LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Crossroads" - Jonathan Franzen

"Comment se faisait-il que s’apitoyer sur son sort ne soit pas sur la liste des péchés mortels ? C’était le plus mortel de tous."

Début des années 1970, dans une banlieue aisée de Chicago. Comme tant d’autres, la famille Hildebrandt s’apprête à fêter Noël, qui s’annonce sous le blizzard.

Russ, le chef de famille, est pasteur. Le couple qu’il forme avec Marion a comme rétréci, sa vigueur s’est étiolée avec le temps, les maternités dans lesquelles sa femme s’est retranchée, et le peu de soin qu’elle apporte dorénavant à son apparence. Frances, une jeune veuve de la paroisse pleine de vitalité et de fraîcheur, n’en acquiert que plus d’attrait aux yeux de Russ, qui s’emploie maladroitement à la séduire.

Les Hildebrandt ont quatre enfants. Clem, l’aîné intello et désinvolte, est très proche de Becky, archétype de la lycéenne populaire qui éprouve pour son cadet Perry, adolescent surdoué mais sans force d’esprit et affligé de toutes les tares qui font dire de la puberté qu’elle est l’âge ingrat, un dégoût et une incompréhension croissants. Judson, le plus jeune, est un enfant trop tranquille pour que l’auteur prenne la peine de s’y attarder.

En portraitiste chevronné et féroce de la famille, Jonathan Franzen décortique une fois encore, en triturant les mécanismes psychologiques de ses personnages, la complexité et l’ambivalence des liens familiaux. Pour ce faire, il situe son intrigue à un moment de bascule dans la vie de ses personnages, qui suite à des choix personnels ou aux circonstances, vont prendre des chemins différents, à l’origine de ruptures plus ou moins violentes avec certains de leurs proches.

Cela commence lorsque Perry puis Becky rejoignent Crossraods, sorte d’association mêlant développement personnel et bénévolat religieux dont Russ, qui en a été le fondateur, a été évincé dans des circonstances obscures et que l’on devine honteuses. Il en a gardé un sentiment d’humiliation et une rancœur aussi haineuse que tenace envers celui qui a repris la direction du groupe. 

La rupture est donc générationnelle, et vise plus particulièrement le père, qui soudain redevient un individu comme les autres. Le contraste avec l’image idéalisée qui prédominait jusqu’alors rend ses faiblesses d’autant plus méprisables. Mais elle est aussi intime, par exemple pour Marion, qui ne s’étant jamais définie que par rapport aux hommes ou à ses enfants, n’en peut plus de se sentir coincée, piégée par la vie qu’elle s’est elle-même construite. C’est également le cas de Perry, qui peine à trouver sa place dans la fratrie, et tombe dans des addictions de plus en plus nocives.

Aux tensions qui opposent les protagonistes s’ajoutent leurs propres conflits intérieurs, minutieusement décrits par l’auteur. Ce qui frappe, c’est la manière dont leurs raisonnements sont dominés par un sentiment de culpabilité quasi permanent. La contradiction entre leur obsession du bien et la conscience de la vénalité ou de l’égoïsme à l’origine de leurs actes provoque un besoin d’autojustification les entrainant dans des dilemmes moraux qui se pare pour certains d’une dimension religieuse. 

On se prend à la fois à sourire et à s’exaspérer face à toutes ces complications que s’imposent les Hidlebrandt, investis dans une agitation que leur égocentrisme rend pathétique voire ridicule. Et en même temps, à force d’immersion dans les méandres de leurs pensées, de leurs émotions ou de leurs traumatismes, on finit par éprouver, si ce n’est de la tendresse, une certaine familiarité qui nous les attache.

La minutie avec laquelle Jonathan Franzen évoque les cheminements de ses héros fait de "Crossroads" un texte dense, et à mon avis un peu trop long (avis renforcé depuis que j’ai appris, postérieurement à ma lecture, qu’il s’agit là du premier volet d’une trilogie). Mais j’ai apprécié la manière dont il anime ses personnages, en leur portant un regard acéré et moqueur, que légitimise sa parfaite connaissance de leurs mécaniques intimes.



D'autres titres pour découvrir Jonathan Franzen :

J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Doudoumatous. Son avis est ICI.

Commentaires

  1. J'ai aimé "Les Corrections" mais j'hésite à me replonger dans une histoire de famille américaine épaisse comme un pavé, je ne suis pas sûre d'avoir envie de ça...

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    1. Dans ce cas, passe ton chemin, les familles américaines dysfonctionnelles, c'est le terreau préféré de Franzen.... et quitte à le relire, je te conseillerais plutôt Freedom.

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  2. Je n'ai jamais lu cet auteur, pourtant souvent mis en avant en librairie ... Tu sembles plus enthousiaste pour Les corrections et Freedom que pour celui-ci. Lequel me conseillerais-tu ? ( oui, je sais, je suis encore en dégraissage de bibliothèque, mais c'est pour après ^-^)

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    1. Peut-être plutôt Freedom, l'un des héros y est obsédé par le sauvetage d'une espèce d'oiseaux en voie de disparition, ça m'avait plu.. et je fais comme toi, je retiens certains titres, quand même, mais que je mets de côté pour l'instant. J'ai entre autres repéré un certain Olivier Bordaçarre, qui d'après ce que je comprends, mêle humour et polar social, tu connais ?

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  3. J'hésite un peu, j'aime les chroniques familiales, mais c'est un sacré pavé, et un premier volume d'une trilogie. Et tu dis que tu as ressenti des longueurs...

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    1. Euh, si tu veux le lire, privilégie plutôt Freedom ou Les corrections, qui sont déjà des pavés, mais ont le mérite de n'être qu'en un tome... je ne sais pas si son "décorticage" psychologique te plaira...

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  4. Tu décris très bien les aspects psychologiques (les liens familiaux, les conflits intérieurs, etc) qui sont l'essence de ce roman. Cette immersion dans l'esprit des protagonistes nous les rend trop cyniques ou pathétiques pour s'y attacher. Certaines situations prêtent néanmoins à sourire. En ce qui me concerne, j'ai été totalement happée par l'intrigue et je n'ai pas perçu de longueurs. J'ai hâte de découvrir la suite.

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    1. Franzen est très fort pour se moquer de ses héros tout en ayant l'air d'essayer de les comprendre, et c'est ce qui fait le sel de ses romans. Et je suis partante pour t'accompagner dans la suite !

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    2. J'en suis ravie ! vivement la suite donc.

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  5. Je n'ai lu que Les corrections, sans être particulièrement emballée... je n'ai pas eu l'intention d'aller plus loin avec l'auteur pour le moment.

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    1. Si Les corrections ne t'ont pas plu, n'insiste pas... il y a vraiment une "empreinte" Franzen que l'on retrouve d'un titre à l'autre.

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  6. Je n'ai encore jamais lu l'auteur mais j'ai "Freedom" dans ma PAL et je vois que tu l'as préféré à celui-ci. Une chance pour moi :-)

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    1. J'ai beaucoup aimé Freedom, on y trouve aussi cette férocité moqueuse envers les personnages qui rend la lecture savoureuse, et de mémoire, je n'y avais pas trouvé de longueurs..

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  7. J'ai déjà lu certains de ses pavés, on va peut-être s'arrêter là.

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    1. A toi de voir si tu as envie de continuer ou pas...

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  8. ah les pavés américains !! je commence à saturer pourquoi ils n'apprennent pas l'ellipse dans le cours d'écriture !

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    1. Mais quand ils sont réussis, je trouve que leur densité est aussi ce qui fait leur richesse...

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  9. J'ai beaucoup aimé Freedom, mais je n'ai pas eu envie de relire Franzen ensuite, justement parce qu'il reste dans la même veine. Une trilogie serait trop pour moi sans doute.

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    1. C'est sûr qu'on retrouve d'un titre à l'autre les mêmes thématiques, et le même genre de milieu -la petite-bourgeoisie américaine-. Disons qu'il est à mon avis conseillé de laisser passer du temps entre deux lectures de cet auteur..

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  10. En voilà encore un de ces auteurs populaires sur les blogs et dans la presse qui, a priori, devrait me plaire (les familles dysfonctionnelles sont une des thématiques récurrentes dans mes lectures) et pour lesquels je n'ai pourtant pas encore sauté le pas... Ne me demande pas pourquoi, je l'ignore moi-même.

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    1. Peut-être parce qu'il n'est pas toujours facile de caser un pavé parmi toutes les envies de lectures ?.... mais je crois que tu devrais tester, oui, avec Freedom ou Les corrections..

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  11. Voilà un auteur que j'ai vu passer de temps en temps mais que je n'ai pas encore lu ! J'avais noté "les corrections" dans mes listes de la médiathèque. Donc je me laisserai sûrement tentée un jour ou l'autre. Merci pour ton enthousiasme je viens de rajouter celui-là qui n'est pas disponible mais a été acheté lui-aussi.

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    1. Il est plus prudent à mon avis de découvrir l'auteur avec un autre titre que celui-là (Les corrections par exemple, c'est très bien) : cela permet de voir si on accroche à son style sans s'engager dans une volumineuse trilogie ...

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  12. J'avais beaucoup aimé Freedom mais je n'ai rien lu de lui depuis. Je vois que toutes les deux, vous l'avez apprécié.

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    1. Oui, c'est un bon gros roman, bien qu'un peu long à mon avis... mais si tu as aimé Freedom, je te conseille Les corrections, qui est dans la même veine...

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  13. signature du commentaire précédent /

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  14. j'ai été lire l'autre avis avant de venir ici. Je disais que je ne l'avais jamais lu mais j'ai ce roman (en anglais) dans ma pAL et que je vais donc le lire. Pas tout de suite car je lis déjà un gros pavé (et quand c'est bon, quel plaisir !) - je vois que tu as préféré les autres, mais le sujet ici me tente. A voir donc !

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    1. C'est un roman très dense, qui décortique les mécanismes des relations familiales, mais aussi la psyché des personnages. Je suis curieuse de ton avis, en tous cas, même si ce n'est pas pour tout de suite..

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