"Panorama" - Lilia Hassaine
"Je sais le mensonge de nos existences, l’image qu’on veut donner, parce que vivre en dehors du bonheur, c’est déjà être déclassé."
Vingt ans auparavant, un crime impuni a entraîné la révolte de citoyens excédés par le laxisme de la justice. Après s’être livrés à une orgie d’expéditions punitives débouchant sur une amnistie générale, ils ont instauré une société de la Transparence pour assurer la sécurité de tous, ce qui s’est concrétisé par le remplacement, dans les bâtiments publics comme dans les habitations, des murs par des surfaces vitrées.
Désavouée, la classe politique n’a plus aucune influence. Les lois et les décisions de justice sont discutées et votées par le peuple sur internet.
C’est une société du moindre effort et de la moindre souffrance. Tout est fait pour faciliter et accélérer les actes de la vie quotidienne et pour domestiquer les sentiments. La visibilité permanente empêche les débordements, et entretient la tendance à l’exhibitionnisme de jeunes obnubilés par la diffusion de leur image.
Les quartiers ont acquis une rassurante dimension communautaire, où s’assemblent ceux qui se ressemblent, selon des critères culturels, sociaux ou religieux.
La littérature est expurgée de tout contenu susceptible de heurter.
C’est un monde de voisins vigilants et d’éclairage permanent, un monde où la peur n'existe plus. Le paradis terrestre ?
La narratrice elle-même, Hélène, ex-commissaire de police dorénavant Agent de protection est au départ plutôt convaincue du bien-fondé de cette transparence, qui a rendu plus attentifs aux autres, a supprimé les violences auparavant perpétrées à l'abri des murs. Elle a aussi permis de ramener à la maison son mari volage (ce n'est pas pour autant que leur couple se porte mieux, mais plutôt que d’exposer leurs dissensions aux yeux du monde, son époux lui chuchote avec délectation des paroles de désamour à l’oreille).
Son enquête sur l’inexplicable disparition d'une famille va remettre en cause toutes ses certitudes. Rose et Miguel Royer-Dumas, ainsi que leur fils Milo, semblent s’être évaporés sous les yeux de leurs voisins. Ils vivaient pourtant dans le quartier le plus chic de la ville. Les rumeurs ont tôt fait de rappeler les origines suspectes de Miguel, qui venait des Grillons, une zone de non-droit de la périphérie urbaine, où vivent dans des barres d'immeubles surpeuplées ou des pavillons en béton ceux qui ont refusé de se soumettre à la Transparence ou que la société n'a pas envie de voir parce qu'ils sont trop pauvres ou trop malades.
Au fil de ses investigations, Hélène prend peu à peu conscience des travers induits par un mode de vie qui limite les rapports vrais et profonds avec autrui, et de l’appauvrissement cognitif et intellectuel que génère une extrême visibilité étouffant la capacité à la subtilité et à l’interprétation de tout ce qui échappe à la rationalité, appauvrissement par ailleurs exhaussé par la superficialité, voire les mensonges, de réseaux d’information qui en entretenant les croyances de chacun, dissuadent de se confronter à l’altérité, sans même parler de divergence. Et puis elle réalise aussi que la transparence n’est pas forcément synonyme de vérité. Pour afficher au monde leur exemplarité, les individus, en reniant une part d’eux-mêmes, acquièrent une dimension factice et exempte de la complexité qui fait la richesse et la réalité des êtres.
Le monde dépeint dans "Panorama" n’est finalement qu’une simple extrapolation du nôtre. Il est en tous cas hautement crédible : obsession sécuritaire et développement de la surveillance, étiolement des débats de société antagonistes et profondément argumentés, reniement de la complexité des êtres, injonction tyrannique au bonheur ou à une pseudo perfection mortifère et uniformisante…
Et ce qui est sans doute le plus flippant, c’est que tout cela s’installe avec le consentement, voire l’active participation de la majorité des citoyens. Les personnages de Lilia Hassaine peuvent paraître désincarnés -y compris l’héroïne principale qui, si elle se pose en effet des questions, n’est pas dans une réelle remise en question du bien-fondé de l’éthique qui préside à ce fonctionnement sociétal-, mais il me semble qu’il s’agit là d’une volonté de l’auteure qui explore ainsi les conséquences d’un tel contexte sur la psychologie et la personnalité mêmes des individus -et c’est du coup assez malin !
C'est également cela qui m'a frappée durant cette lecture, le réalisme de la société décrite.
RépondreSupprimerOui, elle est malheureusement parfaitement crédible...
SupprimerOn se sent (presque) dans ce monde, en effet; Oui, bof pour l'enquête, après tout...
RépondreSupprimerC'est vrai que ce qu'on en retient, ce n'est pas l'intrigue policière, même si l'étrangeté de la disparition suscite la curiosité et tient en haleine..
SupprimerComme tu le montres très bien, ce roman n'est pas très long mais finalement très dense et l'autrice a exploité sa thématique de manière très maline. J'ai également passé un excellent moment de lecture en sa compagnie
RépondreSupprimerComme toi, je l'ai lu très vite, on se laisse facilement emporter par l'écriture, c'est efficace et la réflexion est en effet plutôt bien menée.
SupprimerJ'ai bien aimé le roman mais je n'en fait pas non plus un bouquin "formidable". Intéressant néanmoins.
RépondreSupprimerNous sommes parfaitement d'accord !
SupprimerA mon programme et tout à fait dans mes cordes.
RépondreSupprimerJe suis curieuse de connaître ton avis. Comme l'écrit Le bouquineur, ce n'est pas le chef d'œuvre de l'année, mais ça se lit bien, et la réflexion est pertinente.
SupprimerIl m'intéresse, mais pas pour le côté policier, de toute façon. ;-)
RépondreSupprimerDans ce cas ça tombe bien ! J'espère qu'il te plaira.
SupprimerJe vais finir par céder à la curiosité de ce livre dont on a pas mal parlé sur la blogosphère et les médias dernièrement.^^
RépondreSupprimerC'est vrai que c'est un des succès de cette rentrée, sans doute en partie parce qu'il interroge sur notre probable futur proche..
SupprimerJe l'emprunterai à la bibliothèque, sans urgence. Le côté consentement à un tas de choses des citoyens est en effet sidérante par moment et c'est intéressant de voir ce qu'elle en a fait.
RépondreSupprimerCette dictature de la transparence est en effet insidieuse, car consentie (sauf par une minorité, qui se retrouve exclue) et elle s'inscrit dans la logique de notre mode de vie actuel...
SupprimerIl est dans ma PAL et même s’il a quelques défauts, je suis attirée par le traitement du propos qui paraît presqu’incroyable tant le respect de la vie privée reste important.
RépondreSupprimerLa dynamique du récit, la fluidité de l'écriture et l'analyse (déguisée) de l'auteure de nos sociétés de la sacro-sainte transparence font en effet facilement oublier ses (légers) défauts.
Supprimerle genre de nouveautés dont je ne sais que faire : lire ou pas lire...
RépondreSupprimerEn général, quand c'est comme ça, j'attends au moins la sortie poche, histoire de me détacher des différents avis lus, et de me faire tranquillement ma propre idée. Sache juste qu'il se lit très vite..
SupprimerJ’ai bien aimé ce roman qui fait flipper. Mais j’aime bien aussi son écriture : Soleil amer son précèdent roman et j’aime la journaliste qui avait toujours un regard affuté sur le monde.
RépondreSupprimerC'est vrai qu'elle a une écriture agréable, vive, qui fait tourner les pages sans peine. Je lirai sans doute Soleil amer, dont le sujet -par ailleurs très différent de celui-ci- m'intéresse beaucoup.
SupprimerComme toi, si j'ai beaucoup apprécié la mise en roman de la dictature de la transparence, les ficelles policières m'ont un peu échappé, du moins, je les ai laissées de côté ...
RépondreSupprimerJ'ai l'impression que cet aspect du roman n'est finalement qu'un prétexte à l'auteure pour développer son propos socio-philosophique. C'est un peu dommage : elle aurait soigné les deux, il aurait été excellent ! Mais je ne regrette pas ma lecture, le réflexion y est bien menée, et ça se lit tout seul sans tomber dans le simplisme..
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