"Annie Muktuk" - Norma Dunning
"On ne passe jamais vraiment à travers quoi que ce soit. On se contente d'aller de l'avant. Aller de l'avant pour pouvoir en rire. Aller de l'avant pour rester en vie. Aller de l'avant pour devenir vieux."
Et les personnages mis en scène dans les autres nouvelles sont, chacun à sa manière, tout aussi marquants.
Une épouse profite des absences de son mari pour ruminer ses douloureux souvenirs -car "quand il n’est pas là tu peux te permettre de te souvenir pour de vrai"- en fumant clope sur clope et en buvant du vin rouge.
Josephee, qui ferait tout pour son Elipsee adorée, l’emmène passer l’été dans leur territoire d’origine, au bord du lac Nueltin, dernier espoir de la guérir du cancer dont n’ont su venir à bout les traitements des blancs.
Dans une maison de retraite, un vieillard en fin de vie se réjouit à l’idée qu’en rejoignant l’au-delà, il va enfin rentrer chez lui.
"Husky" rend un mélancolique hommage au grand-père de l’auteure, trappeur blanc ayant fait le choix de "s'assimiler à rebours" en vivant comme un inuit, entouré de trois femmes autochtones, qu’il décide un jour d’emmener en voyage à la ville, où l’étrange petite troupe se heurte au racisme.
"Mes sœurs et moi" clôt le recueil par l’histoire de trois fillettes arrachées à leurs parents, à leur mode de vie et à leur environnement pour être envoyées dans une école tenue par des religieux blancs, où on leur interdit de parler leur langue, et où elles vont subir violences et humiliations.
Cette immersion en pays inuit s’accompagne d’autant de tragédie que d’humour, de tristesse que de magie. On y découvre plusieurs manières de composer avec les traumatismes provoqués par la domination d’un envahisseur blanc dont la brutalité et le mépris se sont inscrits dans l’identité même de ce peuple qu’il a soumis à son joug. Les nombreux suicides, l’alcoolisme en témoignent, la perte et la détresse marquent les existences. Certains ont hérité d’un complexe quant à leurs origines, les poussant à s’efforcer de gommer toute trace de l’autochtone en eux, comme cette femme dissimulant le hâle de sa peau sous des manches longues et des pantalons. D’autres au contraire se font fort de rejeter toute blancheur, s’affirmant parfois jusqu’à la caricature dans la pratique de rites qu’on a voulu leur faire oublier.
Le recueil met en évidence le décalage entre une culture inuite imprégnée de spiritualité qui fait cohabiter morts et vivants, où la solidarité et les liens intergénérationnels sont omniprésents, et une civilisation blanche où le poids du moralisme a perverti la joie et la spontanéité, où l’individualisme et la cupidité prévalent sur les relations humaines.
L’ensemble est porté par une écriture dont la vitalité revigore et la sincérité transperce, souvent crue mais jamais vulgaire, car même les sujets les plus scabreux y sont évoqués avec un naturel dénué de toute perversion.
A lire.
Tu fais vraiment des trouvailles!
RépondreSupprimerC'est grâce à Marie-Claude (du malheureusement endormi blog Hop ! sous la couette), et doublement : non seulement j'avais noté ce titre suite à son billet, mais j'ai en plus eu la chance qu'elle me l'envoie, puisque je l'ai gagné à l'occasion d'un Mois de la nouvelle..
SupprimerAh tout le début du billet me fait assez envie, car je me disais "ah tiens de la littérature inuit sans les pensionnats, avec les problèmes normaux de la vie d'aujourd'hui" et puis... euh... évidemment on n'en sort pas. Mais ce sont des nouvelles avec plein de personnages, alors je devine une certaine variété. Si je le croise en librairie, tiens...
RépondreSupprimernathalie
C'est surtout abordé dans le dernier texte, qui a une tonalité différente des autres, dans lesquels il y a beaucoup d'humour, même quand le propos est grave. Il vaut le détour, en tous cas.
SupprimerQue de tragédies au nom de la civilisation et quand en plus on y mêle un peu de religion le piège pour ceux qui ont subi cette domination était total. Qu’ils se soumettent ou non.
RépondreSupprimerOui, on retrouve, partout où la colonisation a sévi, les mêmes constantes..
SupprimerMais les nouvelles du recueil sont à la fois modernes, empreintes d'une tradition spirituelle, et pleines d'un humour qui lui confèrent un ton vraiment original, et plutôt réjouissant.
J'ai l'impression que tu nous as dégoté une petite pépite
RépondreSupprimerJe te renvoie à ma réponse au commentaire de Keisha ! Et oui, c'est à lire, vraiment.
SupprimerTu m'as convaincue ! Reste à le trouver :-)
RépondreSupprimerIl doit pouvoir se commander en librairie...
SupprimerJ'aime beaucoup la couverture qui reflète une certaine originalité qu'il me semble retrouver dans le traitement des nouvelles. Il est à ma bibli ! Miracle !
RépondreSupprimerLa couverture est l'œuvre d'une artiste inuite, Annie Pootoogook, morte en 2016 : son corps a été retrouvé dans une rivière, allongeant la liste des milliers de femmes autochtones assassinées ou disparues...
SupprimerComme Sacha, je suis convaincu à 100% que ça me plairait !
RépondreSupprimerJ'en suis certaine aussi !
SupprimerVoilà qui est original... pourquoi pas !! même si je ne suis pas grande fan des nouvelles..
RépondreSupprimerOui, à tenter, pour le ton énergique, l'humour, et l'originalité...
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