LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Le verger de marbre" - Alex Taylor

"Une veine de roche emplissait la fêlure de son âme, et cette part âpre et obstinée d’elle-même ne laissait place à aucune douceur".

On ne mesure pas tout à fait, d’emblée, l’ampleur des ténèbres dans lesquelles on s’aventure… La première scène est même presque bucolique : un pique-nique réunit la grande famille que forment les Sheetmire, un clan plus qu’une famille d’ailleurs, dont on reconnait les membres, dans la région, par les caractéristiques physiques qui les rassemblent. 

Approchons-nous de ce trio qui semble déplacé, mal à l’aise, formé de Clem Sheetmire, de son épouse Derma (la pièce rapportée) et de leur fils Beam, qui avec sa grande taille détonne au milieu du groupe. Oublions pique-nique et réunions familiales, et suivons ces trois quidams : il est temps de plonger dans une eau glaçante et visqueuse. La plongée en eau froide est d’ailleurs littérale en ce qui concerne l’inconnu que Beam flanque dans la Gasting River en plein milieu de la nuit : l’homme, jeune et d’allure louche, unique passager du ferry reliant les deux berges de la rivière qu’ont toujours conduit les Sheetmire, a voulu s’emparer de la caisse…

Le cadavre ne tarde pas à faire surface. Beam s’enfuit. C’est le début d’une cavale effrénée, pour échapper entre autres au père du défunt -accompagné d’une meute de dobermans agressifs et d’un ombrageux homme de main- qui pourtant se fichait comme de sa dernière chemise de son incapable de fils.

Cette fuite éperdue, ponctuée de nombreux cadavres et d’autant de blessés, de pléthore de coups de feu et de quelques tonnes de tôle froissée, lui fait croiser le chemin de personnages à hauteur des rebondissements aussi angoissants que burlesques qui animent l’intrigue, dont un inquiétant routier en costume professant des théories aux relents surnaturels sur les mystères de la vie, un shérif féru d’antiquités, un tenancier de bar manchot qui tient Clem Sheetmire pour responsable de la perte de son bras, un vieux cueilleur de ginseng vivant en homme des bois…

La plupart sont des hommes furieux et enragés, mais aussi singuliers, à commencer par Beam, avec sa narcolepsie, cette "brutalité qui le prend presque par surprise" et ce sentiment de culpabilité latent qui le poursuit. Issus d’un environnement sclérosé caractérisé par l’absence de tout espoir et une rusticité atavique, ils semblent se transmettre leur propension au mal et à l’ignominie de génération en génération, comme enrôlés par de vastes forces dans un cercle infini de malveillance et de malédiction.

L’écriture, à l’unisson de la dimension à la fois épique et funeste de l’intrigue, exhausse ses accents tragiques jusqu’à la caricature, adoptant un lyrisme aux images évocatrices de mort et de sécheresse, faisant de ce "Verger de marbre" un western noir et baroque que je n’oublierai pas de sitôt !

Une idée piochée chez Fabienne.

L'avis d'Electra.

Petit Bac 2022, catégorie LIEU.

Commentaires

  1. C'est tout-à-fait dans le style de parution de Gallmeister. A voir s'il arrive à la bibliothèque.

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    1. Oui, avec un petit quelque chose en plus de loufoque qui fait sa singularité.

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  2. Western noir et baroque : il n'en faut pas plus pour que je le note !

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    1. Il devrait te plaire, l'auteur y mêle violence et burlesque avec talent (la 4e de couverture évoque, avec justesse, les frères Coen...).

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  3. On dirait que j'étais passée à côté ! Il a tout pour me plaire aussi.

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  4. Tiens pourquoi pas, faisons confiance à l'éditeur.

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    1. C'est vrai que les publications Gallmeister sont rarement décevantes.

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  5. ah enfin ! je l'ai lu lors de sa première parution chez Gallmeister il y déjà quelques années et il fait partie de mes préférés, on ne l'oublie pas de sitôt la preuve je m'en souviens encore aujourd'hui !! 2016 et depuis j'ai lu son autre roman toujours chez Gallmeister
    voici le lien vers mon billet :http://www.lanuitjemens.com/2016/10/10/le-verger-de-marbre/

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    1. Je compte bien lire son 2e titre aussi, et je rajoute un lien vers ton billet.

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    2. merci ! cool ! je me disais ce matin, bizarre pas de nouveaux billets d'Inganmic .. je crois que je suis un peu trop impatiente !!

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  6. La mention "burlesque" et la référence aux frères Coen ont douché la curiosité que tu avais fait naître chez moi. Je passe mon tour.

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    1. "Burlesque" est un terme peut-être un peu fort... mais il y a une volonté affichée d'être dans l'outrance.

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    2. "Outrance" ne me rassure pas plus :-D

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  7. Un excellent roman qui m'avait surtout marqué par son écriture : "Si le roman est excellent, il doit tout à l’écriture d’Alex Taylor, une manière d’écrire que je ne m’attendais pas à trouver dans ce type d’ouvrage. Il y a du lyrisme, un rythme envoûtant pour mener le lecteur vers un épilogue dramatique."

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    1. Je te rejoins sur ce point. La citation mise en exergue de ma chronique en est d'ailleurs représentative..

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  8. A priori, la mention de "burlesque" pourrait me refroidir, mais j'ai lu avec beaucoup de plaisir "Le sang ne suffit pas" du même auteur. Il est sur ma PAL depuis un certain temps, je vais m'y mettre !

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    1. Plus que de "burlesque", terme un peu fort sans doute, comme je l'écris en réponse à The Austist Reading, il s'agit d'une volonté de caricature qui donne à l'ensemble une dimension parfois loufoque..

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  9. Il était dans ma PAL. Il est passé dans un vent de tri. Je regrette presque...

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    1. Oh oui c'est dommage, l'écriture est remarquable et l'ambiance très particulière ..

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  10. Il a un univers particulier qu'on n'oublie pas. Contente que tu l'aies aimé!

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    1. Merci du conseil, j'ai bien l'intention de son autre titre maintenant.

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  11. je suis presque certaine que ce roman n'est pas pour moi : trop de violence ! malgré ton billet et les commentaires élogieux

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    1. Si tu as du mal avec le glauque et le sanglant, il vaut mieux en effet passer son chemin...

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  12. Très intéressant, visiblement. Et cette maison d'édition est toujours intéressante. Alex Taylor, ce nom me dit quelque chose... Je n'ai pas le temps de le lire en ce moment mais j'irai le feuilleter si je le trouve à la médiathèque.
    Bonne journée.

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    1. Gallmeister est généralement une valeur sûre, c'est vrai. Une découverte très intéressante une fois encore, et surtout une belle plume, très éloquente.

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