"Pas les mères" - Katixa Agirre
De l’autre, une narratrice elle-même maman depuis peu, d’un petit Erik qu’elle aime profondément bien que sa grossesse ait été plus fortuite que désirée, mais qui depuis son accession à la sacrosainte maternité, a la vague impression de se perdre, de rétrécir sa vie dans une succession de tâches ingrates et abêtissantes, de s’être installée dans une existence de tiédeur et de pragmatisme, agréable mais vide de tout feu. Il faut dire que l’événement est tombé au mauvais moment, celui où elle avait enfin atteint l’un de ses rêves, en obtenant pour son premier roman -un thriller politique- une reconnaissance concrétisée par un prix littéraire.
A la fois déterminée à redevenir soi-même et obsédée par la figure d’Alice Espanet qu’elle a brièvement connue, sous le patronyme de Jade, lorsqu’elle était étudiante, elle décide, plutôt que de reprendre le travail, de prendre un congé et d’écrire sur Alice.
Elle va ainsi tenter de pénétrer le mystère que constitue non seulement la jeune femme, mais aussi et surtout celui de l’infanticide. Qui est Jade/Alice ? Que cachent les vides que l’enquête menée par la narratrice sur sa biographie ne tardent pas à révéler ? Quelle insondable souffrance, quelle invisible démence, ont mené à l’inacceptable issue cette femme belle, riche, mariée à un homme aimant ?
Voilà. J’étais happée, intriguée, et réjouie, surtout, à l’idée de la suite ! Katixa Agirre me promettait là à la fois du suspense et l’occasion d’une passionnante réflexion sur le mal-être des femmes reléguées au statut de mères, de déconstruire le mythe de la maternité radieuse, édulcorée, pour aller en gratter les stigmates physiques -l’inconfort, fragilité, fatigue- et psychologiques. De plus, son écriture me plaisait bien, avec son ton subtilement ironique et son rythme fluide.
Et puis… c’est retombé comme un soufflé. Je le voyais bien, en progressant dans ma lecture, et en constatant que la fin s’approchait à grands pas, que mon impression d’étreindre du vide s’accentuait, que s’effritait peu à peu la structure que la première partie de l’intrigue m’avait laissé imaginer.
Parce que finalement, à l’image d’une narratrice que son projet littéraire fait naviguer de phases d'illusoire clarté en moments de trouble, s’éloigner plus que s’approcher -ou en avoir l’illusion- d’une compréhension de son sujet, le lecteur ne gardera d’Alice qu’une vague et lointaine image, et n’apercevra pas même le bord du gouffre où fermentent les motivations de son geste. On se demande d’ailleurs de quel matériau l’écrivaine, entravée dans sa démarche par l’effroi -voire la répulsion- que suscite en elle ledit geste, va alimenter son livre.
Partir d’un infanticide pour traiter de la manière dont la représentation maternelle qu’impose la société nie aux femmes leur droit à l’épanouissement individuel et à l’infaillibilité -l’identité de la mère exilant toutes les autres- était une bonne idée, mais elle n’est malheureusement pas exploitée, et ce sont finalement les moments où la narratrice évoque sa propre maternité, et notamment la dualité entre la frustration et la culpabilité qu’elle occasionne, qui se révèlent les plus consistants.
Dommage pour le flop, l'idée de départ était choc!
RépondreSupprimerIl a plu à de nombreuses lectrices, ceci dit, tous les avis que j'ai lus à son sujet étaient très positifs (ce qui a sans doute accentué ma déception...).
SupprimerJe vais aller voir l'avis de Marie-Claude, mais a priori je ne vais pas m'arrêter sur cette lecture.
RépondreSupprimerMarie-Claude a aimé... à toi de voir !
SupprimerAmek ez dute,l’édition en basque a une couverture déjà très explicite.
RépondreSupprimerJe passe moi aussi. Même si on peut s’interroger sur cet acte impensable pour une mère .
Bien sûr que l'on peut s'interroger, et c'est justement ce qui m'intéressait ... mais la réflexion est à peine entamée, finalement.
SupprimerLe sujet et l'éditeur, tout me tentait de prime abord, sauf la couverture, mais si ça retombe de cette manière, je vais faire l'impasse...
RépondreSupprimerComme je l'écris en réponse à Keisha, c'est un titre qu'ont très bien accueilli de nombreuses lectrices.. pour ma part, je n'ai pas vu l'intérêt d'aborder l'infanticide pour laisser le lecteur en plan, sans un début de piste expliquant le geste de la mère..
SupprimerJe vais de ce pas voir l'avis de Marie-Claude... Le tien ne m'incite pas à retenir le titre de ce livre.
RépondreSupprimerSon avis est plus positif que le mien, à toi de voir si tu veux te faire ta propre idée...
SupprimerJe comprends mieux ta déception. Je suis, moi aussi, restée avec une faim non apaisée. L'assemblage des deux parties m'a dérangée. Le hiatus m'a paru trop fort. J'aurais préféré l'approfondissement de la première partie, ou un livre qui n'aborde que le sujet de la deuxième partie. Reste qu'au final, je suis contente de l'avoir lu. Mine de rien, j'ai appris quelque chose!
RépondreSupprimerOn se rejoint sur ce point, c'est dommage d'avoir axé la réflexion sur cette histoire d'infanticide, qui ne lui apporte finalement rien..
SupprimerDommage. Je l’ai trouvé foisonnant. Elle part de ce fait divers pour évoquer des exemples de dualité qui ont traversé l’histoire. J’ai plus vu ce texte sous l’angle d’une réflexion.
RépondreSupprimerDisons que je m'attendais à une réflexion plus poussée, et surtout moins "théorique", j'imaginais que le fait divers qui déclenche cette réflexion lui serve de matière concrète pour décrire et analyser les mécanismes qui peuvent pousser une mère à tuer son enfant. Et ce n'est pas du tout ce qu'on y trouve. Il y a au final dans ce roman matière à deux textes distincts qui ici se côtoient sans que l'auteure ne parvienne à les relier vraiment, la partie sur le fait divers pâtissant vraiment d'un traitement superficiel. C'est du moins ainsi que je l'ai perçu, peut-être parce que j'en attendais autre chose...
Supprimerje ne vais certainement pas me confronter à ce roman déjà le thème me rebute mais en plus si tu n'as pas aimé ...
RépondreSupprimerLe thème m'intéressait, au contraire, c'est la manière dont il est traité qui ne m'a pas convaincue.. et si c'est l'infanticide qui te gêne, il en est finalement très peu question, ou de façon très théorique...
SupprimerComme je l'ai déjà écrit, je trouve ton avis très argumenté et intéressant. Je ne sais pas si je lirai cet ouvrage mais il a la qualité d'interroger et de ne pas laisser son lectorat indifférent.
RépondreSupprimerLes pistes de réflexion qui sont lancées sont en effet passionnantes, mais ne sont pas suffisamment exploitées, à mon avis.
SupprimerTrop d'avis sans doute, trop de visibilité, peut-être, m'avaient rendue méfiante vis à vis de ce titre. Il est particulièrement irritant que cette problématique de l'amour maternel, son évidence, et son infaillibilité, soient survolés. Je ne peux m'empêcher de penser à ce que Jaenada aurait pu faire d'une histoire comme celle d'Alice !
RépondreSupprimerLes grands esprits se rencontrent ! : figure-toi que j'ai failli intituler ma chronique "N'est pas Jaenada qui veut" et puis, je ne sais pas, cela m'a paru un peu méchant.. du coup, je viens de me rendre compte que je n'ai même su trouver de titre à ce billet au final..
Supprimerun sujet passionnant que la maternité...dans toute sa complexité, notamment due à la pression sociale et les "canons" que l'on doit respecter etc. un tel bouleversement! dommage que ce livre ne soit pas à la hauteur de l'ambition initiale.
RépondreSupprimerOui, un sujet vaste, complexe, qui a suscité beaucoup d'attente, peut-être trop... De nombreuses lectrices y ont trouvé leur compte, on y apprend tout de même quelques trucs intéressants.
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