LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Malpertuis" - Jean Ray

"Elle sue la morgue des grands qui l’habitent et la terreur de ceux qui la frôlent."

On trouve dans ce roman paru en 1943 plusieurs ingrédients des classiques de l’horreur et du fantastique : une maison hantée et ses fantômes ; une entame à la fois mystérieuse et destinée à donner au récit qui va suivre une caution de réalité, puisqu’il serait la transcription de manuscrits trouvés par un premier narrateur, dont l’enchâssement confère au texte une dimension labyrinthique.

Cela débute avec l’agonie de l’abject "oncle Cassave", dont le testament perpétue post mortem l’expression de son autorité malveillante. Sont présents à sa lecture les trois sœurs Cormelon, portant les voiles d’un sempiternel deuil ; le cousin Philarète, toqué de taxidermie ; le couple Dideloo et leur fille Euryale, dont la rousse et condescendante beauté obsède le deuxième narrateur, le jeune Jean-Jacques Grandsire. La sœur de ce dernier -la fière et rebelle Nancy- ainsi que Mathias, le commis avec lequel elle tient le magasin de couleurs accolé à la maison, complètent l’assemblée, que consterne la lecture des dernières volontés du défunt. Il y impose à l’ensemble de ses héritiers d’habiter Malpertuis, où, en plus du gite, le couvert leur sera assuré. Aucun changement ne pourra être apporté à la maison. L’intégralité de la colossale fortune du vieux Cassave reviendra au dernier vivant, ou aux derniers survivants s’il s’agit d’un homme et d’une femme, qui devront alors se marier. 

Malpertuis est une demeure sinistre et glaciale, dont la seule évocation, avec le recul, provoque la terreur du narrateur. Il la dépeint comme le "point final de destinées humaines", comme une entité vivante suscitant cauchemars nocturnes et imposant, le jour, la cohabitation avec "d’atroces ombres de suppliciés". 

L’horreur s’installe et se concrétise, sous la forme de créatures minuscules et horribles séjournant dans le grenier, d’une chose indéfinissable soufflant systématiquement les lampes que l’étrange et repoussant Lampernisse, ancien gérant du magasin de couleurs occupant les angles morts de Malepertuis, s’obstine à rallumer. Un premier mort est bientôt retrouvé pendu, inaugurant une série macabre.

J’étais très impatiente de découvrir ce titre, défini comme un classique méconnu de la littérature fantastique, et à propos duquel Le Bouquineur a écrit beaucoup de bien

Et j’ai vraiment apprécié le début de ma lecture, l’écriture à la fois précise et éloquente de Jean Ray, l’atmosphère étrange et angoissante qui pèse sur le récit, et même cette construction enchevêtrée qui peut perdre le lecteur. Ce qui m’a perdue moi, ne réside ni dans la forme, ni dans une problématique liée à la compréhension de l’ensemble : c’est le sens final donné à l’histoire, qui verse dans une sorte d’ésotérisme délirant empruntant à la mythologie, et qui selon moi fait perdre toute crédibilité au texte. Non pas que je croyais aux manifestations surnaturelles précédemment décrites, mais il me semble que de garder le mystère quant à leur origine aurait permis de me maintenir dans ce vague état d’angoisse que la résolution dudit mystère, grossière, a fait s’évaporer.

Commentaires

  1. Je comprends ta conclusion mais sans les explications finales, on ne comprendrait pas grand-chose à ce roman. « Avec cette clé de lecture, le roman prend tout son sens, les locataires de la demeure, ce qui leur arrive, tout s’insère dans la logique de la mythologie grecque, Jean Ray la bousculant néanmoins et la confrontant aux croyances chrétiennes. »
    En tout cas, un bon bouquin.

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    1. C'est vrai, cette fin cimente l'ensemble en lui donnant du sens, mais je crois que j'aurais préféré ne pas tout comprendre, et que le mystère et l'horreur conservent une part de véracité...

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  2. C'est un auteur classique oui. Je vois La Cité de l'indicible peur, présent dans ma bibliothèque depuis des années. Le titre est prometteur mais je me demande ce que ça vaut...
    Nathalie

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    1. C'est ça, c'est un classique un peu oublié, mais dont certains titres ont été réédités.. malgré cette expérience mitigée, je creuserai peut-être davantage, j'ai apprécié la plume !

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  3. J'ai du mal avec le fantastique, qui me laisse sur des impressions de trop ou trop peu, avec un boaf tout ça pour ça.

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    1. C'est exactement ce que j'ai ressenti avec ce titre : j'ai aimé, en fait, ne pas comprendre ce qui se passait, ça met dans un état de tension et fait poser plein de questions, alors l'explication détaillée qui arrive à la fin, et surtout sa dimension complètement loufoque... ça a tout fait retomber d'un coup.

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  4. Je suis passée d'intriguée à dépitée... je ne l'ajoute pas à ma liste bien assez longue !

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    1. ... et dans laquelle tu trouveras sans doute déjà de quoi te satisfaire...

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  5. Bof, je ne suis pas plus attirée que ça non plus. Je lis peu de fantastique.

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    1. Moi j'aime bien, mais il faut que ce soit savamment dosé... soit on part dans un univers complètement inventé, et alors là tout est permis en matière de fantastique, soit on introduit du surnaturel dans un contexte censément réel, et il faut alors jongler habilement entre horreur et crédibilité.. enfin je parle pour moi, bien sûr ! Un des maîtres en la matière est Stephen King..

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    2. J'aime bien aussi un petit Stephen King de temps en temps ou un Lovecraft. A une époque, j'ai lu plusieurs romans de Graham Masterton également.

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  6. Une chose est certaine, ce n'est pas du tout pour moi ce genre de roman. Ma PAL te remercie.

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    1. Je t'en prie ! C'est vrai que le fantastique, surtout dans ce registre, est un genre particulier, je comprends que l'on n'adhère pas...

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  7. J'ai adoré ce livre et ces fameuses révélations, contrairement à toi. Je veux le relire depuis une éternité.

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    1. Dans ce cas, ton avis rejoint celui du Bouquineur.. mon bémol tient davantage ici d'une question de "goût" que d'une remise en cause de la qualité du roman...

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  8. En te lisant je me rends compte que ma lecture de ce roman est bien lointaine, plus lointaine que je ne croyais. J'ai pas mal lu Jean Ray, notamment les enquêtes d'Harry Dickson, et c'était bien...

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    1. Je note ces enquêtes, comme je l'écris ci-dessus en réponse à Nathalie, je ne me ferme pas complètement à cet auteur, dont j'ai apprécié le style..

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    2. Attention, ces enquêtes sont un peu particulières : "Toujours en 1932, il s'investit dans la série de fascicules populaires : Harry Dickson ; il n'a pas créé la série à l'origine, il n'a été en fait — au début — que traducteur des aventures d'un « Sherlock Holmes américain », de l'allemand vers le néerlandais (apparition du nom de « Harry Dickson »), puis vers le français. À la longue, il finit par trouver les textes d'origine si médiocres qu'il obtient l'accord de son éditeur pour réécrire les histoires à condition qu'elles respectent le titre et le dessin de couverture des recueils originaux. 103 aventures seront ainsi entièrement de sa main sur les 178 fascicules parus." Wikipedia

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    3. Merci pour ces précisions, je suis en effet allée lire l'histoire de ces "Dickson", qui me rend bien curieuse...

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