LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La baleine tatouée" - Witi Ihimaera

"La mer pétilla de tendresse lorsqu'elle flotta vers son conjoint. Des méduses illuminées éclataient en poussières d'étoiles argentées à travers les profondeurs ténébreuses. Loin en contrebas, un fleuve phosphorescent projetait une lumière vacillante dans l'abysse, comme une marée au clair de lune. L'océan trépidait de bruits : bavardage de dauphins, chuintement de krills, ébats de calamars, remous de requins, cliquetis de crevettes et, toujours présents, les puissants accords crescendo des courants marins."

La naissance d’une petite-fille dans le village maori de Whāngārā provoque chez son grand-père Koro Apirana, qui attendait un garçon pour prolonger sa lignée, une amère déception. Nani Flowers, son épouse, digne descendante du puissant clan Muriwai, est à l’inverse ravie. N’en faisant, comme d’habitude, qu’à sa tête, elle dépasse les bornes en la prénommant Kahu en l’honneur de Kahutia Te Rangi, l’ancêtre fondateur de la tribu à laquelle il a apporté, en chevauchant une baleine, les forces vitales lui permettant de vivre en communion avec le monde. Et puis elle a fait enterrer par ses petits-fils le placenta et le cordon ombilical de l’enfant dans le village, pour s’assurer qu’elle y reviendra toujours. Sa mère mourant peu de temps après l’accouchement, la petite-fille est récupérée, comme le permet la coutume, par sa famille maternelle. Lorsqu’elle revient dans son village natal pour les vacances, elle exprime un indéfectible amour pour son paka (grand-père) adoré, qui y répond par une indifférence revêche se muant en agressivité dès que Kahu devient trop envahissante.

L’histoire nous est contée par Rawiri, l’oncle de Kahu, très attaché à cette nièce vive et sensible, qui semble entretenir un lien surnaturel avec le reste du vivant. Son point de vue est précieux car il éclaire le contexte du regard d’une jeunesse autochtone prise entre des aspirations parfois contradictoires.

D’un côté, la volonté de certains membres de la communauté maorie de faire vivre sa langue et ses coutumes, tel Koro, qui y initie les jeunes hommes du village. De l’autre, l’appel des sirènes de la modernité, susceptibles de menacer cet héritage. L’homme a ainsi peu à peu perdu sa part de divinité et le pouvoir de parler aux animaux. Pire, il s’est retourné, allant jusqu’à la chasser, contre la baleine dont, selon les légendes, il avait été un compagnon. Un échouage de cétacés illustre les différentes attitudes de la communauté vis-à-vis d’un héritage que certains renient quand d’autres y restent attachés. C’est en se rendant en Papouasie, alors qu’il a quitté depuis plusieurs années son village, que Rawiri prend quant à lui conscience de son identité maorie, et du défi à relever pour concilier adaptation à un progrès dépendant de la bonne volonté européenne et sauvegarde de la cuture et des traditions maories, pour créer des passerelles entre passé et présent.

La grand-mère Nani Flowers est un exemple inspirant de cet équilibre à trouver, qui mêle avec naturel le respect de rituels ancestraux et l’appréciation de plaisirs procurés par la modernité, qui se montre à la fois garante de croyances maorie et initiatrice d’évolutions sociales, notamment en imposant une fille dans un rôle jusqu’alors exclusivement dévolu aux hommes.

Le lecteur est quant à lui imprégné de la mythologie maorie à l’occasion d’extraits de légendes qui s’intercalent dans le déroulement de l’intrigue. Il y découvre une nature luxuriante, grouillante, et odorante, un monde d’interactions animales et végétales qui se suffit à lui-même. La terre, la mer et les baleines y sont considérées comme des êtres vivants, à qui l’on prête des désirs et des émotions. 

"La baleine tatouée" est ainsi un roman dépaysant, où le merveilleux se mêle au tragique, et le spirituel aux contraintes d’une réalité dont les protagonistes ont pleinement conscience. Pour autant, c’est un texte sans lourdeur, car porté par une écriture fluide, et traversée d’un humour quasi permanent, notamment grâce au couple cocasse que forment Koro Apirana et Nani Flowers.

Une jolie découverte.


Lire (sur) les minorités ethniques :


Petit Bac 2023, catégorie ANIMAL

Commentaires

  1. Je ne connais pas grand chose des Maoris (euh, rien du tout, en fait). Ce roman semble idéal pour faire connaissance.

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    1. Oui, il se lit facilement, et aborde à la fois la culture ancestrale et certaines problématiques qui se posent aujourd'hui à la communauté. J'ai un autre titre maori que je lirai pour les minorités ethniques, qui a l'air bien plus dense. A voir...

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  2. Je n'ai pas entendu parler de ce livre ; l'éternel écartèlement entre les traditions et la modernité ! c'est un roman qui pourrait me plaire, surtout avec l'humour.

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    1. Le couple formé par les grands-parents est assez drôle oui, entre la grand-mère têtue et facétieuse, et le grand-père tout aussi têtu et mal embouché.. il faut en revanche savoir qu'il y a une part de surnaturel, à laquelle n'adhèreront sans doute pas tous les lecteurs. Ce n'est pas forcément ma tasse de thé, mais là, ça m'a semblé faire partie intégrante de la culture évoquée, et ça ne m'a pas gênée du coup..

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  3. Rien en bibli, dommage, cela me plairait je le sens...

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    1. Je ne suis pas très étonnée, j'ai dû le commander en librairie. Tu pourrais suggérer à ta bibli de l'acquérir..

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  4. Bon, tu sais que je suis restée un peu extérieure à ce roman, mais je pense que ça vient plutôt de moi, car en ce moment, toutes mes lectures me lassent un peu. Ce n'est pas que je n'entre pas dans les livres, bien au contraire, mais j'éprouve vite un certain ennui, quel que soit le genre. Je vais sans doute faire une petite pause de blog, et après, ça ira mieux !

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    1. Ce sont des choses qui arrivent... j'ai parfois aussi des périodes où rien ne m'accroche. Il ne faut pas insister à mon avis.. et attendre de retomber sur le titre qui débloquera la situation !!

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    2. déjà repéré sur un autre compte mais je ne sais plus lequel...

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    3. Chez Pativore, peut-être ?

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  5. J’ai très envie de le lire, surtout à cause de la baleine j’avoue… faut que je le note.
    Nathalie

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    1. Et il y a dans ce texte une vision bien particulière du cétacé..

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  6. Je l’aurais noté si tu n’avais pas mentionné des passages surnaturels ;) Mais je sens que c’est un beau roman et la couverture est très réussie !

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    1. Oui, et le surnaturel ne surgit pas que dans les paragraphes relatifs aux légendes.. ceci dit, je ne suis pas non plus une grande fan du surnaturel dans les textes censés par ailleurs être crédibles, mais là, ça passe, parce c'est cohérent avec l'atmosphère, la culture évoqués.

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  7. Merci pour cette découverte ! encore un livre que tu nous fais découvrir dont je n'en avais encore jamais entendu parler et en plus, qui a l'air bien intéressant.

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    1. C'est apparemment un "classique" de la littérature maorie contemporaine. Je suis ravie si je peux participer, à ma modeste échelle, à sa diffusion...

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