"Kamik" - Markoosie Patsauq
"Le monde peut vous donner de belles choses à voir tout en vous faisant mourir de faim."
On y suit Kamik, seize ans, et les dramatiques événements qui vont le faire brutalement devenir adulte.
Cela débute par l’attaque d’un ours blanc qui s’en prend au campement du clan dont Kamik et sa famille font partie. Rapidement, les hommes du groupe décident de traquer l’animal -qui s’est enfui après avoir été blessé à la patte-, ce dernier représentant une menace. De telles attaques sont en effet inhabituelles, et sont généralement perpétrées par des bêtes que les vers ont rendu folles.
Pour Kamik, c’est une première. Son père Salluq lui a bien appris à chasser, mais jamais encore il ne s’est frotté à ce terrible prédateur. La traque tourne mal, au point que le jeune homme se retrouve seul, à des jours de marche de chez lui, dans un environnement extrêmement hostile, où le froid, les difficultés à trouver de la nourriture et le risque d’être confronté à un ours mettent chaque jour sa vie en danger.
Les phrases sont courtes, souvent dégraissées de tout lyrisme, les événements -y compris certaines scènes de carnage- évoqués de manière très factuelle, les émotions des personnages -peur, colère- exprimées littéralement, presque avec sécheresse, comme si la vigilance que requièrent le danger omniprésent et les impératifs de la survie colonisait toutes les pensées.
Certains éléments du récit surprennent, et créent chez le lecteur une sensation de dépaysement, telle cette possibilité qu’évoquent les personnages de manger -certes en dernier recours- leurs chiens, ou cette manière systématique d’envisager le suicide dès lors qu’une situation semble désespérée…
(…)
L’auteur a fait partie lorsqu’il était enfant -dans les années 1950- d’un groupe inuit déplacé à 2000 kilomètres au nord de son territoire par un gouvernement qui, désireux de renforcer sa souveraineté sur le Haut-Arctique, avait besoin, outre une présence militaire et policière, d’y installer des gens. Peu habitués à leur nouvel environnement local, sous-équipés pour endurer des conditions climatiques et un isolement extrêmes, ils ont enduré plusieurs décennies de privations terribles avant d’être autorisés à rentrer chez eux. Beaucoup sont morts de désespoir ou de maladies. Markoosie Patsauq a quant à lui été envoyé dans un sanatorium pour soigner une tuberculose. Il y a appris l’anglais, ce qui lui a par la suite permis de faire des études puis de devenir un des premiers aviateurs inuits. Il est une exception, qui a su trouver sa place entre deux mondes, (inuit et occidental) et un certain équilibre, notamment grâce aux histoires qu’il écrivait souvent entre deux vols, dans l’attente de conditions météorologiques plus clémentes.
Ce qui fait de ce roman un texte important, c’est qu’il s’agit du premier roman autochtone publié au Canada. Inspiré d’histoires (elles-mêmes basées sur des faits réels) que ses grands-parents racontaient à l’auteur, le manuscrit original de Kamik a été écrit en inuktitut, langue syllabique, et est paru dans cette langue dans un magazine inuit entre 1969 et 1970. Par ailleurs, l’auteur l’a lui-même traduit en anglais à la fin des années 60. Cinquante ans après cette publication initiale, il a été retraduit pour la première fois directement de l’inuktitut au français, dans l’optique de respecter autant que possible le style, le vocabulaire et le tempo de l’auteur.
Commentaires
Et il y aura encore d'autres titres sur les minorités ethniques d'ici la fin de l'année !
Ingannmic