LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Memphis" - Tara M. Stringfellow

"Si tu veux une femme bien toute la journée, il faut que tu sois un homme bien toute la nuit."

Ses détracteurs reprochent à "Memphis" sa construction narrative éclatée, le fait qu’on y passe sans cesse d’une année à l’autre sans réelle logique chronologique, faisant des sauts de puce ou de grandes enjambées temporelles, qui s’accompagnent d’un changement de focus sur les personnages. Le principe même ne m’a personnellement pas dérangée. Les protagonistes mis en avant dans chaque paragraphe sont certes multiples, mais ils ne sont pas si nombreux, et puis tous font partie du même cercle familial. Il y a ainsi une cohérence tout au long du récit, chaque épisode s’inscrivant dans un même schéma d’ensemble. Et puis cette structure confère à l’intrigue une dynamique qui fait d’abord tourner les pages sans peine.

Ce sont d’autres aspects du roman qui m’ont gênée.

Sans doute aurais-je dû accorder mon préambule au féminin, car c’est d’héroïnes dont il est ici question, et cette précision a toute son importance. En déroulant sur trois générations le destin de femmes d’une même famille originaire de la ville emblématique de Memphis, Tara M. Stringfellow aborde la dureté de la condition des afro-américaines sur plus de soixante-dix ans – de la fin des années 1930 au début des années 2000-, empreinte de ségrégation et de violence, marquée par la mort.

On commence par Miriam, qui après une énième dispute qui dégénère quitte son mari Jax, militaire de carrière. Elle part avec ses deux filles Joan et Mya chez sa sœur August, qui vit dans la maison de leur enfance, construite par le père de Miriam pour leur mère Hazel. Au fil des épisodes qui se succèdent, on s’attarde ensuite en alternance sur Joan (la narration adopte alors le seul "je" du roman), August puis Hazel, avant d’en revenir à Miriam (l’ordre n’est peut-être pas le bon mais cela n’a aucune importance). Et puis on recommence… 

Balayer ainsi plus de soixante-dix ans d’histoire américaine, du point de vue de femmes noires, permet de mettre en évidence à la fois l’évolution de leur statut, mais aussi la persistance de l’infériorisation dans laquelle la société s’obstine à les maintenir.

L’idée est plutôt bonne. Malheureusement, elle est à mon avis traitée de manière trop didactique. La finalité du procédé (la structure narrative) utilisé par l’auteure pour servir son propos -la récurrence des violences subies par les femmes noires au sein d’une Amérique raciste mais aussi de leur propre foyer, et leur capacité à les surmonter- transparait avec une évidence qui amoindrit la véracité de l’histoire, et m’a personnellement empêchée de m’y impliquer. Les redondances mises en avant dans le destin des héroïnes participent aussi à l’aspect démonstratif du récit et finit par nuire à la complexité de chacune d’entre elles. Toutes sont veuves ou seules après avoir perdu un conjoint violent ou défaillant (sauf un), toutes un don extraordinaire, qui pour la couture, qui pour le chant ou le dessin ; les marques de caractère parfois transmises de l’une à l’autre sont rappelées sans subtilité. Et même la façon de ponctuer chaque époque d’un événement historique dramatique (l’assassinat de Martin Luther King, le lynchage d’Emmett Till, les attentats du 11 septembre…- m’a paru superficielle.

Enfin, le style par moments maladroit -certaines images m’ont semblé incongrues- a encore accroit ma déception. 

Aussi, bien qu’ayant apprécié certains dialogues rendus savoureux par l’humour grinçant de ces femmes décomplexées s’acharnant à résister quand les hommes capitulent ou compensent les vexations dont ils sont victimes en s’adonnant eux-mêmes à la violence, l’ouvrage a rejoint sitôt terminé la boîte à livres de mon quartier.

Peut-être y fera-t-il le bonheur d’une autre lectrice ? Enna, contrairement à moi, l’a par exemple apprécié (de même que beaucoup d’autres)...


Et c’est une participation, sur le fil, au Black History Month, organisé par la même Enna (j’en regretterai presque la tonalité négative de ce billet, je me débrouillerai pour faire mieux l’année prochaine !).


Commentaires

  1. Trop d'aspects qui me rendent ce genre de romans trop difficiles à lire.

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    1. Et je n'ai personnellement pas été assez convaincue pour essayer de te faire changer d'avis...

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  2. Jamais entendu parler de ce roman (à la jolie couverture quand même) Direct dans la boite! ^_^

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    1. Je dois avouer que personnellement, la couverture, bien qu'en effet jolie, me faisait un peu craindre un récit un peu mièvre. Ce qui n'est pas le cas...

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  3. pas sûre d'accrocher vraiment, merci pour ton avis!

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  4. J'ai horreur que l'on me prenne par la main pour me convaincre ce dont je suis déjà convaincue ... Alors, je passe sans regret !

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    1. Ce n'est pas pour toi, en effet (ni pour moi, d'ailleurs...)..

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  5. Bon, je choisirai un autre livre pour aborder le sujet. Il y a Milwaukee Blues de Louis-Philippe Dalembert à la bibli. Tu l'as lu ?

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    1. Non, je n'ai lu que "Avant que les ombres s'effacent", dont j'ai aimé l'histoire, un peu moins le style. Sinon, sur la condition des femmes noires aux Etats-Unis, il y a "L'œil le plus bleu" de Toni Morrison, Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, ou "La couleur des sentiments" de Kathryn Stockett, entre autres... (mais tu les as peut-être déjà lus).

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    2. Juste le roman de Toni Morrison. J'ai lu presque tous ses livres !

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  6. Je n'avais pas particulièrement repéré ce roman, je ne vais donc pas allonger mes listes. Le sujet est sans doute intéressant, mais ça ne suffit pas.

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    1. Oui, le sujet est intéressant, mais on peut à mon avis trouver d'autres titres qui le traitent avec plus de subtilité.

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  7. J'ai beaucoup plus aimé que toi mais ce n'est pas une raison de t'en vouloir : c'est justement très intéressant d'avoir des avis différents!
    Merci de ta participation!

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    1. Disons que c'est le genre de livre qu'on a envie d'aimer, ne serait-ce que pour le sujet :)

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  8. Normalement c'est tout à fait mon type de thèmes, mais croulant sous ma PAL, je vais prendre prétexte de ton avis mitigé pour ne pas le noter. Enfin, je garde quand même un oeil dessus.^^

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    1. Je ne suis pas sûre qu'il te convienne, je crois que tu aurais toi aussi été gênée par ces "coutures" trop visibles..

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  9. J'ai vu chez Enna que c'était un premier roman, ce qui explique peut-être les lourdeurs et maladresses. Merci pour les autres conseils de lectures sur le sujet !

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    1. Oui, peut-être a-t-elle des circonstances atténuantes. Mais j'avoue ne pas avoir très envie de retenter l'aventure avec cette auteure...

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  10. Tu as trop de réserves pour que je m'attarde sur ce roman .. d'autant plus que les tentations me reprennent mieux que jamais ces dernières semaines.

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    1. Il ne fait jamais hésiter à ne pas alimenter sa pile...

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  11. je ne connaissais pas ce challenge, ni le roman, ni l'auteure. Merci pour toutes ces ouvertures quoique tu ne paraisses pas enthousiaste.

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    1. Pour celui-là, non, mais le thème du challenge se prête à de très nombreuses lectures. Je suis chaque année "coincée" en raison du mois latino, mais je pourrais me consacrer sans restriction au Black History Month 2025 !

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