LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Mentawaï !" - Jean-Denis Pendanx & Tahnee Juguin

Tahnee Juguin est scénariste. Elle est aussi passionnée par les indigènes. 

En 2011, elle découvre l’Archipel des Mentawaï, à l’ouest de l’Indonésie. Elle y réalise un film, au tournage duquel participent des membres de la tribu, qui décident de filmer leurs coutumes. La maison de production qui le finance, dans sa volonté de le destiner à un public familial, le dénature en faisant des coupes, le réduisant à une dimension folklorique. 

C’est ce que raconte cette bande dessinée, qui est aussi et surtout l’occasion de découvrir une partie de la culture et du quotidien de ce peuple forestier et profondément animiste, à partir du sujet central du film : l’initiation du jeune Amman Goddaï au rôle de Sikerei, sorte de chaman.

Y est également évoquée la répression dont les Mentawaï ont fait l’objet dans les années 1960, période jusqu’à laquelle ils ont vécu dans un isolement protecteur. Avec la dictature de Soeharto - militaire président de la République d'Indonésie de 1967 à 1998-, ordre leur a été donné de quitter leurs uma (maisons communautaires) pour s’installer dans des villages plus faciles d’accès, et de renoncer à leur animisme. Dans le but de les assimiler à la société indonésienne, les enfants ont été envoyés à l’école, et la religion monothéiste leur a été imposée. Il s’agissait, en bref, de leur apporter le "progrès". En cas de refus, les Mentawaï, notamment les Sikerei, considérés comme garants de leurs traditions, étaient persécutés.


Lorsque, dans les années 1990, les touristes ont commencé à s’intéresser à cette tribu, le gouvernement, par crainte de la médiatisation et conscient de la manne financière que pouvaient représenter les Mentawaï, a cessé son oppression. Mais si le tourisme les protège, l’assimilation continue sournoisement. Peu à peu, la scolarisation s’accompagne de la perte du savoir lié à la vie en forêt, les enfants n’ont plus le temps d’écouter les histoires des anciens. Et ces derniers eux-mêmes participent parfois au délitement de la transmission intergénérationnelle d’une spiritualité ancestrale : le souhait que leur descendance ait une vie plus facile, ne souffre pas d’exclusion, fassent des études, génère un besoin d’argent qui les incitent à participer à la démonstration folklorique qu’elle est en partie devenue. En partie seulement, car comme le souligne avec soulagement Tahnee Juguin, il y a, y compris chez les jeunes Mentawaï, un réel mouvement de résistance consistant à préserver la pratique de leur culture dans toute son authenticité même s’il se révèle compliqué de concilier compromis envers la modernité et les relations aux autres -notamment aux touristes, qui viennent souvent avec des attentes nourries de fantasmes et d’idées préconçues- et respect de leurs coutumes et de leurs croyances.


Ouvrage documentaire, "Mentawaï !" se revendique pleinement comme tel en axant son intrigue sur les descriptions de scènes du quotidien -qui permettent de constater à quelle point la tradition y est encore très présente- et la transcription des échanges entre Tahnee et les membres de la tribu sur le tournage du film mais aussi sur les événements de leur vie, qui donnent parfois lieu à des épisodes aussi cocasses que sérieux, notamment lorsque les femmes évoquent avoir recours à la contraception en cachette de leurs maris.

De nombreux passages sont en langue Mentawaï, et leur traduction n’étant accessible qu’en fin de volume, cela en complique parfois la compréhension.

Le grand format de l’ouvrage participe du plaisir que l’on a à parcourir ses pages où la prédominance du vert ancre dans l’environnement forestier, l’aquarelle contribuant à rendre l’ensemble très lumineux, comme pour rendre hommage à la vitalité et à la malice dont font souvent preuve les Mentawaï, dont on découvre qu’ils rient beaucoup.

Un dossier clôt l’ouvrage, avec des photos des personnes mises en scène dans la Bande Dessinée, dont nous est également présentée la genèse. Tahnee Juguin y précise l’implication des Mentawaï eux-mêmes dans sa réalisation, et l’exigence de justesse qui y a ainsi présidée, non seulement dans le rendu des tenues, des objets de la uma, des plantes utilisées pour les rituels, mais aussi dans celui des positions des corps.

Je termine avec ce titre ma série de participations à l’activité Lire (sur) les minorités ethniques, qui s’achève en cette fin d’année (ne loupez le bilan, programmé pour le 30 décembre, sous aucun prétexte !).

Commentaires

  1. Je ne connaissais pas cet album. D'ailleurs, on ne trouve pas grand chose sur l'Indonésie. C'est un hasard mais je viens justement de terminer une anthologie de littérature indonésienne. Je note cet BD car le sujet me passionne et le graphisme me plait beaucoup (il y a un extrait sur le site de l'éditeur). Je suis triste que la thématique sur les minorités ethniques se termine mais j'ai hâte aussi de découvrir ta prochaine proposition.

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    1. Diantre, j'avais loupé ce commentaire ! Désolée, je n'aime pas laisser mes visiteurs sans réponse... tu verras, cette BD est en effet très belle, cela compense l'aspect parfois un peu confus de l'intrigue. Et rendez-vous le 2 pour découvrir la nouvelle thématique...

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  2. Pour une fois que le tourisme sert à quelque chose... les illustrations de cet album sont magnifiques.

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    1. Oui, mais il y a un revers à la médaille, avec la tentation de "marchandiser" une culture qui du coup en perd tout son sens. Heureusement qu'un élan pousse certains jeunes à revenir vers leur mode de vie ancestral. Leur île a par ailleurs été classée Réserve de la biosphère par l'ONU, le problème, c'est que le terme "biosphère" a tendance à exclure les humains qui y vivent depuis toujours et qui en sont pourtant partie intégrante.
      C'est en tous cas un ouvrage très intéressant et très beau, oui.

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  3. Comme Sandrine j'aime beaucoup les illustrations ! Je viens de lire un livre sur le Groënland et les méfaits de la colonisation du Danemark sur le peuple et son mode de vie. Il faut que je fasse le billet rapidement puisque tu clos le challenge.

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    1. Les dessins sont en effet très beaux, et le format de l'ouvrage, très grand, les met très bien en valeur.
      Et j'attends donc ton billet groenlandais pour l'ajouter au bilan !

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  4. C'est compliqué, cet apport bénéfique du tourisme, qui empêche les persécutions en même temps qu'il accélère la disparition des coutumes ancestrales... A leur place, résisterait-on aux sirènes de la modernité ?
    Je note le bilan du 30 décembre, je ne le raterai pas !

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    1. C'est toute cette difficulté à concilier les deux qui est entre autres évoquée ici.. Rendez-vous le 30 (voire avant, des billets sur des lectures récentes sont aussi prévus), et passe un bon Noël !

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  5. Il est à la bibliothèque, chic ! Je me rends compte que j'ai déjà lu un album de cet auteur "les oubliés de Prémontré".

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    1. Ah quelle chance ! Je vais aller fureter du côté de cet autre album que tu évoques car j'ai vraiment aimé le travail de ce dessinateur..

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  6. Bonsoir, pour ma part, je ne connaissais pas les Mentawaïs d'Indonésie, aussi merci pour cette découverte culturelle. En tout cas, l'ouvrage documentaire a l'air très bien fait et les couleurs sont splendides ! Bien à vous ✨

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    1. Je ne les connaissais pas non plus avant cette lecture, et c'est une belle découverte... l'ouvrage est en effet très beau. Bonne journée !

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  7. J'avais fait un billet : http://legoutdeslivres.canalblog.com/archives/2018/10/23/36806862.html

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    1. Je suis allée le lire, et je note ce titre du coup. Le sujet est complètement différent de celui-là, mais tout aussi intéressant, et les dessins semblent également très beaux...

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