LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Toute une vie et un soir" - Anne Griffin

"C'est ce qu'elle provoquait en moi : le bonheur d'être en vie."

Maurice Hannigan est parvenu au soir de sa vie. Installé au bar du Rainsford House Hotel, l’octogénaire a un projet que l’on devine assez vite, puisqu’il n’en fait pas vraiment mystère. Il a vendu son exploitation agricole, fermé sa maison, vendu une partie de ses possessions matérielles, et casé le reste dans des cartons. Il a dans ses poches quelques souvenirs qui lui sont chers, et la clé d’une chambre d’hôtel.

S’adressant in petto à son fils Kevin, qui vit aux Etats-Unis, il porte en son imaginaire compagnie un toast à cinq personnes qui ont marqué sa vie : Tony, le frère aîné tant admiré qui l’a toujours soutenu, Molly, la petite fille qu’il a failli avoir, Noreen, sa belle-sœur pas comme les autres, Kevin et enfin Sadie, son épouse morte deux ans auparavant, sans laquelle la vie n’a plus de sens.

C’est ainsi toute son existence qu’il retrace, celle d’un gamin d’origine modeste, qui a quitté très tôt une école où il a à peine eu le temps d’apprendre à lire, mais qui a néanmoins si bien mené sa barque qu’il s’est retrouvé à la tête d’une petite fortune. Travailleur, audacieux dans ses investissements, il a pourtant eu la réussite discrète et a toujours vécu humblement, sa femme abhorrant l’argent et l'ostentation.

L’évocation de son enfance dans cette bourgade irlandaise qu’il n’a jamais quittée témoigne d’une réalité sociale marquée par une hiérarchie de classes encore très présente. Travaillant dès l’âge de dix ans avec sa mère chez la richissime famille Dollard, il y a connu les brimades et les humiliations, le besoin vital du peu d'argent ainsi gagné imposant de subir en silence. La soif de revanche qui en en a découlé a été le principal moteur de son élévation sociale, le poussant à s’investir dans ses affaires parfois plus que de raison, au risque d’être un époux et un père absent. Il est d’ailleurs, rétrospectivement, conscient de ses manquements, et de cette alliance de rusticité et de pudeur qui l’ont toujours empêché d’exprimer ses émotions, ses sentiments. Il n’a notamment jamais su dire à son fils la fierté qu’il éprouvait pour sa réussite en tant que journaliste, gêné par le fossé existant entre ce jeune intellectuel cultivé et lui, "vieux grincheux pas foutu de lire deux mots à la suite".

Sa confession, sublime déclaration d'amour à ceux qui ont compté plus que tout, révèle pourtant la grande sensibilité de cet homme taiseux mais sincère, aimant mais emporté par sa difficulté à s’exprimer et ses complexes face à son illettrisme, fidèle à ses principes, menant sa vie sans jamais chercher l’approbation des autres si ce n’est celle de sa bien-aimée Sadie.

Entre mélancolie et autodérision, avec une rudesse aux accents populaires qui donne au récit un ton savoureux, Maurice exprime les douleurs et les joies qui ont jalonné sa vie, et livre peu à peu ses secrets. Et c’est d’une sobriété et d’une honnêteté profondément touchantes.


Les avis d'Aifelle, de Kathel et de Luocine

Petit Bac 2023, catégorie MOMENT DE LA JOURNEE

Commentaires

  1. Ah mais je l'ai lu!! Bien aime mais pas de billet...

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    1. C'est un beau roman, à la fois sobre et plein de sensibilité.

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  2. Ce roman semble très touchant. C'est terrible le temps qui passe, le moment des bilans, la difficulté à exprimer les sentiments

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    1. Oui, il l'est, j'ai beaucoup aimé la manière dont l'auteure fait affleurer les émotions sous la rudesse du narrateur.

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  3. Je l'ai lu aussi et pour moi un coup de cœur, j'avais pioché cette lecture chez Krol, Jérôme et Katell , une très bonne pioché.

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    1. Il a en effet eu un beau succès, mérité, et c'est vrai que c'est dommage qu'il ne soit pas sortie en poche, comme le souligne Kathel.

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  4. Ah, mais je suis ravie de retrouver ce roman que j'ai beaucoup aimé, vraiment ! Il n'y a pas eu à ma connaissance de sortie en poche, et c'est bien dommage.

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    1. C'est l'avantage de lire "hors rentrée" littéraire, cela permet de remettre à l'honneur des titres un peu "anciens", notamment lorsqu'ils ne sont en effet pas sortis en poche.. je l'ai personnellement trouvé d'occasion en bouquinerie..

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  5. J'avais beaucoup aimé cette lecture moi aussi. J'espère que d'autres textes seront traduits à l'avenir http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2019/12/03/37835610.html

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    1. Merci pour le lien, je l'ajoute à mon billet... et comme toi, j'espère que nous aurons l'occasion de relire Anne Griffin.

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  6. Cela a l'air d'être un beau roman, je ne connaissais pas du tout.

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    1. Je suis d'autant plus ravie de le remettre en avant. Il mérite le détour, oui !

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  7. Beaucoup aimé ce livre, moi aussi. C'est le premier roman de l'auteure, et, si elle en a écrit un autre, il n'est pas traduit en français. Dommage !

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    1. Il semblerait qu'elle n'ait pas écrit d'autre roman à ce jour. En recherchant sur internet, je vois qu'elle a juste écrit, en plus de ce titre, des nouvelles, non traduites en français...

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