voit que le génocide et ma propre évolution. Bref merci !

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    1. Oui, c'est selon moi l'aspect le plus intéressant et le plus marquant du roman, que d'insérer "l'idée" du futur génocide dans ce quotidien par ailleurs empreint des caractéristiques de la jeunesse. On se dit souvent que c'est à ce moment-là qu'il faudrait agir pour stopper ce vers quoi amènent la haine et le mépris de l'autre, mais c'est l'inverse, tout se ligue avec une glaçante inéluctabilité pour permettre au pire d'advenir.. j'espère qu'il te plaira !

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  6. Tu as bien honoré le mois Africain, moi rien de rien. Je n'ai fait que le suivre avec parfois l'eau à la bouche, et des envies de lire certains romans ! L'année prochaine peut-être...

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    1. Je me suis contentée de lire les 3 titres éligibles qui figuraient sur ma PAL (un des rares avantages des achats compulsifs !). J'espère que Jostein renouvellera, car sans son activité, je n'aurai probablement pas lu "africain" de l'année..

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  7. Je me souviens très bien de cette lecture, ça a été une très belle surprise et très belle découverte d'une auteure, j'avais vraiment beaucoup aimé ce livre. Il m'a davantage marquée en moments drôles et cocasses (malgré le contexte, pourtant bien présent, mais c'est justement une des forces de ce livre à mon sens) que désespérants.

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    1. Nous nous rejoignons complètement sur son point fort, cette association entre contexte explosif et "légèreté" adolescente..

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    2. Comme une autre commentatrice, je connais ce livre depuis belle lurette mais je n'avais jamais eu envie de le lire jusqu'à ton billet : merci !

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    3. Avec plaisir, j'espère qu'il te plaira autant qu'à moi !

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  8. J'avais beaucoup apprécié ce titre, justement à cause de ce mélange de fraîcheur et de tragédie qui pointe son nez. Je me souviens notamment d'une scène assez révélatrice, la visite du roi et de la reine des Belges ( je crois ? de dignitaires en tout cas de l'état ...) au pensionnat. Curieusement, je n'ai jamais réussi à lire par la suite les deux autres romans de cette auteure que j'avais achetés dans la foulée ... La femme aux pieds nus et Les cloportes ...

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    1. C'est la reine belge qui les visite, en effet. Les préparatifs sont fébriles, on organise un spectacle, et tout un programme, et elle fait un passage éclair !

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  9. Je note, j'espère aussi que Jostein fera une deuxième édition l'année prochaine car c'était une très bonne idée.

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    1. Je l'imagine plutôt motivée, compte tenu du succès de cette 1ère édition..

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