LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"L’été sans retour" - Giuseppe Santoliquido

"… les passions s’affrontent selon les règles du monde où elles surgissent."

Sandro, le narrateur, revient à Ravina, dans la région de la Basilicate (tout au sud de l’Italie), après quinze ans d’absence. Il a longtemps considéré ce lieu comme indissociable de son existence, s’y sentant ancré, amoureux de ses paysages et persuadé que s’y trouvaient les siens. C’est du moins ce qu’il croyait jusqu’à ce que certains événements le poussent à le quitter.

Mais avec ce retour, ce n’est pas tant de lui qu’il veut parler que de Pasquale Serrai, l’homme qui lui a sauvé la vie avant de le recueillir lorsqu’il est devenu, à quinze ans, orphelin. Ils étaient tous deux dans la voiture dont l’accident coûta la vie aux parents de Sandro. Lié au père de ce dernier par une amitié aussi loyale que silencieuse, Pasquale était un homme sauvage, taiseux, écrasé par la conviction de son infériorité, et en même temps capable de tous les débordements. Habitué dès l’enfance à subir l’oppression d’un ordre social quasi immuable dans cette région d’Italie marquée par la ruralité et l’isolement, dur à la tâche et taciturne, il s’animait dès qu’il était question de plantes, de fertilisants ou d’outillages agricoles, la terre représentant sa raison de vivre. Une extrême pudeur caractérisait la relation qu’il entretenait avec Sandro, qui vivait quant à lui dans la culpabilité -celle d'avoir survécu- de l’après-accident, peinant à trouver sa place parmi le reste des vivants. En intégrant le foyer des Serrai, l’adolescent devint membre d’une famille complétée de Bianca, la mère, et de Lucia, la fille du couple, adolescente à l’intelligence sauvage, catapulte d’instincts et de contradictions vivant dans l’attente perpétuelle de n’importe quel avenir, oscillant entre élans de tendresse et caprices dus à la frustration. Il convient d’y ajouter Chiara, fille de la sœur de Bianca avec laquelle cette dernière était en froid, vestige de rancœurs remontant à leur enfance. Mais si les mères étaient fâchées, les deux cousines se considéraient quant à elles comme des sœurs, et Chiara, plus jeune, d’une beauté et d’une gentillesse qui la faisaient qualifier de "parfait miracle", passait tout son temps libre chez les Serrai.

Sa disparition, lors d’une belle journée de l’été 2005, crée dans le village une déflagration dont les échos retentiront longtemps. Ravina est alors une bourgade perdue, en voie de dépeuplement, où se jouent encore les mécanismes de hiérarchies sociales d’un autre temps. La concurrence des olives du Maghreb accentue l’appauvrissement et l’exil d’une population essentiellement paysanne. L’abondance de chapelets et de crucifix y témoignent du puritanisme religieux qui régit une morale imperméable aux évolutions sociétales ou culturelles. On s’y méfie de l’étranger et du citadin. Dans ce microcosme où tout le monde se connaît, s’épie, il est tentant, à la moindre incartade à la sacrosainte morale évoquée ci-dessus, de porter des jugements hâtifs, de s’arroger des vertus par opposition, en salissant autrui, chacun étant susceptible d’être à tour de rôle accusé ou accusateur, selon le degré où certains portent le vice et la limite que chacun pose à sa complaisance. Les jeunes, eux, tournent en rond entre la place de l’église et la poignée de ruelles qui constituent le centre du village, plombés par l’ennui, le manque de perspectives, et la lenteur presque irréelle avec laquelle leur vie s’y écoule à contempler les mêmes visages, les mêmes lieux, les mêmes rêves avortés. Leurs sorties se limitent à boire un verre, le samedi soir, au bar de Ravina, les filles se pâmant sous le regard de garçons dont elles occultent la grossièreté et la bêtise.

Au moment du drame, Sandro est non seulement en rupture avec famille adoptive, mais aussi ostracisé par l’ensemble des villageois, pour une raison qu’il ne nous dévoile pas d’emblée. Il devient ainsi un spectateur de ce qui se joue autour de la disparition de l’adolescente, objet d’une surmédiatisation obscène niant toute pudeur et portant le pathos à l’extrême.

En revenant sur ces événements, il tente de comprendre cette fascination malsaine pour le malheur des autres et cette tentation du voyeurisme qu’explique sans doute en partie la possibilité de communier dans une émotion collective. Il semble davantage porté par la tristesse que par la rancune lorsqu’il tente par ailleurs d’analyser les mécanismes qui font adhérer de "belles âmes" à l’intolérance aveugle de la loi du groupe, et les font basculer dans la haine.

L’ensemble est empreint d’une tonalité profondément mélancolique, marquée par la perte et le sentiment d’un immense gâchis. 

Mon plaisir à la lecture s’est toutefois amoindri vers la fin, riche d’un peu trop de rebondissements que l’auteur prend la peine, au risque d’alourdir le récit, d’expliciter précisément.



Commentaires

  1. Après les Bianca, Chiara, Basilicate le "c'est une nouvelle participation au mois belge" est assez étonnant !

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    1. J'ai d'ailleurs failli ajouter un commentaire à ce sujet... l'auteur est belge, mais d'origine italienne bien sûr ! Il est d'ailleurs spécialiste de politique italienne, nous dit Wikipédia...

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  2. Belge? Ah oui, j'étais en Italie, mais je comprends.

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    1. Je l'avais d'ailleurs rangé dans la parie Europe du sud de mes étagères, jusqu'à ce que je réalise qu'il était du nord...

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  3. Ah tiens, je pense que ce roman pourrait me plaire. Je retiens le titre (peut-être pour ce mois belge si je trouve le temps)

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    1. J'ai aimé, malgré mon bémol sur la fin. Le ton est bien rendu, il y a du suspense, et toute la partie relative à la médiatisation de l'affaire et à ce que cela soulève au sein de la petite communauté du village est très intéressante.

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  4. Je ne me serais pas doutée que c'était un auteur belge ! Malgré ton bémol de la fin, l'ensemble a l'air intéressant et de bien se tenir.

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    1. Oui, il mérite quand même d'être lu (je te renvoie à mon commentaire ci-dessus en réponse à Doudoumatous !)..

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  5. Envie de me promener dans cette Italie du sud même si l'auteur est belge. je le note au passage

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    1. Tu peux noter oui, c'est un roman bien construit, hormis ce petit bémol final. L'auteur a une plume à la fois sensible et intelligente.

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  6. Il y a beaucoup de personnes d'origine italienne en Belgique, il y a eu des accords entre l'Italie et la Belgique après la 2è guerre mondiale "des travailleurs contre du charbon". Je n'ai jamais lu cet auteur, il faudrait que je feuillette pour voir si cela me plaît.

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    1. Merci pour cette précision. C'est un auteur à essayer, oui.

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  7. Je l'avais noté, mais ne me souvenais plus qu'il était belge ! Je le souligne puisqu'il est sorti en poche. ;-)

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  8. C'est dommage ce bémol final, c'est le genre de chose qui me casse une lecture et qui m'agace énormément. J'ai très envie de lire des livres italiens cette année (même si l'auteur est en fait belge), mais je crois que ce sont surtout les femmes (Morrante, Spapienza ou Cespedes) qui m'attirent.

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    1. Ca m'agace aussi, surtout quand tout le reste est bien maîtrisé.. ça casse le rythme et le ton sur la fin, c'est dommage.
      J'ai assez peu de titres italiens sur ma pile, je crois que ça se limite à un Umberto Eco, et à un titre de Silvia Avallone, que je connais pas, mais qu'il me tarde de découvrir. Et Sapienza me tente aussi..

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  9. Il est dans ma pal, il faut que je l'en sorte!

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    1. Oui, je me souviens que nous l'avions en commun dans nos piles... j'espère qu'il te plaira, c'est un titre mélancolique, et émouvant.

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