LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"On pleure pas au bingo" - Dawn Dumont

"Les livres, c'était mes cigarettes."

C’est le récit d’une enfance, que l’on devine être celle de l’auteure, ce que suffit d’ailleurs à confirmer un bref coup d’œil à sa biographie.

Une enfance passée dans des réserves indiennes du Saskatchewan et d’ailleurs, en mouvement perpétuel. Les petits Dumont ont appris très tôt l'art de savoir quoi mettre dans leur valise et de gérer leur consommation de liqueurs en fonction des pauses pipi (même si des accidents arrivaient quand même). Ce nomadisme n’était pas une manière de perpétuer la tradition d’une lignée crie qui, suivant les troupeaux de bisons leur assurant subsistance, abri et vêtements, bougeaient au fil des saisons. C’était le moyen par lequel leur mère se soustrayait à la brutalité dont elle jugeait son époux capable lors des périodes où il s’adonnait à la boisson plus que de raison.

Hormis cette propension au nomadisme, c’est une enfance sans grands événements. Il n’est ici question ni de drames indépassables ni de joies inoubliables, plutôt d’un quotidien que l’on pourrait qualifier d’ordinaire mais qui prend sous la plume de l’auteure une couleur singulière, qui le rend aussi touchant que divertissant.

L’environnement dans lequel évoluent Dawn et ses proches n’est pourtant guère propice à la gaieté. La vie dans les réserves est une vie de débrouille, de fins de mois difficiles. Violences conjugales, alcoolisme, grossesses précoces sont le lot de nombreux autochtones, qui subissent par ailleurs dès l’école ségrégation et mépris. Et puis Dawn est une fillette maladroite et peureuse, boulotte et bourrée de complexes, notamment vis-à-vis de sa sœur Céleste, plus jeune mais plus jolie, plus athlétique, plus populaire. C’est une enfant qui se réfugie dans la lecture, qu’elle pratique de manière compulsive, et une élève disciplinée, travailleuse, qui tente de conquérir auprès des enseignants une attention que la plupart de ses camarades lui refusent.

Pour autant, le récit n’est jamais plombant. Il en émane une énergie constante, celle des disputes et des jeux que partagent les enfants Dumont ou qui les mêlent à leur myriade de cousins et cousines, celle des soirées de bingo où leur mère -qui en est complètement accro-, leurs tantes et leurs voisines oublient leur quotidien en étalant leur expertise de professionnelles ; celle, enfin, déployée pour échapper aux clichés des pauvres et ne pas passer pour une "poupoune de réserve", en évitant les tatouages, de porter des espadrilles avec ses jeans, ou de se montrer en public avec un T-shirt d’AC/DC… 

Et puis il y a le personnage de cette mère justement, qui constitue pour Dawn un modèle, et lui donne des raisons d’être fière d’être femme et autochtone. Une mère indépendante et solide comme le roc, qui a toujours occupé deux ou trois emplois à la fois tout en prenant soin de ses enfants et des nombreux membres de la famille hébergés à la maison, capable de changer un pneu et de siphonner de l'essence, et dotée d’un sens de l'humour très cru lui permettant de rester à l'écart des conflits.

La narratrice elle-même se montre souvent très drôle, en évoquant avec sincérité et une bonne dose d’auto-dérision cette enfance dont il se dégage, malgré les coups durs, sa solitude et ses complexes, quelque chose de frais et de positif, propre à susciter une grande tendresse pour la jeune Dawn.

A lire.

 
Une idée piochée chez Marie-Claude, et une lecture commune avec Miss Sunalee dont l'avis est ICI.

Lire (sur) les Minorités Ethniques

Commentaires

  1. Je pense que nous sommes sur la même ligne après la lecture de ce joli roman ! J'ai beaucoup aimé sa sensibilité et sa capacité de décrire la vie de tous les jours sans en faire un drame.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Nous sommes en effet complètement d'accord ! J'ai vraiment passé un bon moment en compagnie de Dawn (en recherchant des infos sur sa biographie sur internet, je suis tombée sur un triste fait divers, datant de l'an dernier. Elle a été accusée d'enlèvement dans le cadre d'un conflit de garde d'enfant).

      Supprimer
  2. C'est un beau roman, on dirait... Je suis en train de me dire que ça fait un moment que je n'ai rien lu sur les minorités ethniques.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est une très bonne occasion alors ! J'essaie moi aussi d'en lire un maximum avant la fin de l'année...

      Supprimer
  3. Un récit qui me fait penser à l'excellent recueil de nouvelles de Joseph Boyden Là haut vers le nord ... (j'ai vérifié dans ton index) En échange de cette nouvelle tentation, je te laisse celle-là ^-^...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh bah non, je viens déjà de noter deux titres chez toi ! Ceci dit, cela fait un moment que je me dis que je devrai relire Boyden, et cela me permettrait de faire d'une pierre deux coups avec l'activité que Doudoumatous projette d'organiser !

      Supprimer
  4. tentant, vraiment. Dommage qu'il ne soit pas à ma bibliothèque.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu peux peut-être leur suggérer d'en faire l'acquisition ?

      Supprimer
  5. Même s'il ne se passe pas grand chose, c'est toujours intéressant de lire sur ces communautés et leurs difficultés en tant que minorité. Les personnages ont l'air plutôt attachants.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ils le sont, oui ! Et puis le ton est divertissant, mais le récit n'est jamais simpliste, on en retient son authenticité et son énergie.

      Supprimer
  6. je crois que cela pourrait m'intéresser aussi, noté !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai vraiment passé un beau moment avec Dawn, et Miss Sunalee aussi. Elle décrit son enfance avec beaucoup de fraîcheur et d'humour.

      Supprimer
  7. je l'ai lu en anglais et j'ai un autre dans ma PAL, ça décrit vraiment bien la vie quotidienne dans les rez !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'avais plus en tête que tu l'avais lu, mais j'aurais dû m'en douter... une chouette découverte !

      Supprimer
    2. oui !!! je dois lire son autre roman d'ailleurs..je ne suis pas très loin, et je crois toujours à mon retour ! résolution 2024

      Supprimer
    3. Moi aussi j'y crois ! Vivement 2024...

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Compte tenu des difficultés pour certains d'entre vous à poster des commentaires, je modère, au cas où cela permettrait de résoudre le problème... N'hésitez pas à me faire part de vos retours d'expérience ! Et si vous échouez à poster votre commentaire, déposez-le via le formulaire de contact du blog.