LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Sois sage, bordel !" - Stina Stoor

"Il faut dire que mes parents, c’était pas vraiment Clark Kent et Loïs Lane."

J’ai immédiatement aimé ce que j’ai lu. L’écriture alerte, parfois tranchante, taillée au cordeau. Les images, concrètes mais surprenantes, et pour autant toujours justes.

C’est un recueil à hauteur d’enfance, mais une enfance sans angélisme, rurale et précaire, située dans les marges de la normalité sociale. Une enfance de logements décrépits et de jardins encombrés de vieux tas de ferraille, de chaussettes rapiécées et de culottes dont on change les élastiques, entourée de grandes sœurs permanentées et trop maquillées, de mères aux chairs précocement pendantes. La bouteille d’alcool n’est jamais loin, et les bleus qui parsèment les corps ne sont pas toujours les conséquences d’une chute.

Mais ceci n’est qu’un contexte, un ensemble d’éléments qui posent le décor, sans poser question, sans susciter de jugement, puisqu’il est vu à travers les yeux de ceux qui y évoluent depuis toujours.

C’est un recueil à hauteur d’enfance, sur la capacité à l’émerveillement, à faire de l’imagination un monde à part entière, où un enfant peut devenir un ours. La nature y est omniprésente : on grandit dehors, au contact permanent des fleurs, des animaux, des insectes, au cœur de forêts, au bord de rivières aux méandres complexes. Le rapport à cet environnement est organique, quasi primitif, exprimé avec une spontanéité qui annihile tout dégoût. On y célèbre la boue et l’odeur de putréfaction des choses mortes, on y embrasse des crapauds, on y collectionne des cadavres de libellules ou des morceaux de quartz. Généreuse et puissante, la nature est à la fois décor et refuge, elle rend insignifiante la brutalité du quotidien, ramène à sa petitesse le monde des hommes qui juge et catégorise.

"(…) dans le monde on serait peut-être moins perdu si on connaissait le nom des plantes sur lesquelles on marchait."

C’est un recueil à hauteur d’enfance, où tout est dépeint sans gêne ni tabou, des pipis dans l’eau et des faces pleines de morve aux sentiments troubles que l’on éprouve parfois.

Cependant, la détresse n’est jamais loin. Elle affleure à coups d’ellipses, d’allusions. La solitude, l’ostracisation, les carences affectives sont ainsi évoquées à l’occasion d’épisodes ou de propos a priori anodins qui révèlent une réalité cruelle mais indicible : l’engluement dans la misère, les humiliations subies sans révolte, le rejet que suscite votre origine géographique ou sociale.

Le langage familier, aux accents populaires, crée une véritable sensation d’immersion dans cet univers à la fois pathétique et merveilleux.

A lire.

Petit Bac 2022, catégorie "GROS MOT"

Commentaires

  1. Ce n'est pas forcément ce que l'on a l'habitude de lire sur la Suède, mais sans doute plus conforme à la réalité (multiple) d'un pays.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est aussi ce que j'ai aimé dans ce recueil, il met en scène des personnages que l'ont n'a effectivement pas l'habitude de croiser dans la littérature nordique.

      Supprimer
  2. Pas trop dur? C'est non fiction, en fait?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non aux deux questions ! Ce n'est pas trop dur parce que comme je l'écris dans mon billet, le contexte passe au second plan, l'autrice insistant surtout sur le quotidien de ses héros et leur capacité à faire de leur environnement un espace de jeu merveilleux...
      .. et c'est de la fiction (ce sont des nouvelles), même si Stina Stoor s'est sans doute fortement inspirée de sa propre enfance puisqu'elle-même "a grandi dans une ambiance familiale déplorable. Après une scolarité calamiteuse, des fugues à répétition et l’apparition de troubles psychiatriques, elle s’est retrouvée à 25 ans avec une pension d’invalidité comme seule source de revenus. " (j'ai repris un extrait du billet de Jérôme).

      Supprimer
  3. j'en ai entendu parler à sa sortie, mais j'ai un souci avec les romans écrits avec la voix d'une enfant, du coup, si je le vois à la bibli, pourquoi pas, c'est surtout parce qu'il se passe en Suède

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi non plus je ne suis pas fan des enfants narrateur, mais ce n'est pas le cas ici, puisque les textes sont de mémoire tous écrits à la 3e personne.
      Et c'est vraiment très très bien...

      Supprimer
  4. Ça me tente bien ces histoires de famille dysfonctionnelle et de petits monstres livrés à eux-mêmes. Je ne l'avais pas vu passer à sa sortie... et la maison d'édition m'est totalement inconnue.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et je crois bien qu'il te plairait, oui... je ne connaissais pas non plus cet éditeur, encore une fois, merci aux blogs qui permettent ce genre de découvertes !

      Supprimer
  5. Tout ce que tu dis me tente, et puis auteure inconnue, maison d'édition inconnue, je ne demande qu'à découvrir.

    RépondreSupprimer
  6. Terriblement tentant ! J'adore la phrase que tu as choisie en exergue, elle fait tilt dès le départ ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh oui, à lire, vraiment, il y a dans l'écriture de Stina Stoor une sincérité, une énergie et une sorte d'humour triste -à l'image de ce que révèle la citation en début de billet- très touchants.

      Supprimer
  7. Décidemment la Suède échappe à l'idée que j'en avais un pays sage au bonheur facile.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est une facette que l'on n'a en effet pas l'habitude de voir mise en évidence... Mais c'est très intéressant, et vraiment bien écrit !

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Compte tenu des difficultés pour certains d'entre vous à poster des commentaires, je modère, au cas où cela permettrait de résoudre le problème... N'hésitez pas à me faire part de vos retours d'expérience ! Et si vous échouez à poster votre commentaire, déposez-le via le formulaire de contact du blog.