LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La petite menteuse" - Pascale Robert-Diard

"Prendre connaissance d’une époque à travers les documents judiciaires, c’est comme étudier les étoiles en regardant leur reflet dans un étang." (Erri de Luca)

Accusé de viol par Lisa Charvet, quinze ans, Marco Lange a été condamné à dix ans de prison. Ayant fait appel de cette décision, il a droit, alors qu’il a déjà effectué la moitié de sa peine, à un nouveau procès. La victime souhaite changer d’avocat, être cette fois représentée par une femme, et c’est pourquoi elle s’adresse à Alice Keridreux. 

Intéressant personnage que cette avocate quinquagénaire, qui a passé la moitié de sa vie -aux dépens de son couple- à courir les tribunaux et les cours d’assises et qui, si elle a de plus en plus de mal à supporter la noirceur inhérente à son métier, continue de l’exercer avec passion, tout en conservant son sens de la nuance et sa capacité au doute.

Elle n’a pourtant pas douté de la culpabilité de Marco Lange. Aussi, lorsque Lisa lui avoue avoir menti, elle cherche à comprendre non seulement les raisons de ce mensonge, mais aussi et surtout les mécanismes qui ont permis que sa parole soit reçue et admise sans aucune remise en question.

Pour elle, Lisa reste une victime. A quinze ans, elle était une adolescente complexée, en quête d’une reconnaissance qu’elle ne pouvait, en tant que fille s’imaginant sans talent ni qualités, obtenir que par un seul moyen. Facilement encouragée par des garçons en pleine effervescence hormonale, elle s’est donné des airs de fille libérée et provocante, et s’est retrouvée piégée dans les attentes ainsi suscitées. Lorsque, s’enquérant des raisons de son apparent mal-être, certains de ses proches l’ont interrogée, la mention d’abus sexuels est venue spontanément, et puisqu’il fallait donner un nom, celui de Marco Lange est sorti presque par hasard…

L’accusé était un homme peu instruit, aux manières brutales et possédant un casier judiciaire. L’enquête de personnalité, comme souvent pour ceux de sa catégorie sociale, a tenu en quelques pages. L’enflammement de l’époque pour la libération de la parole féminine, notamment lorsqu’elle dénonce des violences sexuelles, a fait le reste.

L’auteure (et c’est courageux, comme le souligne Sandrine dans son billet) remet en cause le caractère sacré et indubitablement véridique de cette parole, mais ne vise pas tant celles -ou ceux- qui l’énoncent, que ceux qui la reçoivent.

Elle démontre la fragilité de la conviction, soumise au contexte culturel, social, mais aussi aux préjugés et aux expériences personnelles, met en garde contre l’intransigeance, qu’elle profite à la victime ou à l’accusé, et rappelle ainsi que la quête de la vérité, au sens judiciaire (mais aussi plus global) du terme, suppose que l’on en accepte les nuances et le tort qu’elle peut faire à une cause.



Petit Bac 2023, catégorie GROS MOT

Commentaires

  1. L'autrice est vraiment sur un fil rouge, entre le respect de la parole de la victime, car Lisa reste une victime, et la fragilité du témoignage. Démonter les mécanismes qui l'ont conduite à mentir ( ou à se taire) en respectant ce statut, n'est pas une posture confortable. Mais la lecture ne met pas mal à l'aise, c'est appréciable. ( mais quand même un peu sec dans l'écriture, non ?

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    1. Je me souviens en effet du bémol que tu as émis quant à cette "sécheresse". Cela ne m'a personnellement pas du tout gênée, je trouve au contraire que cela sert complètement son propos, en lui permettant de conserver une neutralité qui pousse à une réflexion objective, sans l'entrave de l'émotion.

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  2. Encore un roman qui est noté, à trouver sans urgence en médiathèque !

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    1. Il est assez récemment sorti en poche, tu devrais le trouver facilement..

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  3. Lu sans billet, et tout à fait d'accord avec Athalie!

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    1. Sur le ton sec ? Comme je l'écris en réponse à Athalie, il m'a plutôt semblé que c'était un ton parfaitement adapté au propos.

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  4. Ce livre me met mal à l'aise depuis le début ; ce serait trop long à développer ici, mais je ne pense pas le lire, en tout cas pas maintenant.

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    1. Comme l'écris Athalie en commentaire, malgré les questions gênantes qu'il pose, il ne met pas mal à l'aise. La réflexion repose sur le personnage de l'avocate, qui en est la porte-parole, et le personnage est bien choisi, avec un équilibre entre analyse et humanité.

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  5. Bravo pour cet avis détaillé et magnifiquement écrit. Je ne sais pas si je lirais cette oeuvre mais en tout cas tu en parles très bien.

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    1. Merci (mais je ne t'ai pourtant pas convaincue on dirait :)!). C'est un livre court, n'hésite pas s'il croise ton chemin ; la manière dont il pose sa problématique, avec intelligence et sens de la nuance, fait du bien...

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  6. Un livre qui me rebute autant qu’il m’attire, j’attends donc l’impulsion qui viendra ou non.
    J’aime beaucoup ta présentation de ce roman !

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    1. Comme je l'écris à Philisine, n'hésite pas, et je le répète avec Athalie : malgré le sujet, il ne met pas mal à l'aise, si c'est ce que tu crains.

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  7. Je ne sais plus dans quelle catégorie j'ai casé ce roman mais plus j'y pense et plus je le trouve important. C'est un roman qui fait réfléchir, qui bouscule, qui va à contre courant de ce qui est sacro saint aujourd'hui. Et ce qui est sacro saint, quel que soit le sujet, est dangereux car utilisable, manipulable et aveuglant. La nature humaine est toujours complexe, nos meilleures lectures nous le rappellent sans cesse.

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    1. Oui, et je te rejoins complètement sur ce roman, que j'ai trouvé particulièrement réussi. La démarche était ambitieuse : une invitation à garder la tête froide et l'intelligence en alerte malgré le poids du consensus, se détacher de la simple bonne intention pour questionner, comme tu l'écris, la complexité des êtres...

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  8. ça doit être vraiment intéressant avec les complexités et ambiguïtés que tu soulignes...

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    1. Ca l'est oui, il faut le lire, c'est une voix bienvenue dans un monde où l'on réfléchit de plus en plus à l'emporte-pièce, en suivant les consensus..

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