"Au-dessous du volcan" - Malcolm Lowry
"Bon Dieu, si notre civilisation devait dessoûler deux jours de suite, le troisième elle crèverait de remords."
Le premier des douze chapitres (qui compte une centaine de pages), nous emmène dans la ville mexicaine de Quauhnahuac, qui comme chaque année en ce jour de 1939, fête ses morts. Nous y suivons Jacques Laruelle, un producteur de films français, au gré de ses pensées et des réminiscences que suscite le spectacle des festivités. Livrées sur le vif, avec leurs ellipses, leurs interruptions brutales et spontanées, le sens et la logique des événements auxquels il est fait allusion sont d’emblée confus pour le lecteur. Il y est question d’une certaine Yvonne dont Jacques Laruelle a été l’amant, et d’un ami de jeunesse, Geoffrey Firmin, surnommé Le Consul, dont on pressent, à sa seule évocation, l’envergure romanesque.
La suite du récit nous ramène exactement un an en arrière, et étire sur les onze chapitres suivants le déroulement d’une unique journée, en égrenant les heures, voire les minutes. En ce "jour de miracles et de visions" de la Fête des Morts 1938, Yvonne, séparée de Geoffrey qui vient d’être démis de ses fonctions de consul, revient à Quauhnahuac, visiblement désireuse de renouer les liens avec cet époux qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. Hugh, le demi-frère du Consul, est par hasard présent lui aussi.
Yvonne livre un combat perdu d’avance. L’amour profond qui la lie à Geoffrey est pourtant réciproque, mais elle doit faire face à un adversaire contre lequel elle sait ne pouvoir lutter. Le Consul est en train de sombrer, et rien ne pourra le retenir. Il chute dans les abîmes de l’alcoolisme, n’est plus investi que dans les périls et les complications de sa vie d’ivrogne, obnubilé par le nombre de verres qu’il va boire ou qu’il a bus, par le trajet à effectuer pour tomber comme par inadvertance sur une cantina où il pourra l’espace d’un instant assouvir son obsession, se donnant bonne conscience avec une mauvaise foi qui n’abuse même pas lui-même.
C’est une affaire de déambulations, à la fois physiques, psychiques et morales. La promenade matinale du duo Yvonne-Hugh, puis la virée du trio formé avec l’ajout de Geoffrey dans un lieu choisi après quelques tergiversations sont l’occasion de suivre, presque mètre après mètre, les déplacements des protagonistes, en même temps que nous pénétrons leurs labyrinthiques errances intérieures. Les pensées que font naître les situations, les individus et les lieux qui les entourent semblent à la fois diluées et décortiquées, qu’il s’agisse de considérations vénielles ou de douloureux questionnements existentiels. Elles se font aussi parfois extrapolation, imagination d’un avenir dont on sait qu’il n’adviendra jamais.
Celles de Geoffrey sont les plus erratiques et les plus obscures, alternance de logorrhées, de réflexions elliptiques ou tronquées, hallucinations éthyliques qui parent les lieux d’une dimension cauchemardesque et incertaine, donnent aux individus des airs menaçants, tout cela contrastant d’une manière qui serait cocasse, si tout cela n’était pas si pathétique, avec l’air permanent de fraîcheur et de bonne santé qu’affiche Le Consul, vierge de tout signe extérieur de débauche.
Il vit là le jour le plus long de sa vie, et c’est comme si c’était aussi le jour le plus long de notre vie – et ça, c’est quand même très fort-, qui à la fois se distend et hoquette, comme si certaines de ses séquences devaient se répéter à jamais, c’est du moins l’impression que peuvent donner l’évocation de cette affiche d’un combat de boxe que l’on aperçoit régulièrement sur les murs de la ville, ou le surgissement, à plusieurs reprises, d’un mystérieux et inquiétant cheval marqué au fer rouge d’un sept sur sa croupe. Et comme en contrepoint, l’immuable silhouette du Popocatepetl surplombe cette funeste journée dont les événements sont comme des touffes d’herbe auxquelles Geoffrey se raccroche sans enthousiasme, stoppant ainsi momentanément une dégringolade qu’il sait inéluctable.
Tiens donc, même conseil que pour Le bruit et la fureur, je te rejoins là -dessus.
RépondreSupprimerBon, à part ça, un classique sans doute facile à trouver, mais là, en ce moment, heu...
Comment ça ?! Tu ne l'as pas lu ?!!
SupprimerBen non, l'impression (un film?) que ça boit beaucoup là dedans?
SupprimerOn pourrait même dire que ça ne fait que ça (du moins pour Geoffrey) et que le sujet du roman est l'alcoolisme, mais peu importe en fait, ce qui compte ici n'est pas ce qui y est raconté, mais comment ça l'est (comme souvent d'ailleurs)..
Supprimerce roman fait partie de ces livres que j'ai tenté de lire à plusieurs reprises sans y parvenir, avec Ulysse de Joyce ce sont mes deux romans irréductibles
RépondreSupprimerje l'ai en numérique aujourd'hui prêt à être lu mais ....
ton billet est pourtant très très tentant
Ulysse, je n'ose même pas tenter... pour celui-là, il faut en effet s'accrocher au premier chapitre et s'accoutumer aux ruptures et aux digressions. Mais il vaut bien l'effort qu'il réclame !
Supprimer"Au-dessous du volcan" est dans ma liste A-lire-absolument-un-jour. Sinon, pour ma part, je lis toujours les préfaces, postfaces, citations en exergue... tout, je lis tout.
RépondreSupprimerJe ne lis jamais les pré/postfaces, sauf quand il me semble qu'elles peuvent m'éclairer sur des points que je n'ai pas compris...
SupprimerEt garde le bien dans ta liste des incontournables, oui !
Un "classique" qui depuis des années me fait envie, mais aussi peur... et si j'avais un jour une liste qui s'appellerait "A-lire-absolument-un-jour", nul doute qu'il en ferait partie :-)
RépondreSupprimerIl m'effrayait aussi... les vacances sont la bonne période pour se lancer dans ce genre d'expérience..
SupprimerAh ! les classiques.... il n'y a que ça de vrai !? Très bon bouquin.
RépondreSupprimerPlus que très bon, même, je dirais...
SupprimerJe m'étais lancée avec réticence, à cause de l'alcool, mais je sais que j'ai énormément apprécié ce livre, même si je n'en garde presque aucun souvenir. J'aimerais bien le relire d'ailleurs !
RépondreSupprimernathalie
Je ne suis pas très étonnée sur le fait que tu n'en aies pas gardé de souvenir : plus que les événements, ce sont les pensées, les digressions qui prennent toute la place..
SupprimerC'est un des classiques qu'il me reste encore à lire, mais il faut que je trouve le bon créneau pour ça. L'été est passé, ça attendra encore un peu, je pense.
RépondreSupprimerOui évidemment, mais ne l'oublie pas !
Supprimerj'ai mis beaucoup de temps à vaincre la difficulté du premier chapitre mais quand j'ai enfin réussi je me souviens bien de mon plaisir de lecture .
RépondreSupprimerPS je ne viens pas assez souvent sur ton blog car je ne reçois plus les avis comme quoi il y a un nouveau billet. Je ne sais pas pourquoi! aujourd'hui sur Luocine j'ai mis un livre que tu as aimé aussi et je l'ai vu grâce à Babelio. Ce n'est pas le moyen le plus simple pour retrouver ton blog.
C'est exactement ça, il faut vaincre le premier chapitre ! J'ai vu pas mal d'avis de lecteurs qui ont relu ce premier chapitre après avoir terminé le roman, et qui disent qu'il prend alors tout son sens... je suis tentée de faire pareil du coup..
SupprimerEt pour les notifs du blog, je ne comprend pas non plus, je n'ai qu'une adresse mail dans les paramètres des abonnés aux notifs, et a priori c'est la tienne (elle commence bien par mcd.. ?)...
Je l'ai lu dans ma jeunesse et à vrai dire, je pense que je suis passée à côté, je n'avais pas la maturité nécessaire. Je ne sais pas si j'aurai le courage de la reprendre un jour.
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûre que j'aurais adhéré non plus, si je l'avais lu plus jeune...
SupprimerBonjour Ingannmic
RépondreSupprimerJe connais cette oeuvre de nom, comme tout le monde... mais seulement de nom: je ne crois pas avoir jamais lu le livre ni vu le film qu'en a tiré Huston! Occasion de m'y ré-intéresser, merci pour cette nouvelle participation au challenge!
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Bonsoir,
SupprimerJ'ai peur que le film ait un peu vieilli, mais le roman a rejoint les incontournables de mes étagères ...